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Sexploration, le jeu de société qui modernise l'éducation sexuelle
Publié le 14 octobre 2019 à 19:01
Par Clément Arbrun | Journaliste
Passionné par les sujets de société et la culture, Clément Arbrun est journaliste pour le site Terrafemina depuis 2019.
Et si on parlait "autrement" de sexe(s) à nos enfants ? C'est ce que propose l'ingénieux jeu de société "Sexploration". Un projet salutaire à soutenir illico.
Portrait de Claire Vimont - l'instigatrice du jeu "Sexploration" Portrait de Claire Vimont - l'instigatrice du jeu "Sexploration"© Photos Sexploration - via Charlotte Boukechchache
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Cela fait déjà quelques temps que la start-up Topla "change la face du monde" - dixit le slogan - en proposant des jeux de société modernes et malins. On y trouve entre autres la série "The Moon Project", proposant aux enfants une variété de jeux girl power consacrés à l'égalité des sexes (s'y côtoient une bataille féministe et un jeu des sept familles constitué de "femmes inspirantes"). Aujourd'hui, son instigatrice Héloïse Pierre fait encore très fort en lançant le projet Sexploration (à prononcer à la française !), une mallette de cinq jeux consacrés (vous le devinez) au sexe et aux sexualités.

Destiné aux ados (à partir de douze ans), ce projet remue à grands coups de ludisme les fondements d'une éducation sexuelle un peu trop désuète à notre goût. Une bonne raison s'il en est d'aider l'initiative en participant à son financement par crowdfunding - direction Ulule ! Mais aussi de se poser les bonnes questions, celles qui bousculent les méninges : comment parler de sexe aux ados ? Quel équilibre trouver entre le sérieux et le "LOL" lorsque l'on effeuille les sexualités ? La jeune entrepreneuse éclaire notre lanterne.

Terrafemina : Comment est né "Sexploration" ?

Héloïse Pierre : Il y a six mois, j'ai rencontré sa créatrice, l'illustratrice Claire Vimont. Elle cherchait un éditeur pour son projet de fin d'études et m'a démarché. J'adorais le projet "Sexploration" et, après quelques jeux destinés aux enfants, cela faisait longtemps que j'avais envie de travailler avec les adolescents. Qui plus est à travers un sujet comme la sexualité, à la fois très clivant et fondamental. Car c'est la sexualité qui participe à la construction de l'individu et peut déterminer quels adultes nos enfants seront.

En cela, "Sexploration" est une continuité directe de la démarche des jeux de société Topla, qui s'attardent justement sur cette "construction" de l'enfant. En un sens, je crois que nous seuls pouvions - et devions ! - proposer un jeu comme celui-ci. En fait, c'est le moment idéal. Aujourd'hui, il y a comme un air du temps : l'on aborde davantage la sexualité et plus encore LES sexualités. Cependant, si l'on observe une libéralisation de ce sujet là pour les jeunes adultes, il y a encore un énorme vide pour ce qui est d'en parler aux enfants et aux ados – aux moins de dix huit ans, de manière globale.

Comment s'organise ce vaste jeu ?

H.P. : "Sexploration", ce n'est pas un, mais cinq jeux complémentaires, que l'on vend par mallettes. On trouve d'abord un "Vrai ou faux" sur les IST, composé de 55 cartes illustrées, avec des questions type "Est-ce qu'un moustique peut transmettre le VIH ?" ou (plus banal) : "Peut-on se faire dépister gratuitement en France ?". Le second jeu est consacré aux moyens de contraception. Deux posters représentent le corps de l'homme et celui de la femme. On a sous les yeux un éventail des différents moyens de contraception et on doit les positionner correctement, en fonction des sexes, tout en sachant que certains fonctionnent pour les deux (la stérilisation par exemple). Jouer permet de se rendre compte qu'il y a beaucoup de contraceptifs, comme la pilule, qui ne concernent que les femmes.

Sur le même sujet, on propose un Memory corsé, le "Mémo contraceptif", où il s'agit de retrouver le bon moyen de contraception - les cartes les décrivent, précisent leur efficacité pratique et leur fréquence d'utilisation. Cela permet aux ados de mieux comprendre leur emploi. C'est un Mémo pour eux : lorsqu'ils se posent des questions sur la contraception, il viennent s'informer. C'est plus sympa qu'un livre spécialisé !

"Sexploration", le jeu qui modernise la sexualité. © Photos Sexploration - Via Charlotte Boukechchache

Le troisième jeu est notre "jeu de rôle du consentement". C'est un jeu sur un sujet délicat, qui invite les ados à réfléchir sur ce qu'est le consentement. Ils se réunissent autour d'un maître du jeu (qui change à chaque tour) et piochent des cartes sur lesquelles sont inscrites des questions comme "Peux-tu m'envoyer une photo de toi dénudé.e. ?". Puis répondent par "oui" ou par "non". C'est le maître du jeu qui décide si l'autre a consenti ou pas, suite à toute une partie "mime". Ce jeu de rôle souligne l'importance du langage non-verbal. L'idée que personne ne consent jamais à cent pour cent. Mais il rappelle également aux ados que le consentement, cela ne concerne pas que la sexualité. C'est un enjeu qui se pose au quotidien.

