Elle a à peine 20 ans et depuis le début de la pandémie, Elsa Majimbo illumine de son franc-parler et de ses éclats de rire inimitables nos journées moroses. "Depuis que Corona a commencé, nous sommes tous isolés", démarre l'une de ses vidéos les plus célèbres. "Et personne ne me manque !", lâche-t-elle, hilare. "Pourquoi tu me manquerais ? Il n'y a aucune raison pour que tu me manques." La séquence continue : "Et ceux qui n'arrêtent pas de me dire 'tu me manques'. Pourquoi ? Est-ce que je paie tes frais de scolarité ? Est-ce que je paie ton loyer ? Est-ce que je te nourris ? Pourquoi est-ce que je te manque ?".
En disant tout haut ce que tout le monde pense tout bas (autres exemples : l'envie d'annuler ses plans constamment, d'ignorer les appels de ses proches, ses retards, sa passion pour la procrastination), la jeune étudiante en journalisme a fédéré une large communauté d'adeptes de ses sketchs minimalistes mais toujours drôles - et un peu aussi, de ses principes de vie.
La preuve, en quelques mois, elle est passée de 7 000 abonné·e·s sur Instagram à 2,3 millions. Si avec la célébrité, son audience a explosé, dans son esthétique visuelle, rien n'a vraiment changé : elle se filme toujours en contre-plongée, sur son lit ou son canapé, mastiquant des chips la bouche ouverte en guise de ponctuation de ses punchlines grinçantes.
Vous l'aurez compris : on se marre. Et on n'est pas les seul·e·s. D'ailleurs, il n'y a qu'à faire un tour dans les commentaires de ses posts qui cumulent jusqu'à 300 000 vues, pour rapidement remarquer que les noms qui s'y trouvent ne nous sont pas vraiment inconnus.
Rihanna, Lupita Nyong'o, Naomi Campbell... Cette dernière l'a même complimentée dans une longue vidéo sur sa propre chaîne Youtube. "Elle a le rire le plus contagieux que j'ai jamais entendu !", s'extasiait l'actrice et mannequin britannique. Des louanges qui la dépassent, admet volontiers la jeune comédienne, et un succès auquel elle ne s'attendait pas.
A Vogue, elle confie que ce qui l'a motivée à se lancer, c'est d'abord l'impression de ne jamais vraiment s'être sentie à sa place à Nairobi, capitale du Kenya et sa ville d'origine. Et pour cause, elle décrit avoir grandi entourée de "personnes qui essayaient d'impressionner les autres". "J'ai juste décidé de faire mon propre truc parce que je n'avais pas le choix", livre-t-elle. "Je n'avais pas beaucoup d'amis, alors j'ai pris mon téléphone un jour et j'ai commencé à parler devant, et ça m'a semblé tellement incroyable, naturel et brut."
Car la Elsa Majimbo qui apparaît sur nos écrans n'est pas un personnage, affirme l'intéressée au Guardian. "C'est moi, mais ce n'est pas le moi que je dépeins à tout le monde. C'est le moi que je dépeins aux personnes les plus proches de moi. Ce côté de moi est très libre de ses pensées et je dis ce que je veux et je fais ce que je ressens". Rafraîchissant.
Une authenticité qu'elle a conservée dans ses relations avec sa famille, précise-t-elle au magazine de mode américain. Son ascension numérique n'aurait ainsi que très peu d'impact sur sa vie de famille, et surtout, sur les corvées qui lui sont assignées. "Oh mon Dieu, ils me traitent de la même façon", répond-elle à la journaliste en parlant de ses parents et de son frère (qui serait lui-même insensible à son humour). "Je m'attends à une sorte de statut dans cette maison maintenant, mais ils s'attendent à ce que je fasse la cuisine et le ménage. Je fais toujours la vaisselle."
Reste qu'aux yeux du monde, elle est devenue l'influenceuse à suivre. Et de près.
Dans sa bio Instagram, on lit "15 fois championne d'échecs". Un palmarès dont elle est particulièrement fière (il y a de quoi) et qu'elle aborde dans une interview pour Netflix et Strong Black Lead, intitulée The Real Queen's Gambit, en référence à la série Le jeu de la dame - une série qui raconte l'histoire de Beth Harmon, orpheline virtuose de la discipline dans les années 60. Discipline qui a sans aucun doute aidé Elsa Majimbo à évoluer plus habilement dans le milieu du divertissement.
"Les échecs et ma carrière sont très similaires", révèle-t-elle. "Tout est dans le jeu long, et dans le jeu final. Les maîtres en la matière en savent quelque chose". Et d'ajouter : "Il ne sert à rien de gagner à tous les coups et de remporter tous les pions si, à la fin, je finis par perdre".
L'un des sujets récurrents que la comédienne aborde de façon décomplexée, c'est aussi l'argent. Son envie d'en gagner beaucoup, notamment. Ou l'art de ne pas s'encombrer de tabous vieux comme le monde (tant mieux). Elle raconte entre autres : "[Mon manager] me disait souvent : ne choisis pas cette campagne maintenant [...]. Cela représentait des milliers de dollars, mais lui me disait d'attendre le gros lot. Je le regardais et lui disais : mais c'est le gros lot !"
Le "gros lot", peut-être est-ce son contrat d'égérie pour MAC Cosmetics, de mannequin pour FENTY (la marque de Rihanna), ses conseils dating pour l'appli Bumble. Ou bien, sa collaboration avec la griffe Valentino, annoncée en avril dernier. Un abécédaire pour enfants "et adultes", précise la jeune femme dans le spot de lancement.
"Il y a des blagues conçues pour les enfants et c'est tout, ainsi que des phrases conçues pour les adultes, qui peuvent certainement apprécier de lire celles conçues pour les petits. J'ai aimé le fait que l'on puisse relier différentes générations", raconte-t-elle à L'Officiel Maroc. "L'idée est que ce livre accompagne la croissance des enfants, il viendra un moment où ils seront capables de saisir toutes les références conçues pour leurs parents."
Quand elle s'exprime, Elsa Majimbo ne le fait pas uniquement pour amuser ou offrir un peu de répit en pleine crise sanitaire mondiale. D'ailleurs, ce n'est pas son but à long terme. "Être une influenceuse sur les réseaux sociaux, c'est génial, mais je veux quelque chose au-delà de ça", assure-t-elle au Guardian. "Je ne veux pas être coincée dans cet espace pour toujours".
Alors, elle prend la parole pour interroger ses semblables, notamment dans son podcast Bedtime With Elsa, où elle s'entretient avec des artistes comme la chanteuse Jorja Smith ou l'acteur Daniel Kaluuya, mais aussi pour témoigner et alerter sur des réalités douloureuses. Le cyber-harcèlement qu'elle confie subir au Kenya, et puis le colorisme, une discrimination qui privilégie les personnes noires à la peau claire et qu'elle explique particulièrement présente dans son pays. "J'ai toujours été au bas de la chaîne alimentaire parce que Nairobi est très coloriste, avec les hommes au sommet et ensuite les femmes à la peau claire", déplore-t-elle auprès de Vogue.
Et de continuer : "J'ai l'impression que les jeunes femmes à la peau foncée n'ont jamais l'occasion de représenter l'Afrique au niveau international et on nous fait toujours sentir que nous ne devrions jamais tendre la main pour de telles opportunités parce que nous ne les aurons jamais. Alors le fait que je sois là, une jeune personne de 19 ans à la peau foncée, et que je sois capable de le faire et de rendre les gens heureux - j'ai l'impression que c'est une chance de montrer aux autres femmes en Afrique qu'elles peuvent le faire aussi."
"Tous les héros ne portent pas de cape", ironise Elsa Majimbo dans nombre de ses vidéos. Mais cette fois, pas de sarcasme qui tienne.