On connaît tous l'histoire de la fille qui ne surveille pas son mojito et qui se réveille d'un terrible black-out le lendemain, ne se souvenant plus ce qui lui est arrivé. C'est pourquoi toutes les fêtardes invétérées se méfient du GHB ou acide gamma hydroxybutyrique. Désigné comme étant la cause d'une majorité d'agressions sexuelles, le psychotrope a longtemps suscité crainte et paranoïa, jusqu'à devenir une véritable légende urbaine.
Et comme à chaque fois lorsqu'on érige un mythe, quelqu'un s'attache à le déconstruire. Pour le GHB, ce fut la toxicologue judiciaire Catherine Lavallée. Cette dernière a analysé des prélèvements faits sur des victimes d'agressions sexuelles pour démontrer le peu de corrélation entre GHB et alcool. Par contre, les victimes ont trois fois sur quatre de l'alcool dans le sang : c'est donc ça, la véritable drogue du violeur, selon Mme Lavallée. Le GHB serait d'ailleurs bien plus consommé volontairement de manière récréative que pour perpétrer un abus sexuel : à petites doses, il aurait des effets euphorisants, entraînant une désinhibition et une stimulation sensorielle. Un reportage de Libération faisait déjà état de l'utilisation de GHB dans le cadre de parties fines en 2008. Faut-il oublier nos préjugés par rapport à la fameuse "drogue du viol" ?
A en croire une récente étude sur ce sujet, ne plus avoir peur du GHB est une erreur. Lorsque Suzanne Swan , psychologue et professeur des études sur les femmes à l'Université de Caroline du Sud a demandé aux étudiants du campus s'ils avaient déjà été drogués avec ladite drogue à une fête, un tiers de la classe a levé la main. "Je n'avais aucune idée de ça jusqu'à ce que mes étudiants commencent à le mentionner. Et comme il n'y avait quasiment aucune recherche qui avait été menée à ce sujet, j'ai décidé de rassembler des données afin de déterminer ce qu'il se passait", a-t-elle expliqué à Broadly. Publiés dans la revue Psychology of Violence, les résultats font froid dans le dos.
Suzanne Swan a interrogé 6 000 étudiants, de trois universités américaines différentes, en leur demandant combien de fois ils pensaient avoir déjà été drogués à leur insu. 8% des étudiants, soit 462 d'entre eux, avouent l'avoir déjà vécu. Et si l'on sépare ces victimes par genre, 16,8% des femmes qui se sont retrouvées dans ce genre de situation ont eu des relations sexuelles non consenties. Parmi elles, 90% des victimes n'ont pas porté plainte, freinées par l'incertitude due aux pertes de mémoire et par la honte. Le GHB est donc loin d'être une drogue anodine, uniquement utilisée par des personnes consentantes qui cherchent des sensations fortes. Et il fait encore beaucoup de victimes.
L'étude du médecin a révélé un autre fait important : la dangereuse dualité d'utilisation du GHB. En effet, elle a aussi demandé aux étudiants interrogés pourquoi ils pensaient avoir été drogués de cette manière ; et il se trouve que leur genre joue sur leur réponse. Les femmes prennent la menace GHB très au sérieux, et en parlent avec gravité : "On nous drogue pour pouvoir nous violer", dit l'une d'elle. "Les mecs le font quand une fille refuse de coucher avec eux", renchérit une autre. D'après l'expérience de ces femmes, le GHB permet avant tout l'abus sexuel. Au contraire, les hommes qui répondent adoptent un ton très blagueur : 36% de ceux qui ont déjà été drogués au GHB pensent que l'acte devait être motivé par une volonté "'être drôle", de "s'amuser" ou de "pimenter la soirée". Ce qui vire au drame pour une femme est visiblement considéré comme une blague pour les hommes.
Les résultats de Suzanne Swan mettent en évidence un énorme défaut de prévention. Du fait du changement des mentalités sur le GHB, il est important de ne plus s'adresser uniquement aux victimes, en les sommant à surveiller leurs verres. Il faut se concentrer davantage sur les éventuels agresseurs : "On doit commencer à penser du point de vue de ceux qui droguent les victimes. Si beaucoup de gens pensent 'Oh c'est juste pour rire, pour rendre la fête plus folle', ils n'ont pas la sensation de faire quelque chose de mal. Et ça, ça pose problème", explique la psychologue.
Le GHB demeure plus qu'une légende urbaine, et plus qu'une drogue "récréative" : c'est un danger insidieux que l'on peine à maîtriser. Tenter de le départir de sa sulfureuse réputation de drogue du viol n'est pas se rendre service : le GHB est toujours utilisé dans le cadre d'agressions sexuelles, et c'est en le niant qu'on laisse ce fléau empoisonner nos bars et nos campus.