À partir du XVIIIe siècle, un Anglais du nom de John Marten parvint à convaincre une bonne partie de l'Angleterre que la masturbation avait des effets dévastateurs sur les hommes et les femmes, comme la surdité, les migraines, la débilité, des convulsions, etc. Puis le Dr Tissot, dont la renommée n'était plus à faire, se chargea d'en convaincre le reste de l'Europe (tout comme il se chargea de déconseiller aux femmes la lecture, néfaste à leur santé). Qu'il s'agisse du premier ou du second, les deux poursuivaient des buts mercantiles, car outre la vente des livres, il y avait la vente de traitements, potions miraculeuses, ou solutions radicales comme les alarmes à érection, entraves, arceaux, étuis péniens et autres instruments de torture. Pourtant la pratique ancestrale de la masturbation n'avait jamais retenu l'attention des médecins depuis l'Antiquité et les dieux eux-mêmes n'avaient jugé utile de la condamner. D'ailleurs, la pratique n'avait pas de nom, tout au plus on se « frottait », seul ou à deux.
L'un des effets de cette soudaine condamnation fut un bouleversement de la sexualité féminine.
Se priver de la masturbation, pour les femmes, ne signifiait pas seulement de ne plus accéder à leurs petites et grandes lèvres ou à leur vagin, mais impliquait aussi de se priver du clitoris, organe moteur de l'orgasme féminin.
Si tout au long des siècles précédents ce « pénis interne des femmes » n'avait nullement offensé les mœurs, voilà que les femmes s'en trouvaient d'une certaine façon excisées. D'ailleurs, le mot lui-même disparut un temps des dictionnaires. Si cette éclipse de la masturbation féminine confortait les hommes de cette puritaine époque dans l'idée que la femme avait une sexualité « passive », elle privait aussi un grand nombre de femmes de leurs orgasmes. Soit qu'elles avaient besoin de stimuler le clitoris avant et/ou pendant la pénétration, soit que leur jouissance passait avant tout par celui-ci.
Or, des croyances qui remontent à l'Antiquité et à Hippocrate voulaient que les femmes perdent toutes sortes de fluides - et non uniquement les menstrues - comme autant de signes de leur bonne santé. Des célibataires et des veuves on plaignait l'état et, dès cette époque, le remède était de frotter les parties génitales pour provoquer chez la « malade » « des convulsions s'accompagnant en même temps de douleur et de plaisir, suivies de l'émission d'un sperme troublant et abondant. Dès lors, elle sera libérée de tout le mal qu'elle a ressenti »*. Une pratique dont parlait encore au XVIIe siècle le Hollandais Pieter Van Foreest, dans son traité de médecine.
C'est donc tout naturellement qu'au XIXe siècle une très importante part de la population féminine, à qui l'on prêtait la « mélancolie » ou « l'hystérie » (dérivé du grec, « hystera » qui signifie « utérus »), étaient médicalement traitées : le médecin massait avec sa main ce clitoris que l'on ne nommait plus jusqu'à l'invention du vibromasseur en 1880. Un traitement qui avait pour mérite d'assurer de très substantiels revenus aux praticiens.
La vision masculine du rapport sexuel peine à l'envisager en dehors du phallus. Ce point faible aura permis aux femmes de se retrouver dans la situation paradoxale de ne pas avoir le droit de se masturber, mais d'être autorisées à l'être par le corps médical.
Tout est permis aux femmes, à condition que cela fasse tourner le commerce ?
* Galien, in Thomas Laqueur « Le sexe en solitaire », Gallimard.
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Clitoris : comment les médecins en sont venus à masturber les femmes
Publié le 16 août 2013 à 15:56
La masturbation rend sourd, débile ou migraineux, ont autrefois avancé d'éminents spécialistes, tandis que d'autres voyaient en elle un remède pour soigner l'hystérie. Entre pratique nuisible et recours curatif, le point sur le plus grand paradoxe de l'histoire sexuelle par notre experte sexo Sophie Bramly.
Clitoris : comment les médecins en sont venus à masturber les femmes© Photos.com
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