Société
Entreprise : « le harcèlement sexuel a trop longtemps été banalisé »
Publié le 20 juillet 2011 à 09:00
Par Marie-Laure Makouke
Peu de temps après les scandales DSK et Georges Tron, des femmes politiques françaises ont dénoncé des attitudes sexistes provenant de certains de nos dirigeants. