Que cela concerne une arrivée au bureau, des retrouvailles entre amis ou un quelconque rendez-vous, peu importe : bon prince, le retard n'a pas pour habitude de hiérarchiser l'urgence des situations. Comprendre, quand vous avez tendance à l'être, vous l'êtes volontiers pour tous les types de contexte, pas de jaloux. C'est à se demander si plus qu'une fâcheuse manie, le retard n'est pas un trouble systématique.
Et pour cause. Certaines voix expertes insistent désormais sur un point inattendu : notre propension au retard prendrait racine dans des raisons purement psychologiques. Tout comme il y a la psychologie du "penser positif", de l'ambition et de la persévérance, il y a celle du retard. Travers d'autant plus compliqué quand, en période de confinement et de couvre-feux, le temps nous est affreusement compté. Précieux comme jamais.
Ces explications psychologiques permettent heureusement de mieux comprendre notre défaut de ponctualité. Et, si ce n'est de le rectifier, tout du moins de l'accepter. Une première étape importante pour cesser d'angoisser.
La prochaine fois qu'une amie vous jette au visage votre réputation de lapin d'Alice (toujours en retard lui aussi), n'hésitez pas à lui transmettre les meilleures analyses des psys. Car selon les experts, il est tout à fait normal que certaines personnes soient toujours à la bourre de quelques métros.
L'écrivain et conférencier en comportement humain Alfie Kohn explique par exemple à PsychologyToday que le retard a bien des raisons : une implication trop forte au sein de sa propre existence qui donne l'impression d'être noyée par exemple, une inattention trop faible portée envers les aiguilles de l'horloge également. Souci d'attention et de réactivité donc, de concentration pour ainsi dire. Mais aussi d'organisation, tout bêtement.
Les gens en retard, décrypte l'expert, "ont tendance à se perdre dans tout ce qu'ils font sur le moment et à ne pas découvrir l'heure avant qu'il ne soit trop tard". Quitte à glisser vers le plus angoissant des comptes à rebours. Paradoxalement, on peut imaginer que c'est parce qu'elles sont si obsédées par le temps (dédiant le leur à leurs activités, sans répit) que les retardataires finissent par se casser les dents sur celui-ci.
En définitive, il leur manque quelque chose de tout à fait précieux : l'anticipation. Planification concrète qui, dans la vie intime comme professionnelle, importe tant pour ne pas vriller au burn-out pur. Car être en retard n'a rien d'une partie de plaisir, à moins de le faire tout à fait exprès. Non, bien souvent, l'arrivée en trombe vous plonge dans un moment de malaise social pur, rythmé par les soupirs d'exaspération de vos amis ou proches (ou collègues). Ambiance !
On pourrait croire que ces raisons sont en toc, mais pas du tout. Comme l'explique The Independent, l'estimation subjective du temps est une véritable observation scientifique. Elle varie selon les individus : certains pensent que seules vingt minutes se sont écoulées quand le temps perdu équivaut plutôt à quarante. Cela nous rappelle le cas d'école du fameux "encore cinq minutes". Quand, sur le départ mais trop avance, nous décidons de tuer le temps "encore cinq minutes" jusqu'à être réellement en retard. Cinq minutes de trop.
Une situation que chacun a pu connaître : c'est dire l'universalité de ce problème.
Une étude minutieuse des psychologues Emily Waldun et Mark McDaniel, oeuvrant au sein de l'Université de Washington, attribue même un nom à ce phénomène quasi empirique : la mémoire prospective basée sur le temps (ou TBPM pour les intimes). Des recherches scientifiques francophones étudient à l'unisson ce concept, sous un autre intitulé, plus concret : la "pression temporelle". Une formulation qui nous rappelle que si le retard est si courant dans notre société, c'est qu'il est également la cause de pressions sociales très influentes qui pèsent à ce point sur notre esprit qu'elles peuvent chambouler notre planning.
Comme l'écrit la chercheuse Pauline Maltha, lesdites pressions provoquent chez les individus une "distorsion temporelle". Distorsions qui influent volontiers sur notre perception du temps. Bien sûr, estimation du temps et autres distorsions de tout poil ne suffisent pas décrypter le cerveau complexe de ces individus toujours à la bourre. Stress et inconscience, étourderie ou angoisses, sont autant d'attitudes et ressentis contraires qui peuvent générer de bons gros retards bien gênants.
Tel que le développe encore The Independent, le manque d'autodiscipline est également un énième pourquoi du comment. Autre hypothèse : le retard pourrait être du... à une phobie d'être trop en avance. Oui oui, c'est très sérieux. Une peur d'attendre qui érigerait le retard en alternative pas si absurde. Même si un brin malotrue, avouons-le.
Toujours est-il que si l'angoisse de l'avance est un tout autre phénomène ("problème de riche", diraient les retardataires), son exact inverse n'en finit pas de générer des analyses contradictoires. Ainsi la psy Philippa Perry explique sur le Guardian que le retard serait un grand mix d'arrogance et de dépréciation personnelle. Comprendre, si les gens perpétuellement à la bourre sont trop prétentieux pour arriver à l'heure, ceux qui ratent leurs transports (trains, métros, avions) ne se jugeraient pas suffisamment dignes d'être attendus pour forcer le destin.
En somme, ces individus-là baisseraient les bras trop vite, préférant être réellement en retard que simplement "de justesse". C'est dire l'ambivalence de la psychologie humaine. De quoi regarder sa montre d'un autre oeil...