"C'est drôle parce que ça a commencé comme ça, par moi fascinée qui découvre cet homme voilé ; et ça a continué, tout le temps, comme ça, avec moi fascinée qui soulève les voiles un à un sans trouver jamais, en dessous, aucun visage". Line Papin a beau être jeune - 20 ans à peine - sa jeunesse est loin d'être une entrave aux sentiments, aux sensations qui la parcourent. Son premier roman, L'éveil, n'est que ça : une prose toute en intensité, des mots qui dansent, s'épousent, dont on se délecte. Et puis une histoire d'amour. Un triangle amoureux dans un Hanoï moderne mais sans âge.
Juliet, expatriée australienne, rencontre un garçon fascinant, mystérieux. Mais le garçon est encore marqué par la présence de Laura, une fille explosive, "explosée" même selon Line Papin. Pendant 250 pages, l'auteure franco-vietnamienne déroule leur histoire, s'insinue dans leurs pensées et désirs les plus secrets. A cet enfièvrement, vient se greffer Hanoï, ville étouffante, tumultueuse et gorgée de sensualité. S'il est ambitieux et abouti, le roman de Line Papin n'est pas mature. Ode à la jeunesse, à l'énergie et la mélancolie qui s'y rattachent, L'éveil, c'est l'âge des sentiments forts et absolus. Rencontre avec l'une des plus jeunes plumes de cette rentrée 2016, l'une des plus inoubliables aussi.
Line Papin : J'ai mis trois ans. Ça a été très difficile parce que je l'ai écrit par fragment, et non pas dans la continuité. Je me penchais dessus quand les émotions me submergeaient. Du coup, ça a été dur de tout lier pour que ça fasse un récit continu.
L.P : En fait je me suis surtout intéressée aux émotions des personnages. D'un côté la colère, la solitude, le deuil, et puis de l'autre, l'éveil à l'amour. Ce sont ces émotions-là qui ont porté le récit, avec Hanoï aussi. Tout ça a formé un climat un peu tropical.
L.P. : Je n'ai pas choisi exprès en fait. J'ai presque écrit dans un état d'inconscience, je me laissais porter. Je ne me suis pas dit : je vais placer le récit à Hanoï. J'ai écrit, écrit, et au final, je suis même surprise que ça se passe à Hanoï car en arrivant en France, c'est un peu une partie de ma vie que j'ai gommée, dont je ne parlais pas. Peut-être que j'avais besoin d'exorciser au final.
L.P. : Je me suis laissée porter par mes souvenirs. Mais le pays lui-même laisse une grande place à la sensualité, le climat, les sensations etc. Après, ce n'est pas du tout cru. La sexualité est effleurée.
L.P. : Je ne sais pas si c'est générationnel. Mais c'est quelque chose que je ressens personnellement et que je peux ressentir chez certains de mes amis, effectivement. Après, est-ce que c'est propre à aujourd'hui ? Lorsqu'on lit les romantiques du 19e siècle, on se rend compte qu'ils étaient aussi un peu sombres. Cette espèce de spleen, je ne sais pas s'il est propre à aujourd'hui. Mais c'est peut-être aussi une question d'âge, tout simplement.
L.P. : Du plus loin que je me souvienne, j'ai toujours écrit. Même avant de savoir écrire, j'inventais des histoires, j'aimais me créer un monde à moi. Avant de me coucher le soir, c'est moi qui racontais des histoires à mon père et non l'inverse. Quand j'ai su écrire, j'ai commencé à coucher des petites histoires sur le papier. Puis vers 16 ans, j'ai eu une période où je me suis un peu renfermée, c'était un moment un peu sombre dans ma vie. Et c'est là que je me suis mise à écrire sérieusement.
L.P. : Oui, forcément. Pour chaque personnage, je me suis servie de mes expériences. Mais en même temps, je n'ai pas voulu écrire quelque chose sur moi. Je ne veux pas qu'on rattache ce qu'ils vivent à moi. Je me suis servie de ce que j'ai vécu, de mes sensations, mais ce n'est pas autobiographique.
L.P. : C'est une figure super fantasmée. C'est l'homme dont rêve Juliet. Et le fait de lui donner un prénom, je trouvais que ça le faisait retomber dans un individu au lieu de le laisser comme un fantasme. Si d'un coup il s'était appelé Pierre, tout tombait par terre ! Du coup, je ne lui ai pas trouvé de prénom. J'ai préféré que ce soit " Lui " avec un grand L. Un peu comme Dieu.
L.P. : Oui, je pense qu'il y a un éveil à la sensualité. Un éveil aux sensations d'Hanoï aussi. Ils sont tous étrangers, ils arrivent là-bas et ils découvrent cette ville. Et en la découvrant, ils en prennent plein la gueule. Ce n'est pas qu'un éveil à l'amour, c'est un éveil des sensations, des sentiments forts.
L.P. : Je ne lis pas beaucoup d'auteurs contemporains. Je préfère les auteurs classiques comme Hugo, Camus, Duras, Balzac, Zola. Après, je pense aussi à des auteurs russes comme Nabokov. Là, je viens de finir Cent ans de solitude. C'est bête mais j'ai l'impression qu'il faut commencer par là avant de passer aux contemporains. Je me dis que c'est une espèce de garantie. Que je vais lire du lourd, que je vais apprendre auprès de maîtres.
L.P. : Là, je suis un peu stressée, j'ai l'impression qu'écrire est devenu une sorte d'obligation. Donc je me mets un peu la pression. Avant j'écrivais dans mon coin, mais maintenant je me dis qu'on va me lire, que ça devient important. Donc je planche déjà sur un deuxième roman. Sans trop en dire, j'ai décidé de choisir une autre grande ville. J'ai envie que les villes où se déroulent mes histoires aient une place aussi importante que l'intrigue elle-même. La prochaine fois, ce sera une ville européenne.
L'éveil de Line Papin, 256 pages, ed. Stock, 18,50€