Avant, Olympe de G exprimait son plaisir devant la caméra, dans les productions porno-féministes de l'emblématique Erika Lust. Puis l'ex-performeuse a décidé de passer derrière l'objectif, en portant sur ses épaules le même idéal : celui d'un X éthique et orgasmique, au service des désirs féminins et de celles qui l'incarnent. Avide de nouvelles sensations, l'artiste de 35 ans explore même la pornographie sonore, de l'expérience en son binaural Chambre 206, immersion sexuelle à l'Hôtel Grand Amour, aux podcasts érotiques L'appli rose et Voxxx. En pleine campagne de financement pour un premier long-métrage plus que prometteur, Olympe de G revient sur son union (forcément libre) au porno, au plaisir et au pouvoir qu'il nous offre.
Pour moi, le sexe, et le fait de rendre le mien public via le porno alternatif, c'est une façon d'affirmer que je fais ce que je veux de mon corps et de mon plaisir. C'est la dimension politique du sexe qui est source d'empowerment. Jouir de ma vie sexuelle pleinement, fièrement, au grand jour, m'a donné le sentiment d'être en accord avec moi-même, de ne plus avoir à cacher qui je suis, de ne plus intérioriser la honte qu'il faudrait que je ressente face à ma sexualité de femme. Ça m'a donné une confiance en moi profonde.
L'histoire de la sexualité des femmes est une histoire d'oppressions. C'est tout récent que l'on puisse à peu près déterminer ce que l'on veut faire de notre corps, choisir notre partenaire sexuel, d'avoir des enfants ou non... et c'est super fragile. En 2019, de nombreuses formes d'oppression subsistent. Les remises en cause partout dans le monde du droit à l'avortement, les mutilations génitales des jeunes filles, la culture du viol, la persistance des violences conjugales et féminicides, l'absence d'une éducation sexuelle féminine correcte, les violences gynécologiques et obstétricales...
Et les injonctions constantes d'une société qui se pense sexuellement avancée, tout en continuant de coincer les femmes dans les deux postures vieilles comme le monde de la "maman" ou de la "putain" - réactualisées en "meuf coincée" ou " salope". Il faudrait s'éclater au lit, mais seulement quand on est amoureuse, avoir eu trois partenaires sexuels max, mais maîtriser la gorge profonde, allaiter son enfant, mais censurer ses tétons. Tout ça me révolte. C'est ce qui m'a donné envie de taper du poing sur la table et de faire du porno féministe.
Réussir à totalement lâcher prise et à ouvrir grand les vannes aux fluides, aux décibels, aux sensations, même inconnues. C'est un état rare et difficile à atteindre, l'abandon de soi. Je trouve qu'il y a une vraie forme de puissance dans cette capacité à se laisser aller, à s'oublier. Sinon, écouter Lil' Kim du fond de mon lit, ça marche aussi ("Suck my clit , han").
On ne fait pas assez attention aux sons du sexe. On se focalise sur le visuel, alors que le sonore a un pouvoir d'évocation et d'excitation très puissant. Je rêvais d'enregistrer des crissements de poils, des caresses sur la peau, des clapotis de sexes mouillés, des claques sur les fesses, d'aller chercher les sons qui excitent. Et aussi de dépasser le rapport au son très genré qu'on peut avoir : les hommes expriment rarement leur plaisir de façon sonore. Ce sont les femmes qu'on encourage à vocaliser, les hommes doivent être dans le contrôle, se retenir à tout point de vue. Alors que les râles gutturaux et les soupirs d'un mec qui se lâche, c'est très très excitant !
Avec le porno audio, on propose une structure, un chemin. L'auditeur ou auditrice a juste à fermer les yeux et à imaginer les corps, les positions, les pratiques qui l'excitent. C'est champ libre. Et du coup c'est d'une inclusivité absolue ! Laisser chacun·e se faire ses propres images mentales, son propre film, c'est l'assurance de créer autant de films qu'il y a de spectateurs et spectatrices. Et ça fait pas mal de films porno imaginaires !
