De plus en plus, le porno mainstream fait débat. On met en cause sa facilité d'accès en ligne, l'image d'une femme soumise et parfois non consentante qu'il place au coeur de ses scènes, elles-mêmes tournées à la chaîne dans des studios aux conditions plus que discutables - faute de budget ? -, l'exploitation de clichés racistes, sexistes et misogynes. L'addition est lourde.
Surtout, cette partie de l'industrie, consommée à environ 70 % par des hommes plus ou moins jeunes, véhicule une vision du plaisir féminin quasi inexistante, préférant se concentrer sur les fantasmes de ses internautes masculins, à base de domination, de partouzes et de scénarios où le mâle est, en fin de compte, toujours supérieur. Plus vendeur, on imagine.
Le problème, c'est que si le porno n'est pas à l'origine des maux de la société (c'est plutôt l'inverse, mais le cercle vicieux ne s'arrêtera pas tout seul), il y contribue quand même en exposant une idée faussée des relations sexuelles dans la vraie vie, voire de la façon dont on traite les femmes. C'est en faisant ce constat qu'un nouveau courant a commencé à émerger. Une alternative du genre adoubée féministe car elle y porte ses valeurs : l'égalité des sexes et donc du plaisir.
Parmi ses pionnières, Anoushka, réalisatrice et autrice du blog Not A Sexpert, qui a fait ses armes sous Ovidie, la cheffe de file du style qui dénonçait justement les ravages des grands acteurs de l'industrie du X dans son documentaire, Pornocratie: les nouvelles multinationales du sexe. Anoushka est tombée dans le genre par hasard, alors qu'elle bossait pour French Lover TV, une chaîne à but éducatif sexuel qui n'existe plus. Elle rencontre sa mentor, alors directrice de programme, là-bas.
"J'ai découvert avec Ovidie les valeurs du porno féministe, que je ne connaissais pas à l'époque. Je ne me suis jamais retrouvée dans ce que proposait le porno mainstream. Trop misogyne, trop cliché, la femme n'y a de rôle que via le fantasme, les phrases sont stéréotypées. Ça ne m'a jamais excitée, je ne ressentais rien sauf du mépris et du dégoût envers ce que cela véhiculait."
Grâce à Ovidie, elle explore une autre sensibilité qui lui donne envie de monter des films complètement différents : avec une histoire, une démarche artistique et humaine qui fait monter le désir au lieu de tout centrer autour de la pénétration. Un style qui trouve son public parmi celles et ceux qui ne sont pas ou plus satisfaits par le porno gratuit. "Les hommes en ont marre des clichés qui les réduisent aux gros cons, ils veulent aller vers quelque chose de plus léger, de plus construit, ça leur parle. Et aux femmes aussi".
Les clichés, c'est ce qui ressort le plus des films X. Au-delà du scénario, beaucoup mettent en cause les caractéristiques physiques complètement exagérées. Des pénis qui mesurent un bras, des seins très gros quand l'actrice est très menue, et des vulves "parfaites". Des descriptions qui reflètent rarement le réel, et qui semblent perdre de leur attrait.
Les créations d'Anoushka (à l'instar de Blow Away, le long-métrage qu'elle a réalisé et qui sera diffusé le 2 mars sur Canal +) misent sur la diversité des corps :"Je ne joue pas avec des codes et des normes de gros sexes, de seins refaits etc, le but c'est de respecter le choix de chacun, de montrer la diversité qui existe dans notre société, ainsi que dans la sexualité".
Pour Erika Lust aussi, proposer un casting pluriel reste essentiel. Mais comme Anoushka, la réalisatrice et productrice primée, figure de proue du genre à l'international, ne tombe pas dans le piège de l'effet inverse, qui voudrait exclure totalement les acteurs et actrices qui correspondent aux codes du mainstream.
"Les critères physiques de mes intervenant·es ne sont pas importants pour moi. Il est plus important de trouver des personnes qui ont de l'alchimie entre elles et qui peuvent le montrer à la caméra. En ce qui concerne les différents organes de XConfessions (son site de streaming, ndlr), je m'engage à montrer la diversité, mais je ne vais pas catégoriser ou classer dans "autres" mes acteurs et actrices comme le font beaucoup de sites grand public", explique l'artiste suédoise.
