La pop culture raffole des troubles mentaux. Nous viennent évidemment à l'esprit les films qui usent (et abusent) des troubles de la personnalité, de Black Swan à Fight Club en passant par Split. Mais c'est encore une autre vedette qui bien souvent s'invite sur nos écrans : la dépression.
Du personnage bateau de trentenaire dépressif à l'ado un brin emo, cette maladie bien complexe est volontiers réduite à quelques visions trop schématiques. On ne compte plus le nombre de facilités d'écriture et autres clichés qui déboulent dès qu'entre en scène le "dépressif" de service. Les idées reçues sur la dépression investissent la pop culture depuis des lustres. La preuve : en voici quatre que l'on a (vraiment) marre de voir.
Le plus gros des préjugés est évidemment de croire que la dépression, ce n'est "que du cinéma". Une posture de "drama queen" dont l'attitude serait comme "surjouée", simulée, exagérée. Films et séries n'aident pas tout le temps à chasser cette vilaine pensée. Les films pour adolescents, par exemple, présentent un imaginaire où le dépressif (et la dépressive) n'est qu'un stéréotype parmi d'autres, plus ou moins bousculé ou enrichi au gré des décennies. De la gothique Winona Ryder, flamboyante dans Beetlejuice, à Allison Reynolds, l'ado tout en taciturnité - et en mèches sur les yeux - de Breakfast Club (surnommée "la détraquée" !), difficile d'envisager la dépression autrement que comme une posture, un archétype ou un look.
Et dans le genre culture teenage, impossible de passer à côté de 13 reasons why. Pour certains, la série Netflix ose aborder des thématiques sensibles - le harcèlement scolaire, les agressions sexuelles, le suicide. Mais pour d'autres, le manque de finesse du show est évident. C'est là l'opinion du vidéaste Dany Caligula. Auteur de la série de vidéos de vulgarisation philosophique Doxa, le jeune homme a également signé deux créations expérimentales, Réponse à Internet et Le seum du sens. Il y relate son expérience du cyberharcèlement, et, plus encore, s'exerce à mettre en images une angoisse aussi existentielle que générationnelle. A savoir ce "seum du sens" qui, justement, accable l'audience première de 13 reasons why. Pourtant, à l'écouter, cette série témoigne d'une vision faussée de la dépression.
"Dans beaucoup de fictions, on a l'impression que la dépression est moins un thème principal qu'une force narrative présente afin d'assurer la dramatisation des scènes et des enjeux, de manière un peu superficielle à mes yeux. La dépression est simplement un élément qui permet de caractériser un personnage et d'assurer le "drama" : l'élément perturbateur" nous explique-t-il. Dans la série, cette "perturbation" est d'ailleurs indissociable de la romance entre les protagonistes. Ce qui tend à rapprocher cette dépression "romantique" d'une simple "peine de coeur" amplifiée. Rien de très surprenant en vérité. Car alors que la dépression est une maladie, beaucoup d'oeuvres la résument à une émotion : la tristesse.
Auteur du passionnant essai Pop & psy: comment la pop culture nous aide à comprendre les troubles psychiques, le médecin psychiatre Jean-Victor Blanc constate que la dépression est volontiers réduite à ce seul symptôme : les pleurs. C'est problématique. Car là où chacun chérit ses propres remèdes au blues, la dépression, elle, n'a rien de si anodin. "Un dépressif n'est pas "que" triste : il éprouve des difficultés à se concentrer et à faire des choses mais aussi à ressentir du plaisir ou à dormir. La dépression a des effets sur son comportement et sa santé : il peut perdre beaucoup de poids, et ça se voit", analyse l'expert. Ce n'est donc pas que du "drama".
Quand la dépression investit la fiction, elle se retrouve - fatalement - scénarisée, c'est à dire pourvue d'une évolution dramatique, d'un début et d'une finalité : la résolution. Industrie du spectacle oblige, on n'hésite alors pas à soigner la maladie à grands coups de happy end.
Du côté de Slate.fr, Jean-Victor Blanc se demande ainsi si "la pop culture fausse notre vision de la dépression" et prend pour exemple un véritable cas d'école : Mange, prie, aime, avec Julia Roberts. En pleine dépression après son divorce, l'égarée Liz Gilbert part en voyage à l'autre bout du monde et fait de belles rencontres - en la personne de Javier Bardem notamment. Et sa pathologie de s'envoler comme par magie suivant cette chronologie bien établie : "facteur déclenchant négatif / tristesse / heureux événement qui résout tout". Un brin simpliste, pas vrai ?
Pourtant, la dépression est loin de se résumer à ce schéma. Ainsi, pour Dany Caligula, une autre romance (plus moderne) aborde bien mieux la réelle complexité de cette maladie : 500 jours ensemble, l'irrésistible (et dysfonctionnelle) love story entre Joseph-Gordon Levitt et Zooey Deschanel. "C'est un film que j'adore. Il rend compte de la dépression en dépeignant la succession des saisons, ce qui est très juste. L'idée selon laquelle la dépression, comme la vie en général, s'envisage par "cycles", part puis revient, est vraiment pertinente. D'autant plus que cette métaphore est valable pour plein de sujets différents", s'enthousiasme le vidéaste.