Bref, le sexe et les sons, c'est un territoire peu exploré et passionnant à défricher. J'avais envie de proposer du porno qui fasse la part belle à ce qu'on entend quand on a du plaisir. Et puis j'adore faire des films, mais je trouve ça aussi super intéressant de proposer aux gens de se faire leurs propres films porno dans leurs têtes. C'est excitant de faire l'effort de créer, développer ses propres fantasmes, ses propres films. Et encore plus satisfaisant de prendre le temps de se laisser porter par ses propres images de luxure.
L'appli Rose saison 1 écrite avec Alexandra Cismondi a été numéro 1 des ventes d'Audible.fr une bonne partie de l'été dernier. Et sur Voxxx.org, créé avec Lélé O, Antoine Bertin et Karl Kunt, on cumule 500 000 écoutes alors qu'on a moins d'un an. C'est chouette que l'approche, au départ expérimentale, d'un porno sans images parle vraiment aux gens. Ça confirme qu'il y a une vraie demande de réinvention du porno, qu'on peut sortir des schémas commerciaux, prendre des voies alternatives, explorer, s'amuser.
La dernière fois de Salomé est un projet qui me tient profondément à coeur, parce que c'est plus qu'un long métrage : c'est un véritable manifeste du porno que je souhaite créer sur le long terme, et voir se développer. Salomé a 73 ans, c'est une belle femme, en pleine forme, qui a décidé de programmer sa disparition. Pas parce qu'elle est triste ou malade, mais parce qu'elle ne cautionne pas la façon dont notre société traite ses vieux, les isole, les médicalise. Elle ne veut pas prendre le risque de tomber dans la dépendance, et préfère choisir elle même la date de sa mort. Elle nous quittera donc en 2021, en beauté. Et elle va consacrer la dernière année de sa vie à prévoir son dernier repas, sa dernière promenade, sa dernière folie... Mais surtout la dernière fois qu'elle fera l'amour.
C'est non seulement tabou (on ne veut surtout pas entendre parler de la sexualité de nos grands-parents ou des parties de jambes en l'air en EHPAD), mais en plus, il y a un double standard : c'est encore plus tabou quand on est une femme. Un papy lubrique est relativement bien accepté socialement, alors qu'une femme âgée qui continue de prendre son pied et d'avoir des amants, on ne comprend tout simplement pas le concept. On colle sur le dos des femmes une date de péremption à ne pas dépasser qui se situe aux environs de la ménopause. Comme si le fait de ne plus pouvoir faire d'enfants voulait dire qu'on ne peut plus avoir de plaisir.
J'ai beaucoup lu de bouquins sur le sexe senior, de Joan Price notamment, et ça m'a fait un bien fou : pourquoi avoir peur de vieillir ? Nos corps demeurent source de plaisir sensuel et sexuel et le sexe une source d'épanouissement, même à 90 ans. La recette ne change pas : écouter son corps, l'accompagner avec du lubrifiant et des toys si besoin, communiquer avec son ou sa partenaire. Il faut en parler, se détendre sur le fait de voir les années passer, et montrer la sensualité des corps féminins à tout âge. Bien sûr, puisqu'une femme âgée qui baise, c'est tabou, il y a plein de vidéos X qui les exhibent comme des phénomènes de foire, ambiance "Mamie a la chatte en feu". Ça n'aide pas à appréhender la sexualité senior sainement et simplement...
Donc j'ai eu envie de filmer avec sensibilité et amour une femme âgée, qui aime son corps et le sexe. En me projetant dans cette femme. Plus tard, j'ai envie d'être Salomé !
C'est un porno qui t'emmène là où tu ne t'y attends pas, t'excite avec des corps ou des pratiques que tu ne serais pas allé.e chercher. Un porno qui ouvre tes shakras sexuels, élargit tes horizons, fluidifie ta conception du sexe, des genres. Un porno humaniste, à la fois dans la façon dont il est tourné et dans ce qu'il montre à l'écran. C'est ce que j'essaie de faire quand je réalise. Quand je dis que La dernière fois de Salomé est un Manifeste de ce que je considère être du bon porno, c'est parce que c'est un projet qui défend plein de valeurs importantes pour moi.
Déjà, c'est UN PORNO DE MEUFS, écrit et réalisé avec passion par deux femmes (Alexandra Cismondi et moi au scénario, moi à la réalisation). Le regard féminin sur le sexe est rare dans le porno, et c'est pour ça qu'il est important. Le porno a besoin des femmes pour évoluer positivement. Ensuite, c'est UN PORNO INCLUSIF qui met en scène des corps de toutes les couleurs, les tailles, les formes. J'ai envie de montrer que la beauté est dans la diversité, pas dans la standardisation des physiques. Nous avons toutes le droit de nous sentir représentées (et belles !) à l'écran. C'est aussi UN PORNO DÉCOMPLEXÉ DU CUL qui envoie valser les injonctions faites aux femmes sur leur vie sexuelle, et qui se fout royalement de la performance.
Le plaisir est montré comme il est dans la vraie vie : parfois court, parfois long, avec pénétration ou sans, avec orgasme ou non. Le sexe, c'est bien plus qu'un organe sexuel qui se frotte à un autre organe sexuel ! C'est la façon dont les peaux communiquent, c'est l'intimité, même momentanée, savoir se laisser partir dans le plaisir, seul.e, à deux, à plusieurs. C'est également UN PORNO ANTI- GISTE et ANTI-SEXISTE qui remet la femme à sa place de sujet sexuel, de personne désirante. Même âgées, nous sommes actrices de nos sexualités ! On en a marre des scénarios phallocentrés. On a besoin d'entendre les femmes exprimer ce qui leur plaît.
C'est enfin UN PORNO CRÉATIF qui refuse d'être tourné au rabais. Le sexe, c'est beau, c'est la vie ! Et ça mérite d'être filmé avec autant de moyens que n'importe quelle autre histoire. Surtout quand ça porte un message positif qui peut donner le sourire aux femmes. Et un UN PORNO ÉTHIQUE bien sûr, qui veille à ce que les conditions de travail soient optimales pour tous ceux qui y contribuent, notamment grâce la présence d'une coordinatrice d'intimité sur le tournage. C'est ambitieux, et pour faire la révolution dans le porno, il faut s'en donner les moyens ! Pour pouvoir tourner dans les meilleures conditions, je rassemble des fonds via une campagne de crowdfunding sur Kisskissbankbank. Je pense qu'en s'y mettant tou.te.s, on peut donner vie ensemble à un meilleur porno, film après film.
Qu'est-ce qui manque le plus au X aujourd'hui ?
Des ambitions qui ne soient pas purement commerciales. Il manque des ambitions créatives, par exemple. L'envie de faire des beaux films, du beau cinéma de genre, comme dans les années 70 ! Il manque des ambitions politiques, aussi, l'envie de porter des messages forts, des messages émancipateurs. Ce ne sont pas les sujets de revendications qui manquent, pourtant en ce moment ! Je les listais au début de ce questionnaire...
Derrière la caméra, sans hésiter. C'est là que je peux donner vie à mes fantasmes. Faire un film c'est toujours intime, c'est rendre possible, réel, quelque chose que j'ai vraiment envie de voir. Donner chair à une vision qui m'excite sur tous les plans : sexuel, intellectuel, humain, créatif. Mais devant la caméra c'était chouette aussi ! Ça reste un sujet de fierté.
Un des miens, pour ceux qui ne connaissent pas mon travail. Allez regarder Don't Call me a Dick, sur XConfessions.com . C'est un film qui montre le sexe comme vous ne l'avez jamais vu, et je n'exagère pas ! Ça a été un vrai défi technique à tourner : on a filmé en macro, comme si on filmait des insectes, et en ultra ralenti avec une caméra très spécifique qui s'appelle une Phantom. On a réussi à capter l'éjaculation féminine d'Heidi Switch en macro et en ultra ralenti. C'est d'une beauté à couper le souffle.
Un malentendu ! Ma première fois a été complètement consentie et préparée, mais mon copain de l'époque a pris mes "aïe" et mes "ouille" pour des gémissements de plaisir. Il y a donc eu le fatidique : "T'as joui ?" Et j'ai répondu : "Oui oui". Enfin voilà, le sexe, ça commence par apprendre à dire "Non", et à dire "Oui", à dire "Pas comme ça, plutôt comme ci".