Une alchimie qui ne peut fonctionner que si les partenaires ressentent réellement le désir qu'ils jouent.
Erika Lust poursuit : "J'en avais assez de regarder du porno où le rôle de la femme était de donner du plaisir à l'homme, mais son propre plaisir était complètement ignoré. Je savais qu'il y avait tellement plus dans la sexualité que ce qui était représenté dans ces films, et c'est ce sur quoi je voulais mettre l'accent."
Car en ne représentant la sexualité de la femme que comme un moyen de satisfaire l'homme, le plaisir féminin est effectivement complètement rayé de la carte. Et si tous les internautes ne prennent pas cette dynamique pour argent comptant, les jeunes générations qui se rendent sur Pornhub ou autre avant même leur première relation sexuelle - par absence dramatique de cours d'éducation sexuelle dignes de ce nom - sont en revanche moins armées pour discerner la fiction du réel.
"Le porno peut être particulièrement nocif pour les jeunes lorsqu'il leur apprend à donner la priorité au plaisir masculin, qu'il leur montre des rôles sexuels néfastes, qu'il ignore l'importance du consentement, qu'il montre des types corporels particuliers comme la norme et qu'il présente des fantasmes sexuels purs et durs comme le seul moyen d'avoir des relations sexuelles", ajoute Erika Lust.
Et c'est aussi là où le porno féministe intervient, avec une proposition qui met en avant davantage l'érotisme que le hardcore. Et autant le cunnilingus que la fellation. Dans Blow Away par exemple, Anoushka s'attelle à filmer des corps qui se rencontrent, à retranscrire les sensations jouissives du plaisir à l'écran. Quel que soit le nombre de partenaires présents dans une scène, le rôle de la femme est aussi important que celui de l'homme, et pareil pour son plaisir, en aucun cas l'un surpasse l'autre.
Quand on interroge les pros sur les conditions de tournage du mainstream, elles expliquent toutes les deux que le problème vient principalement de l'économie. La gratuité des films rend le financement de la production difficile, voire inexistant, et les vues en sont la seule source. Il faut donc rentabiliser, penser en séquences, tourner beaucoup, mettre l'accent sur la pénétration, ce qui fait de l'effet immédiatement.
Anoushka confie d'ailleurs que certain·es trouvent ses films "pas assez masturbatoires". Elle fait monter en pression plutôt que d'aller droit au but. C'est aussi ce qui change pour les actrices qui font carrière depuis un moment mais qui passent la porte de ses tournages pour la première fois : "Elles me disent qu'elles ont l'impression de plus lâcher prise car le scénario est davantage orienté vers leur plaisir et leurs désirs. Je les laisse assez libres, il n'y a pas de séquençage. Quand je dis 'action', la scène de sexe démarre et elles font ce qu'elles veulent".
Rentabiliser, et aussi économiser sur la partie confort des employé·es. Un point qu'Erika Lust estime évidemment non négociable.
"Il faut que les acteurs et actrices puissent arrêter de tourner chaque fois qu'ils se sentent mal à l'aise, qu'on leur demande avec qui ils aimeraient travailler et avec qui ils ne le feraient pas, en s'assurant qu'ils jouent dans un environnement sexuel sûr, qu'ils ont donné leur consentement pour chaque acte sexuel qui sera effectué", affirme-t-elle.
Si l'industrie du X ne virera probablement pas féministe dans un avenir proche, on ose espérer qu'elle prenne exemple sur le genre dont le nombre d'amateurs et d'amatrices ne cesse de grandir, et dont l'intensité sexuelle a largement de quoi convaincre les internautes encore réticent·es. Et pourquoi pas, que les gouvernements s'inspirent de l'Allemagne, en parlant de subventionner une partie de cette alternative qui prône le respect, le sexe consenti, le plaisir et l'égalité.