Potes, famille, amoureux et amoureuses constituent bien souvent le socle du "film de dépressif". En France, l'on a même eu droit à la comédie Dépression et des potes - au titre plus qu'éloquent. Puisque le feel good "à l'américaine" l'emporte toujours sur la peur d'être trop "dark", le sourire du malade réapparaît volontiers grâce à l'entourage. Après la pluie vient le beau temps. L'unité finit par l'emporter sur l'individu et ses idées noires. Tout cela est bien beau mais un petit peu faux. Dans la vraie vie, les proches ne peuvent guère "guérir" la maladie d'un coup de cuillère à pot. Loin des câlinades et baisers, les tentatives vrillent plutôt au dialogue de sourds.
"Les dépressifs souffrent parfois des remarques de leur entourage, de celles et ceux qui leur disent "secoue toi" ou bien "sors un peu" ou encore "t'es un nul", ce genre de remarques très lapidaires qui n'arrangent rien", déplore Jean-Victor Blanc. C'est avant tout le poids du jugement d'autrui qui pèse sur les épaules des principaux concernés. C'est certain, ce quotidien n'a rien d'un film de Noël. A en croire le psychiatre, une oeuvre parvient cependant à saisir cette impossibilité de la communication : le Melancholia de Lars Von Trier. Justine, sa protagoniste incarnée par Kirsten Dunst, sombre durant son mariage dans une dépression rude et chaotique. Sa soeur, interprétée par Charlotte Gainsbourg, a bien du mal à la remettre "sur les rails". Et constate son impuissance en attendant la fin du monde...
"Melancholia met l'accent sur le côté stérile des sollicitations de l'entourage face au malade. Quand on est triste, l'entourage peut aider. Mais quand on est dépressif, cela ne suffit pas. Pire encore, les proches peuvent exacerber le sentiment de culpabilité qui pèse sur la personne dépressive", décrypte le docteur. Chez Lars Von Trier, l'absence apparente d'émotions dont fait état la "mariée" Justine, ou plutôt leur négativité crue, bref, ce sentiment vertigineux de "grand vide" qui l'envahit, prouve à quel point rien n'est si facile.
A l'instar d'une flopée d'attitudes toxiques (l'alcoolisme, le tabagisme), les troubles psychiques et maladies sont bien souvent associés à la création artistique quand il s'agit de raconter une histoire. Le fameux mythe de l'artiste maudit - aussi bien destructeur que prétendument "romantique" - n'est pas mort, et une love story aussi "pop" et saluée que A star is born le démontre. Les films tendent à sublimer ce qui, en vérité, exige surtout d'être soigné. Pour Dany Caligula, c'est un petit peu le cas de Melancholia, où la mise en scène de Lars Von Trier, bien que désarçonnante, fait de la dépression un spectacle "tragique et grandiloquent, presque épique".
S'il apprécie les abstractions du cinéaste, le vidéaste préfère cependant nous recommander un film un petit peu moins impressionnant mais tout aussi éclairant : le Somewhere de Sofia Coppola. Dans cette oeuvre très personnelle sur le désarroi des stars, un acteur has been (Stephen Dorff) tue le temps en compagnie de sa jeune fille (Elle Fanning). Au sein de sa prison dorée, la "crise" ou "traversée du désert" qu'il éprouve porte un nom : dépression. Et celle-ci, scrutée l'espace de longues séquences hypnotiques et répétitives, se dévoile sous un aspect trop peu mis en scène.
"C'est une oeuvre qui met l'accent sur la profonde impression de vide ressentie par les personnes dépressives. Être dépressif, c'est aussi s'ennuyer, beaucoup. On ne fait rien, et on attend, tout simplement, on passe à côté de sa vie, l'esprit empli de pensées négatives, avec rien d'autre en face", analyse le jeune créateur. En témoigne cette scène où notre protagoniste tourne en rond, au volant de son bolide, jusqu'à atteindre la panne sèche.
Au final, force est de constater que si la pop culture n'est pas un livret scientifique (loin de là), films et séries proposent des images imparfaites mais complémentaires. "Je ne pense pas que les films et séries banalisent la dépression, abonde le psychiatre Jean-Victor Blanc, mais plutôt que les fictions lui apportent de la visibilité, ce qui est positif. Ces oeuvres dévoilent plusieurs manières d'envisager la dépression et c'est intéressant d'avoir toutes ces visions, pour les patients comme pour l'entourage".
Personnage à part entière, la dépression est au carrefour de fictions aussi éloquentes par leurs qualités que par leurs défauts. Mais dans le doute, privilégiez tout de même un Sofia Coppola à une mauvaise série Netflix.