Les "Pervers Narcissiques" (PN) ont envahi le monde : des milliers d'articles parus sur le Net ou dans les magazines, et des dizaines de livres publiés sur le sujet. Ils sont partout, et, nous ne pouvons plus en douter désormais, ils nous veulent du mal !
Pourtant, bien souvent, l'étiquette "pervers narcissique" camoufle un tout autre personnage : le bon vieux parano, qui se sent éternellement outragé, floué et spolié, notamment par ses proches. En effet, tous deux ont plus d'un point commun : leur ego démesuré, leur indécrottable propension à nier les évidences, leur force de conviction, leur tendance à inverser les rôles... Comment les reconnaître ?
Bien avant l'arrivée du PN dans la littérature psy des années 80, le paranoïaque était déjà décrit, depuis longtemps, comme un manipulateur-né, utilisant tous les ressorts possibles de l'emprise mentale : préparation du terrain par la terreur ou la séduction, pressions psychologiques diverses, puis bombardement de raisonnements para-logiques interminables et d'insinuations. Le tout, servi par un aplomb inébranlable.
Comme le pervers narcissique, le parano attribue à son interlocuteur, "en miroir", ses propres intentions et travers inconscients. Il rejette sur l'autre la culpabilité des persécutions dont il est l'auteur, et se pose inversement en victime. Les ficelles paranoïaques sont les mêmes que celles de la rumeur et de la propagande : sur quelques prémisses fausses, le parano bâtit des argumentations crédibles, solidement étayées, et donc très convaincantes.
Mais, si le parano accumule les "preuves" et rumine longuement ses plans. Le PN, lui, se fie à son instinct de fauve, au coup par coup : il vit dans le présent.
N'étant ni l'un ni l'autre doués pour les mariages heureux, ils passent rapidement à la "case divorce" et se retrouvent invariablement dans les prétoires. Mais si le PN se fait généralement "traîner" devant le juge, le parano, lui, vous y assigne avec fracas. C'est une autre manière de les distinguer. Car le terrain de prédilection du paranoïaque est le système judiciaire où il évolue comme un poisson dans l'eau. C'est un Cyrano des tribunaux, grandiose, emphatique, prompt à murmurer ses mots doux au juge comme à une Roxane, puis, si sa séduction ne fonctionne pas, à sortir l'épée, et à affronter avec panache des armées entières.
Sa femme, ses enfants se détournent de lui ? Ils clament tous qu'il est un tyran domestique ? Ha ! Ils regretteront amèrement leur trahison quand le glaive de la justice leur clouera le bec.
Hélas, la loi et les procédures vont être ses principaux alliés : la plupart des divorces hautement conflictuels génèrent spontanément des situations paranoïaques. Parce que la garde exclusive des enfants est en jeu (souvent après que des maltraitances ont été alléguées) ; parce que dans chaque camp, on clame la folie de l'adversaire. Alors, les culpabilités sont inversées et renvoyées à l'autre comme une politesse.
Dans ces procédures complexes, cet enchevêtrement d'accusations croisées et d'arguties interminables, les PN et les paranos sont toujours ceux qui s'en tirent le mieux. Leur raisonnement est imparable, ils apparaissent comme les victimes évidentes. Et, drapés de leur dignité, ils ont déjà l'assurance du vainqueur. Pourtant, le paranoïaque a une longueur d'avance : tout est caricatural dans sa position. Il ne peut pas être une demi victime ou un demi vainqueur : c'est un martyr, un héros dont la justice doit consacrer le triomphe.
Le PN est un monstre d'orgueil, certes, mais le parano, lui, est un chevalier blanc, rien de moins. C'est un époux et père admirable, qui vient réclamer à qui de droit (le juge, la République, la Nation) la reconnaissance et la récompense qu'il mérite. Et pour que sa gloire soit complète, son adversaire doit être laminé, détruit, humilié...
Contrairement au pervers narcissique, qui ment sans vergogne et en jouit, le paranoïaque, lui, est intimement convaincu de ce qu'il raconte. Quand il jure, il y met toute son âme, et il pourrait mourir pour ses convictions. Dans ce sens, il n'y a pas plus convaincant que lui. D'ailleurs, quand le PN se défend seul, avec panache, le parano réunit le plus souvent un "comité de soutien", composé des relations familiales, professionnelles, associatives, de voisinage, auxquelles il aura inspiré pitié... et qui, plus tard, regretteront amèrement leur engagement.
Par Caroline Bréhat et Thibaud Leclech du Cabinet Rivages.