J'ai un péché mignon : j'aime lire les témoignages d'histoires de rencontres ratées des autres. Ça me rappelle le bon vieux temps où chaque date se transformait en fiasco notable, et où j'ai fini par aborder mes rencards avec un recul suffisant pour parier sur ce que mon interlocuteur pourrait bien me réserver cette fois-ci. Finirait-il par disparaître en allant chercher des cigarettes, m'inventer un quelconque voyage de six mois en Amérique latine pour mettre fin à une relation sans accroche, me proposer de tenter le polyamour ou - bien plus prévisible - me ghoster ? Niveau surprises, je n'ai jamais été déçue. Et il y en a même qui ont marqué mon esprit plus que d'autres.
Il y a quelques mois, je suis tombée sur un énième compte Instagram spécialisé dans la publication de messages reçus assez catastrophiques. Après @exrelou (génie) et @tejpartexto (brillant), je trouvais @beam_me_up_softboi (contacte-moi, soft boi), le fil dédié aux "soft boys", ou "soft bois", comme les appellent les Britanniques - utilisant volontairement l'orthographe argot du terme pour souligner leur pathétique besoin de se sentir rebelles. Pour celles et ceux qui ne seraient pas familier·es avec l'appellation, la traduction exacte est "garçon sensible". Là, vous vous demandez - et à juste titre - en quoi serait-ce une si mauvaise chose qu'un homme dévoile ses émotions et ses sentiments, surtout quand on passe notre temps à critiquer leur manque d'attention ? J'entends bien.
Sauf que le soi-disant "softboi" n'a de la sensibilité que le nom. Faites-moi confiance : j'en ai fait les frais pendants trois mois intensifs à gérer le narcissisme déroutant de quelqu'un pour qui "être heureux" était trop ordinaire - et il se peut que vous aussi, à votre insu. En voici le portrait pour mieux cerner le phénomène et l'éviter à tout prix.
S'il devait y avoir une chose à retenir du "soft boi", c'est donc que la sensibilité du garçon n'est ni sincère, ni utilisée à bon escient. Surtout, elle devient une technique à part entière pour justifier un comportement douteux, imposer une domination, ou un besoin insatiable de parler de soi. Le "soft boi" se sent à part et veut le faire comprendre à tout le monde. Il passe son temps à étaler sa propre culture, a toujours une longueur d'avance à l'écouter - il connaît tout depuis plus longtemps que les autres -, et déteste ce qui est populaire - il est bien au-dessus de ça.
"Le fait de se prétendre différent de la façon la moins unique qui soit", définit une internaute. Et en ce sens, il recherche quelqu'un de presque aussi exceptionnel que lui. Mais pas tout à fait, histoire de ne pas se sentir menacer. De toutes façons, pour lui, personne ne lui arrive à la cheville et peu le surprennent : son intelligence est telle qu'il "lit" les gens, il sait à qui il a affaire parce qu'il aime l'humain - et l'humaine, plus précisément.
Il a beau nous avoir croisée deux fois en tout et pour tout, voire simplement aperçue sur une appli de rencontre, il a percé à jour notre personnalité. Il a compris ce qui nous animait, nos failles et nos faiblesses, celles que l'on n'avoue qu'à demi mot. Bref, il pourrait être l'auteur de Natasha St-Pier si Obispo n'avait pas déjà chopé le filon. Il nous connaît même mieux que nous-même, ce petit génie. Là encore, on pourrait se dire que sortir avec une personne qui nous comprend, c'est l'idéal.
Sauf que, une fois de plus, il s'agit dans cette situation davantage d'un acte criant de condescendance que d'une envie légitime d'en apprendre plus sur l'autre. Il nous met dans une case histoire d'entretenir une domination malsaine sur notre personne - et de provoquer une psychologie inversée classique : nous donner envie de lui prouver qu'il a tort. Donc lui apporter de l'intérêt ou plutôt qu'on lui montre que l'on vaut le sien. Tout un programme. Le "soft boi" a fait de la masturbation intellectuelle et émotionnelle un sport olympique dont il est le médaillé d'or incontestable. Et il dort très bien la nuit, merci pour lui.
Alors, où rencontre-t-on ces énergumènes peu recommandables ? En ligne, principalement, où ils peuvent aborder une fille (voire dix) à l'aide de messages qu'ils composent comme des poèmes sur la fenêtre de leur âme. Evidemment, les entrées en matière sont identiques et débordent de références incompréhensibles, comme un test qu'ils feraient passer à de potentielles candidates à leur coeur.
Dans la plupart des cas, le "soft boi" a aussi le don d'utiliser les grandes causes sociales de notre époque pour se mettre en valeur. "Bien sûr qu'il est féministe", affirme non sans sarcasme Metro UK dans un papier dédié. "Il a tellement de sentiments qu'il est tout à fait logique pour lui d'être aussi passionné par l'égalité des sexes et l'aide aux minorités. Quel mec progressiste."
Il oscille aussi entre déclarations romantiques précoces et sextos trop anticipés avec une franchise sur ses motivations dont on se serait bien passée ("Je ne suis pas esclave de mon pénis. Je baise avec mon coeur", écrira l'un d'eux sur @beam_me_up_softboi). Dans sa tête, il s'assure que son "honnêteté" fait de lui quelqu'un de bien. Que s'il n'est pas heureux c'est seulement car l'ère dans laquelle il vit ne lui correspond pas, et c'est ce mal-être qui le pousse à traiter les femmes avec lâcheté et mépris (il finira par vous ghoster, sans l'ombre d'un doute). En aucun cas son propre égoïsme. Vous l'aurez compris, le "soft boi" est simplement un connard qui a bouffé trop de Paul Eluard.
Heureusement pour la survie de l'espèce, son stratagème est facilement repérable, et il suffira d'en rire plutôt que d'en pleurer. En d'autres termes : foutez-vous ouvertement de sa gueule, il ne mérite que ça.