Vous connaissez forcément la collection "Pour les Nuls". Vous savez, ces gros livres aux colorations jaunes et noires qui vous apprennent en deux coups de cuillère à pot les rudiments de l'informatique, du management ou encore de la psychologie. Tous parés du slogan "Pour enfin tout comprendre !". Et c'est aujourd'hui à un thème ô combien complexe que se rattache ce joli mot d'ordre : le féminisme. Ambitieux à souhait, Le féminisme pour les nul·le·s parcourt et décrypte les multiples combats pour l'égalité des sexes au gré d'un chapitrage limpide où se succèdent les grands thèmes (les violences masculines, l'école, le travail des femmes, les sexualités, l'espace public...) et les figures iconiques, de Simone de Beauvoir à Monique Wittig en passant par Betty Friedan (La femme mystifiée) et Yvette Roudy.
Le projet est salutaire. 500 pages de faits, de définitions et de dates. Une consistance encyclopédique qui risque bien de clouer les becs des machos aux arguments de comptoir. Mais ce qui fait tout le mérite de cet opus dirigé par Danielle Bousquet (l'ex-présidente du Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes), c'est son accessibilité. En mettant les choses à plat, et en conciliant frise chronologique, thèmes sensibles et voix militantes, les autrices Margaux Collet, Claire Guiraud, Mine Gunbay et Romain Sabathier passent autant au crible l'évolution des courants féministes que celle des sociétés où ils prennent place - dont celle de notre cher Hexagone.
Brosser les époques, engagements et enjeux politiques permet de mettre en évidence cette réalité : loin du long fleuve tranquille, le féminisme est une vague, impériale et revigorante. Depuis son éclosion, elle doit faire face aux mouvements d'opposition plus ou moins intenses qui cherchent à freiner son cours. Il faut dire que le patriarcat a la dent dure.
Surtout, s'il bénéficie aujourd'hui d'un plus fort retentissement médiatique, l'idéal féministe est encore loin d'être entendu par toutes et tous. D'où l'utilité d'un ouvrage à la fois "pop" et scientifique, susceptible d'envahir les bibliothèques - universitaires, mais pas que. Et qui, foisonnement de sujets oblige, pose un grand nombre de questions. Tiens, pour vous donner envie, nous vous en avons sélectionné quatre, particulièrement insolites.
Un misogynoir, c'est quoi ? Le combo entre "misogynie" et "noir", tout simplement. Le terme désigne une misogynie spécifique visant les femmes noires, "produites par les hommes en général, indépendamment de leur couleur de peau", détaille la blogueuse Mrs Roots. Car Le féminisme pour les nul·le·s ne se contente pas de retracer les luttes du mouvement afroféministe : l'opus ausculte aussi son vocabulaire. Comme le terme de "blantriarcat", combinaison malicieuse désignant un système d'oppression "basé à la fois sur la suprématie blanche et la domination masculine".
Le temps d'une escale intitulée "Au-delà du genre", ce livre embrasse le principe d'intersectionnalité, désignant celles et ceux "qui se trouvent au croisement de plusieurs systèmes d'oppression", lorsque le sexisme s'imbrique au racisme, au validisme (la dévalorisation des personnes handicapées) ou encore aux "discriminations territoriales" - pour les personnes vivant en zone rurale par exemple.
De cette réflexion émane les mots puissants de la féministe radicale écossaise noire Claire Heuchan, s'adressant aux femmes blanches dans son Guide féministe noir de solidarité interraciale : "Est-ce que vous nous considérez comme des soeurs ou comme quelqu'une à qui vous apportez un soutien de façade sans jamais vraiment nous écouter ? Sommes-nous une partie centrale de la lutte féministe, ou une simple case à cocher ?". Idéal pour mieux (re)penser la sororité.
