Et si le féminisme nous rendait heureuses ? La question paraît naïve, la réponse est stimulante. Ex-porte-parole du collectif Osez le féminisme, Pauline Arrighi nous le démontre dans son opus éponyme. 200 pages bien étoffées qui, au gré de grandes thématiques et de multiples focus, s'attardent sur les travers, préjugés et révolutions qui investissent la société patriarcale. Victim blaming et clitoris, blues post-sexe et argument du "tu es trop moche pour être violée", imaginaire de la "pauvre petite hystérique" et culture populaire : rien ne manque à ce panorama intelligemment vulgarisateur d'un féminisme moderne qui théorise, s'indigne, combat, doute - aussi. Et qui nous instruit. La preuve avec ces quatre idées majeures.
"Il n'y a pas de mal à être puritaine, coincée ni mal baisée", balance Pauline Arrighi, et l'on s'en réjouit. Car aucun de ces termes n'a de sens. Dire non à une pratique, ce n'est pas être "mal baisée", c'est affirmer ses droits. Refuser d'être dans un simple rapport de prédation. Ne pas craindre d'être insoumise aux normes. Et déjouer le male gaze, ce regard masculin qui s'attarde sur le physique des femmes - et auquel l'autrice consacre un joli chapitre. En suggérant à cet oeil "qui déshabille salement" que le souci, c'est peut-être lui, en fait. "Mal baisées, d'accord, mais par qui ?", riposte à ce titre la militante.
Déjouer ce standard misogyne à souhait de la "mal baisée" permet de tendre doucement mais sûrement vers une "sexualité non patriarcale", basée sur la connaissance de soi-même et de sa jouissance. Car remettre en question ce que nous dicte un système patriarcal, c'est également disputer les désirs qu'il nous inflige. Et reprendre en main son plaisir. Avec ou sans pénétration. "Imaginez que vous découvriez votre corps comme si c'était la première fois. Demandez-vous ce qui vous fait réellement le plus de bien", recommande avec bienveillance l'autrice.
Mais Pauline Arrighi ne se contente pas de bousculer les piliers du patriarcat. Au gré des pages, elle fait mouche en s'attaquant à nos propres contradictions. Parmi elles, la plus puissante : les femmes aussi peuvent être misogynes. Lorsqu'il s'agit d'exprimer de l'hostilité envers une consoeur, l'opprimer, porter des jugements sur son apparence, s'alourdir de ces injonctions qui tendent à diaboliser la "faiblesse" et les "victimes". En fait, c'est une "misogynie intégrée", explique l'auteure, "une haine des autres femmes mais avant tout une haine de soi" : un déni de sa propre condition.
Accepter l'existence de la "misogynie féminine" a tout de l'introspection. Il faut saisir pourquoi nos sales pensées se destinent aux "filles faciles" et notre jalousie aux leadeuses et autres "working girls", prendre conscience de cette charge mentale nourrie de culpabilité que l'on fait peser sur les épaules des mères au foyer, et des réflexions volontiers déplacées que l'on décoche aux femmes battues. C'est la fragilité de la sororité - cette fameuse solidarité féminine - que l'autrice dépeint, avec tact et sans fatalisme. La preuve, elle nous propose même quelques petites astuces afin d'adopter le bon comportement. Et pour elle, aucun doute : "les femmes misogynes ne doivent pas nous empêcher d'être féministes". Et puis quoi encore ?
Petit précis de féminisme idéal pour initier les jeunes générations aux convictions les plus punchy, cet opus leur apprend également à couper la chique aux trolls. A travers son guide "d'autodéfense intellectuelle contre le sexisme", la porte-parole d'Osez le féminisme épingle les tactiques dites "d'enfumage patriarcal" (style "c'est de l'humour !" ou "tu l'as bien cherché"). A cela, que répondre ? Ce que l'on veut, tout simplement. Un bon mot qui cloue le bec. Un concis "je n'ai pas envie de parler" ou un "je m'en vais" pour assurer aux mâles en manque d'attention une bonne déconfiture. Ou bien un réjouissant mépris qui le condamnera à éructer dans le vide.
"Il n'est malheureusement pas toujours possible de mettre fin à un échange. Certains propos violents sont qualifiés juridiquement et passibles de poursuites. Vous êtes en droit de porter plainte au commissariat ou à la gendarmerie" rappelle cependant l'autrice. Face aux langues les plus toxiques, le féminisme est une arme. Mieux encore, il est une médecine, "une cure détox qui débarrasse le corps et l'esprit des toxines du patriarcat"
Sous ce curieux titre très "développement personnel-friendly" se cache en vérité une introspection bien plus viscérale qu'il n'y paraît : et si s'indigner, c'était s'émanciper ? En tordant le bras au sempiternel cliché de la "terreur féministe", Pauline Arrighi nous rappelle que la colère est saine. Et que le féminisme est avant tout le récit d'une révolte intérieure et individuelle qui concentre en elle un nombre considérable de thématiques universelles : la composition des phrases et les inégalités salariales, la pilosité et la publicité, les menstruations, la lutte contre le racisme et l'allaitement.
"Nous sommes excessives dans notre aspiration au respect dans un monde excessivement irrespectueux", décoche la militante, pour qui cette colère collective "ne détruit pas celle qui l'éprouve mais trouve un exutoire qui lui donne du sens". Car derrière elle s'immisce l'épanouissement : "par l'action qui embellit le monde, la colère se transforme en force", lit-on encore. Bref, pour être libres et heureuses, soyons furax. Sans peur ni reproche. Seul bémol ? "Le féminisme rend heureuse, mais il ne vous rendra pas populaire", s'amuse l'autrice. Tant pis, prenons le risque !
Et si le féminisme nous rendait heureuses ? par Pauline Arrighi
Editions InterEditions