"Tous les jeunes cools font du manifesting ces temps-ci". Drôle de phrase que cette accroche pince sans rire du journal britannique The Guardian, nous présentant un phénomène qui l'est tout autant, le "manifesting". Sous cet anglicisme cryptique, un phénomène "bien-être" particulièrement viral sur les réseaux sociaux. Sur TikTok notamment, les publications #manifesting sont légion.
Mais qu'est-ce que cela veut dire, "manifester" ? Pour faire simple, c'est penser que ses ambitions, rêves et autres plans sur la comète peuvent se réaliser par la simple force de notre esprit. Comme une sorte de pensée magique adaptée à l'ère des stories Instagram. Pour citer le très stylé magazine de mode British Vogue : "Le manifesting désigne la matérialisation d'une pensée ou d'une croyance sous forme physique". Tout simplement.
Simple et... complexe à la fois. Philosophie bidon ou état d'esprit "mind positive" qui fait du bien, croyance en des lendemains qui chantent alors même que notre monde semble s'effondrer, ou encore phénomène en toc : on pourra penser ce que l'on veut du "manifesting". Toujours est-il qu'il (nous) fait gamberger.
Depuis bien longtemps d'ailleurs. Comme le développe Stylist, cette conviction en la réalisation bénéfique des pensées traverse les siècles, du bouddhisme au judaïsme, jusqu'à imprégner les derniers best-sellers de développement personnel. Le succès du manuel "d'auto-assistance" The Secret de Rhonda Byrne (pour qui vouloir, c'est déjà "recevoir"), vendu à plus de 30 millions d'exemplaires dans le monde, serait l'une des raisons du regain de hype de ce mode de pensée au mieux idéaliste, au pire très naïf.
"Cette manière de penser vous permet d'accéder à votre propre capacité innée à non seulement transformer votre propre vie, mais aussi à avoir un impact très puissant sur celle des autres", explique l'experte en coaching Lara Waldman au site. A la lire, le manifesting peut se pratiquer dans la vie de tous les jours. Prendre en mains les rênes de notre existence, ouvrir sa conscience au max en rejetant les idées négatives qui l'enveniment, envisager comment notre environnement peut donner vie à nos rêves... C'est un peu tout cela à la fois, le manifesting.
L'idée fascine car elle s'appuie principalement sur notre perception, forcément subjective, du réel. Si nos rêves se concrétisent, on parlera dès lors de "manifesting", comme par superstition, sans forcément prendre en compte des raisons concrètes et pragmatiques. Une idéalisation qui nous renvoie à l'effet placebo : ce n'est pas tant les effets réels d'une chose qui importent, mais les croyances que l'on porte en soi quand on l'intègre.
La victoire de la croyance populaire sur la vérité ? Peut-être. Ou alors, "l'art d'apporter un changement tangible dans son existence grâce à une forme d'optimisme absolu", comme le définit le Guardian. C'est vous qui voyez.
Cet optimisme est volontiers décliné en podcasts et en publications Instagram "inspirantes", d'aucuns appellent "Loi de l'attraction", ce principe philosophique millénaire et universel selon lequel "toutes les pensées se transforment un jour ou l'autre en choses", comme le décrit Vice. Le site met d'ailleurs l'accent sur un fait prévisible : la dimension toc de l'affaire. C'est ce que suggère le site en rappelant que l'une des porte-paroles (officieuses) du mouvement, la "conseillère en manifestation" (oui oui) Lacy Phillips, a vanté les mérites du manifesting... sur le site bien-être Goop, la plateforme polémique de Gwyneth Paltrow.
"J'ai vu se 'manifester' des choses incroyables, comme un appartement à Echo Park pour 300 dollars seulement [...] 'Penser positif' n'a rien à voir avec le manifesting, cela concerne ma puissance, ma force et ma valeur", y explique la spécialiste de la manifestation. Difficile de ne pas associer ces déclarations aux programmes "selfcare" d'une Gwyneth Paltrow qui désire "optimiser son être". On imagine volontiers des programmes de développement personnel plus ou moins solides se vendre sous ce nom de "manifesting", finalement pas si éloigné de "marketing".
D'ailleurs, s'attarder sur les préceptes qui ponctuent la pensée "manifestante" sur les réseaux sociaux suffit à alimenter sa perplexité. Le simple intitulé de "manifesting" inspire tous les slogans : il est question des "sept lois spirituelles du succès" et de motivations quotidiennes type "une nouvelle énergie envahit votre vie, des changements vont arriver très bientôt, les choses vont s'arranger", entre deux incitations à la patience. Oui, car comme l'énonce ce compte consacré aux "lois de l'attraction", l'Univers a de grands plans pour nous ! Et ça, c'est plutôt cool.
Fort du succès de cette tendance, même des stars - comme Jennifer Garner - semblent plonger dans cette logique du "think positive". Mais peut-être a-t-on tort de l'envisager avec cynisme ? C'est ce que semble penser l'autrice et conférencière Esther Hicks, qui a abordé en livres et en discours cette dynamique de la volonté. Citée par Vice, elle explique que la "magie" n'y est pas pour grand-chose. "Il s'agit surtout d'envisager la manière dont les gens en viennent à changer leur comportement d'une façon qui leur est bénéfique. Il ne s'agit pas seulement de déterminer ce que vous voulez, mais de faire quelque chose à ce sujet", raconte-t-elle.
Alors, prêt·e·s à (vous) "manifester" ?