Alors que les jeunes militantes écologistes d'aujourd'hui portent haut les couleurs de l'écoféminisme (comme Greta Thunberg et Anuna de Wever), le livre puise dans la pensée de la journaliste Nora Bouazzouni et de son essai Faiminisme pour poser cette question qui fâche. Et s'il fallait combiner combat pour l'égalité des sexes et lutte pour la cause animale ? Et si nous nous intéressions davantage à l'anti-spécisme, soit le fait de considérer "que les humains ne sont pas une espèce supérieure aux animaux" ? Ce gros plan donne le "la" au reste de l'ouvrage : il nous suggère qu'on ne peut penser le féminisme sans l'abondance de militances qui lui sont voisines. C'est dans cette globalité que l'engagement dévoile toute sa puissance.
Pour résumer l'enjeu, d'aucuns parlent de "femellisme" : est "fémelliste" celle ou celui qui concilie féminisme et animalisme - c'est-à-dire la défense du droit des animaux. Une prise de position loin de faire l'unanimité aujourd'hui. Et pourtant, parler de viande, d'animaux et de féminisme, c'est parler d'environnement, et par-là même des formes d'oppression trop éludées qui s'immiscent... jusqu'aux bilans des catastrophes naturelles. Ainsi apprend-t-on que les femmes sont les premières victimes des tsunamis, cyclones et ouragans. "Le risque de décès lors d'une catastrophe naturelle est 14 fois plus élevé pour les femmes et les enfants, en particuliers lorsqu'ils et elles sont issues des communautés les plus pauvres", lit-on. Édifiant.
Le point fort du Féminisme pour les nul·le·s est de remettre en cause ces choses si évidentes qu'on ne les questionne même plus. Prenez donc cette expression - si banale - d'école "maternelle" par exemple. Pourquoi diable associer à ce sacro-saint lieu scolaire le statut de la mère, et rien que de la mère ? Ce réflexe plutôt dépassé rappelle les bonnes vieilles traditions patriarcales. D'aucuns parleraient même de "pépite sexiste". Et les autrices de développer : "Si le choix des couleurs et des jouets peut contribuer à enfermer garçons et filles dans des cases, la dénomination choisie pour définir certains lieux qui nous sont familiers n'est pas anodine non plus".
Et ce n'est pas la première fois que s'exprime ce désir de sortir des "cases". En 2013, rappelle l'encyclopédie, l'ancienne députée Sandrine Mazetier proposait au gouvernement d'alors de renommer "école maternelle" en "petite école" ou "première école". Des termes neutres. Qui n'associent pas la femme au rôle de la mère. Ou, comme le dit la politicienne, à "la charge affective maternante". Vous vous en doutez, l'idée - hélas - n'a pas été retenue. N'empêche, elle démontre ô combien le féminisme est également une histoire de langage. Des mots qui exigent d'être bouleversés.
Le Féminisme pour les nul·le·s s'adressent à toutes. Et à tous, bien sûr. A ce titre, on se penchera avec grand intérêt sur les recos qui sont adressées aux "alliés" en quête d'égalité. Etre un homme féministe, ce n'est pas Mission : Impossible. D'ailleurs, en France, 46 % des hommes se disent féministes. Mais que faut-il leur conseiller ? D'écouter les femmes, d'abord. De se remettre en question ensuite. De faire son "auto-diagnostic" - quitte à égratigner son orgueil. De prendre sa juste part au sein à la maison - et pas juste pour ce qui est des tâches ménagères. De se désolidariser des sexistes (de leurs blagues vaseuses comme de leur attitude). Entre autres !
L'implication des mecs n'a rien d'anecdotique. Pourquoi ? Car "l'atteinte de l'égalité entre les femmes et les hommes ne pourra se faire sans les hommes : les garçons et les hommes font en effet partie du problème... et de la solution", décochent les autrices. Un raisonnement tout à fait élémentaire s'il en est. Alors messieurs, retroussez vos manches. Achetez ce guide aussi étoffé qu'éclectique - où se croisent au détour des pensées la parole historique d'Olympe de Gouges et celle de la chanteuse Angèle. Et surtout, souvenez-vous : "Il n'y a pas de gène machiste héréditaire !".
Le féminisme pour les nul·le·s, sous la direction de Danielle Bousquet.
Par Margaux Collet, Claire Guiraud, Mine Gunbay et Romain Sabathier.
FIRST Editions - "Pour les Nuls". 456 p.