Le premier roman de Chinelo Okparanta, salué par plusieurs prix et des journaux prestigieux comme le New York Times, traite du parcours d'une femme, Ijeoma, qui va découvrir sa homosexualité. L'histoire débute en pleine guerre du Biafra au Nigeria qui durera de 1967 à 1970. Quand la guerre éclate, elle n'a que onze ans. Son père meurt dans le bombardement de leur maison et sa mère perd la raison au point de ne plus avoir la force de s'occuper d'elle.
Elle va placer Ijeoma chez un couple d'amis dont le mari est professeur. S'il et elle l'accueillent et lui promettent de lui payer sa scolarité, elle devra tout de même être la bonne à tout faire de la maison. Puis viens Amina, une jeune adolescente comme elle. Elle vient d'une ethnie différente, mais Ijeoma va réussir à convaincre le couple de la garder.
Se côtoyant tous les jours et habitant dans la même petite chambre, elles finissent par s'ouvrir l'une à l'autre et explorent leurs sentiments et leur sexualité. Mais un jour, elles sont découvertes par le maître de la maison. Ijeoma est tout de suite rendue à sa mère qui va tenter de lui inculquer que l'homosexualité est une abomination en lui enseignant encore et encore des passages de la Bible. Entre mariage accepté pour entrer dans le moule, et répression, Ijeoma va faire un voyage intérieur pour se trouver.
Sous son écriture simple, Sous les branches de l'udala dit tout et explore avec subtilité les tourments de son héroïne. L'autrice Chinelo Okparanta arrive à aborder une multitude de thèmes sur les droits humains LGBTQI et le féminisme. L'udala est en effet un arbre national au Nigeria. La légende raconte que les femmes qui se placent sous le feuillage de ces arbres seront plus fertiles. Mais ce roman est bien qu'une histoire d'amour homosexuelle. Il ausculte les sentiments de ces femmes qui ne veulent pas d'enfants, mais aussi sur les différences genrées entre hommes et femmes.
Chinelo Okparanta, 37 ans, est née au Nigéria et arrive avec ses parents aux Etats-Unis à l'âge de dix ans. Elle enseigne à l'université de West Lafayette et de Princetown. Avant Sous les branches de l'udala paru en 2015 aux États-Unis, elle a publié un recueil de nouvelles, Le bonheur comme de l'eau, sorti en 2014 en France.
Chinelo Okparanta est une personne lumineuse. Son livre est triste, parfois emprunt de résignation, mais magnifique. Il est le récit d'une "guerre extérieure et intérieure". Elle explique avoir choisi cette thématique parce qu'elle lutte pour les droits humains et que ce sujet qui la touche personnellement : "Je sais ce que c'est de ne pas pouvoir être moi-même dans la société alors je voulais avoir une discussion d'identité pour ceux et celles qui ne peuvent pas être eux-même." La réflexion d'Ijeoma, elle l'a eue aussi, même si son personnage à son chemin propre et une réflexion qui a pu être un peu différente.
Le livre est aussi le récit d'un "voyage" comme elle l'appelle, pour son personnage et pour sa mère qui peut paraître au lecteur énervante et répressive. Ce qu'elle est pour se conforter à ce que la société attend d'elle. Alors ce livre, elle espère qu'il puisse être offert à des parents : "Cela a été un voyage pour les membres de ma famille. Ma soeur l'a accepté. Pour ma mère et mon frère, c'était plus difficile, mais ils ont changé d'avis. Au point qu'aujourd'hui, même ma mère lutte pour les droits humains, elle a compris que certaines règles dans notre société n'ont pas de sens."
Chinelo Okparanta évoque une anecdote : "J'ai reçu une lettre d'une jeune fille de Portland dans l'Etat de l'Oregon aux États-Unis, elle avait le même problème qu'Ijeoma. Après l'avoir lu, elle m'a écrit qu'elle allait le donner à son père qui n'acceptait pas son homosexualité. Elle m'a dit : "Comme ça, il va comprendre ma vie". Il y a aussi une mère qui m'a dit que ça l'avait aidé à comprendre son enfant."
La religion tient une place importante dans le livre. La mère d'Ijeoma s'en remet à la religion pour tenter de "rééduquer" sa fille et lui faire comprendre que son lesbianisme est une abomination. D'ailleurs, Chinelo Okparanta a grandi dans une famille témoins de Jéhovah et a étudié toute sa vie la Bible.
Comment réagit-elle aux propos du Pape François qui a incité les parents d'enfants qu'ils croiraient homosexuel·le·s à s'adresser à des psychiatres ? Elle soupire et lève les yeux au ciel : "Je n'ai pas vu la vidéo directement mais on m'en a parlée. Je pense que c'est une tragédie. Dans le livre, je raconte le conte de Chikwendu, un garçon qui lutte avec un chien pour un bout de viande. Le chien est violent et fait du mal au petit garçon. Au lieu de prendre soin du garçon, la société prend soin du mauvais chien. On prend soin des personnes qui attaquent les autres, pourquoi dire que le problème est l'enfant ?"
La religion a également pourri l'image que la société nigériane avait de l'homosexualité. Chinelo Okparanta raconte d'ailleurs : "Il y avait une religion traditionnelle avant au Nigeria, il n'y avait pas de problème. Ma grand-mère a aussi profité d'un système qui lui a permis de se marier avec une autre femme. Aujourd'hui, on tente de m'y trouver une justification en racontant que c'était un mariage économique, mais c'est la base du mariage que cela soit économique ! Le principal, c'est de dire que ce système rendait cela possible. Ce n'était pas criminel. Mais à cause de la religion chrétienne, cela a été brisé."
Elle ajoute même l'histoire du groupe des Yan Daudu vivant au nord du Nigéria : "Ils ont leur propre communauté et ils acceptent toutes les personnes sans considération pour le genre auquel elles appartiennent."
À la fin du livre, dans une note qu'elle ajoute au roman, Chinelo Okparanta explique qu'en 2014, le président du Nigeria a fait passer une loi criminalisant l'homosexualité. "2014 était une année électorale au Nigeria. Et parce que c'est un pays très chrétien, le président d'alors, Goodluck Johnatan, s'est servi de cela pour passer une loi anti-homosexuel·le·s en pensant qu'il allait y gagner des voix. Il a quand même perdu. Sauf que lui n'est plus là, mais la loi elle, sévit toujours. Et aujourd'hui, elle est à l'origine de chantage. Si quelqu'un trouve une personne LGBTQI, il peut la menacer de la dénoncer contre de l'argent. Donc ce n'est pas une histoire de religion mais d'argent. La religion est une excuse".
Le Nigeria et les États-Unis sont-ils des pays si différents dans leur manière de traiter les personnes LGBTQI ? A cette question elle répond simplement : "Quand on va au Nigeria, cela saute aux yeux qu'il y a des problèmes. Tout le monde peut le voir tout de suite. Mais si tu vas aux États-Unis, et si tu restes assez longtemps, on peut voir les mêmes problèmes qu'au Nigeria. Aux États-Unis par exemple, parmi les jeunes personnes SDF, une majorité est composée de personnes LGBTQI qui ont été chassées de chez elles par leur famille qui ne les accepte pas. C'est juste que cela se voit moins au premier abord."
Chinelo Okparanta travaille actuellement sur deux nouveaux livres. On a hâte de découvrir.
Sous les branches de l'udala, Chinelo Okparanta, éditions Belfond, sortie le 23 août 2018, 22€