Les chiffres sont formels : en France, 100 % des femmes empruntant les transports en commun témoignent y avoir été harcelées au moins une fois cours de leur vie, selon le Haut Conseil à l'Egalité. Et 86 % des Françaises confient avoir au moins une fois été victimes d'atteinte ou d'agression sexuelle dans la rue, d'après une enquête IFOP pour la Fondation Jean Jaurès, datant de fin 2018. Elles rapportent des insultes, des commentaires obscènes, avoir été suivies, touchées, frappées. S'être senti humiliées.
Un constat qui, au-delà de dénoncer des violences sexistes et des comportements discriminants systématiques, pose aussi une question pragmatique : que faire si on assiste à une situation pareille ? Comment réagir si un homme harcèle ou agresse une femme devant nous, si on identifie un comportement qui met mal à l'aise une utilisatrice du métro, une personne qui marche dans la rue ? Quels sont les gestes à entreprendre, ceux à éviter, auprès de la victime comme de l'agresseur. Aussi : de quelle façon sortir de cet état commun qu'est la sidération ?
On a demandé à Marie Laguerre, la jeune étudiante en architecture qui a eu le courage de répondre à l'homme qui l'appelait comme un animal parce que ce jour-là, elle en avait assez. Il a rétorqué en la giflant, elle s'est promis de ne plus se taire. Autrice de Rebellez-vous (ed. L'Iconoclaste), aux côtés de la journaliste Laurène Daycard, elle revient au fil des pages sur ce jour où beaucoup de choses ont changé, et livre des conseils pour celles qui veulent appréhender une situation similaire, malheureusement trop banale. Elle nous confie ce qu'elle pense être la meilleure façon d'aider une femme qui se fait harceler ou agresser sous nos yeux.
"Il ne faut pas attendre que les autres bougent, il faut bouger soi", assure Marie Laguerre. L'une des raisons, selon elle, que les un·e·s et les autres se renvoient la balle, sans oser faire le premier pas ? "La peur du ridicule", lance-t-elle. Celle de ne pas savoir quoi dire, voire de mal interpréter la situation.
"Mieux vaut s'être trompé·e que de laisser une femme se faire harceler ou agresser par crainte d'avoir l'air bête", rappelle Marie Laguerre. Si agir seul·e nous effraie, on peut également solliciter les autres passager·e·s ou passant·e·s. Prendre la parole permet à nos voisin·e·s immobiles de sortir de leur stupeur, de se sentir concerné·e et de ne plus être en capacité d'ignorer ce qui se passe.
Pour Marie Laguerre, il est tout à fait possible d'éviter la confrontation directe. Et aussi normal de ne pas vouloir se risquer à aggraver les choses en s'adressant au harceleur. "En interpellant la personne qui subit le harcèlement de façon naturelle, comme s'il s'agissait d'une amie, on permet aussi de ramener la situation à la réalité", explique-t-elle. De rappeler à l'un·e comme à l'autre qu'ils ne sont pas seul·e·s et qu'en l'occurrence, des gens autour sont prêt·e·s à intervenir.
En signifiant sa présence comme allié·e de la victime, on rompt aussi l'isolement dans lequel la place le harceleur pour mieux arriver à ses fins. Un mécanisme que l'on applique également par prévention, en s'installant à côté d'une femme seule dans le métro ou dans les transports.
"Intervenir directement en mettant des mots précis et calmes sur ce qui se passe" est également une solution qui fait prendre la mesure de ce qu'il risque au harceleur, indique Marie Laguerre. On peut alors invectiver : "votre comportement met cette femme mal à l'aise" ou : "Ce que vous faites est du harcèlement sexuel, c'est un délit interdit par la loi et passible de deux ans d'emprisonnement et 30 000 euros d'amende".
Des phrases simples qui mettent devant le fait accompli, qu'on lâche facilement et qui ont tendance à stopper l'auteur des faits.