Le quatrième jeu est "le jeu des privilèges", constitué de 55 cartes représentant différents personnages. Chaque joueur incarne un personnage, et avance ou recule en fonction des réponses qu'il donne aux situations qui figurent sur les cartes. Par exemple, si un garçon incarne une jeune femme, il décidera d'avancer ou de rester sur place en fonction de sa réponse à l'affirmation "je peux sortir en toute sécurité la nuit". Quand ils jouent, les jeunes interagissent. C'est un jeu sur les stéréotypes, et sur les discriminations que l'on peut subir en fonction de notre orientation sexuelle, notre identité de genre, notre couleur de peau. Il n'y a pas de bonnes et de mauvaises réponses. C'est la discussion qu'il suscite qui compte. Cela fait réagir, et réfléchir.

Enfin, le dernier jeu, "C'est pas tabou", consiste à faire deviner un concept sans employer certains mots "interdits". Faire deviner "cisgenre" sans utiliser "genre", "homo" ou "hétéro" par exemple. Les ados comprennent ainsi qu'il y a tout un lexique - lié aux identités de genre, à la prévention et aux pratiques sexuelles - qu'ils n'utilisent pas forcément. Ou des mots qu'ils connaissent mais ne parviennent pas à expliquer.

"Sexploration" comble-t-il un fossé ? Les ados manquent-ils encore de connaissances ?

H.P. : En France, dans les cours d'éducation sexuelle, on aborde la sexualité de façon "clinique" et alarmante. Il suffit de demander à un jeune ce qu'il sait de la sexualité, il va vous répondre : le papillomavirus, la contraception, les maladies sexuellement transmissibles, l'herpès... Or la sexualité ne se limite pas à ça ! On peut l'aborder de façon fun, positive et belle, et c'est ce que fait "Sexploration". Le sexe est quelque chose qui est censé donner beaucoup de plaisir à un être humain. On peut donc l'évoquer autrement.

Les collégiens ont très peu de connaissances concernant les pratiques et les orientations sexuelles. Ils emploient des mots comme "pédé" et "lesbienne" et ignorent pour beaucoup ce qu'est au juste un "transgenre" ou un "cisgenre". Pareil pour le consentement, qui est trop souvent aux abonnés absents. Nous essayons donc d'offrir des ressources aux ados, encadrées par des spécialistes (des gynécologues par exemple) pour qu'ils ne disent pas n'importe quoi. C'est une alternative aux sources qu'ils emploient généralement, comme Google et YouTube, et aux infos un peu trop hétéronormées qu'on leur propose volontiers.

Le jeu de société "Sexploration". © Photos Sexploration - Charlotte Boukechchache

On leur offre donc des outils. S'ils en ont besoin, ils savent que ça existe. Le collège est un bon point de départ car cela correspond à un âge où les pressions sociales sont énormes, où la grande question reste "qui a fait quoi, avec qui, où ?"... Il est donc important de leur en parler dès le plus jeune âge car cela créé non seulement de la connaissance, mais aussi de la tolérance. D'ailleurs, "Sexploration" a été pensé en collaboration avec Le Planning Familial, le mouvement féministe d'éducation populaire.

Et les jeux de société permettent-ils de briser plus facilement ces tabous dont le sexe regorge ?

H.P. : Oui, car lorsque l'on joue, on passe un bon moment. On apprend, on s'amuse, on discute, on se souvient. C'est l'outil idéal pour les parents qui souhaitent entamer une discussion avec leur(s) enfant(s). Je comprends que pour un ado, parler de sexe à des adultes peut être gênant. Et intégrer ces questions à quelque chose de très ludique rend la chose beaucoup plus facile et bien moins gênante. Puis après, comme pour nos jeux consacrés à l'égalité des sexes, il s'agit non seulement de se divertir autour d'un sujet, mais également d'aller plus loin, de ne pas rester en surface.

"Sexploration", le jeu qui parle sexe et sexualités. © Photos "Sexploration" - Charlotte Boukechchache
Autour du "jeu des privilèges", on trouve le terme "d'empathie". Pourtant, on a pas l'habitude le voir associé à l'éducation sexuelle. Pourquoi est-ce si important lorsque l'on parle de sexe ?

H.P. : Je suis une grande défenseuse de l'empathie (sourire). L'empathie n'est pas juste une intelligence émotionnelle, c'est un savoir-être. Je crois que tout ce qui va mal dans le monde est lié à ce manque d'empathie. Le désintérêt pour l'écologie, le racisme, le machisme. En vérité, l'empathie n'est pas une qualité innée chez les êtres humains. Elle s'apprend ! Il faut donc s'entraider. Et ne jamais arrêter de travailler son empathie, de l'aiguiser. C'est ce que permet "le jeu de rôle du consentement", puisqu'il qui nous met dans la peau de quelqu'un d'autre. Ce qui provoque la réflexion.

Quel avenir envisagez-vous pour Sexploration ?

H.P. : Après le crowdfunding, mon rêve serait de voir "Sexploration" diffusé dans les écoles. Que des responsables me proposent d'en acheter pour leurs collèges, ce serait super. L'infirmière scolaire pourrait s'en servir pour ses formations, la prof de SVT aussi, on les trouverait dans les CDI...

Ce qui est certain, c'est qui si "Sexploration" est distribué par-delà la France, il faudra le réadapter car la culture autour de la sexualité n'est pas la même ailleurs. On ne peut pas utiliser les mêmes mots. Quand on parle de sexe, il y a toujours des spécificités culturelles bien spécifiques !

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