"Filmer ou prendre des photos permet de fournir des preuves précieuses si la victime veut porter plainte", poursuit Marie Laguerre. Alors bien sûr, précise-t-elle, il faut prioriser l'aide à cette dernière. Mais si on analyse qu'une tierce personne est déjà en train d'intervenir, on peut rester en retrait et utiliser son téléphone à bon escient.
Un réflexe qui, certain·e·s membres des forces de l'ordre l'avouent, permet de faire avancer les enquêtes, d'anticiper un classement sans suite de l'affaire, et surtout d'être (enfin) entendue.
Lorsque l'agresseur n'est plus en capacité de lui nuire, on peut s'occuper de placer la victime en sécurité. "Lui demander comment elle se sent, lui dire que ce qu'on lui a fait n'est pas normal, utiliser des mots déculpabilisants", conseille Marie Laguerre.
Il est essentiel qu'elle comprenne qu'elle n'a rien à se reprocher, qu'elle n'a rien fait de mal. La honte ne doit pas s'installer de son côté, et l'entendre d'une personne extérieure permet de l'en convaincre.
Les numéros d'urgence et d'écoute sont les suivants : le 3117 pour appeler les agent·e·s de la RATP lorsque le harcèlement ou l'agression a lieu dans les transports parisiens, le 17 pour appeler la police. Des organismes qu'il est d'autant plus important de joindre lorsque le harcèlement se transforme en agression. "Malheureusement, les agent·e·s ne sont pas toujours réceptifs, mais le but est que cela finisse par fonctionner", déplore la jeune femme. "Il ne faut donc pas baisser les bras".
Il est aussi essentiel de porter plainte pour entamer des poursuites et que les auteurs des faits soient tenus responsables de leurs actions, jugés et ne puissent plus opérer sur une autre.
"Il ne faut pas commenter sa tenue, ni minimiser ce qui vient de se passer", insiste Marie Laguerre, qui met en garde contre les conseils et les phrases censées "rassurer" mais qui cachent en réalité un réflexe nocif de victim-blaming (typiquement : lui aviser de s'habiller différemment la prochaine fois ou lui dire que ce n'est pas si grave car "elle n'a pas été touchée", s'il s'agit de harcèlement). Et surtout, qui peuvent la dissuader de porter plainte ou de parler. Or c'est justement en amenant ces cas devant les autorités et devant l'oeil du public que les choses bougeront.
"Dans mon exemple, beaucoup de gens voulaient voir des personnes de la vidéo taper mon agresseur. Alors que répondre à la violence par la violence n'est jamais la solution", poursuit-elle. D'une part car cela peut envenimer dramatiquement la situation, d'une autre parce que l'on est susceptible de risquer à notre tour une plainte pour coups et blessures.
L'expression est de plus en plus courante. L'état de sidération se dit d'un phénomène reconnu en psychiatrie qui empêche une victime de réagir lorsqu'elle est confrontée à une angoisse extrême. "La victime est tétanisée, ce qui lui permet de diminuer sa souffrance physique et psychique", précise la psychiatre Muriel Salmona, interrogée par Franceinfo, qui parle également de "réactions neurobiologiques normales du cerveau face à une situation anormale, celle des violences". Seulement parfois, les témoins de harcèlement ou d'agressions sexuels aussi, font face à cette paralysie.
"Il faut partir du principe que la sidération est un mécanisme de défense, il ne se contrôle pas", encourage Marie Laguerre. "Il faut l'accepter et ne surtout pas culpabiliser. C'est tout à fait normal de ne pas être préparé·e à ces expériences". Pour le contrer, estime-t-elle, il est nécessaire de se conforter dans le fait que l'on est légitime d'agir, et surtout ne pas trop se focaliser sur nos réactions spontanées. "Il ne faut pas redouter non plus de ne pas avoir la répartie parfaite, de dire quelque chose de nul", poursuit-elle. Pour sortir de cet état de sidération, elle conseille de trouver le contact extérieur, de parler à quelqu'un situé·e à côté de soi, qui pourrait devenir notre allié·e. "Ainsi, on se sent plus fort·e pour réagir".
Et c'est peut-être là le conseil à retenir absolument : avant de se demander comment, surtout, on réagit.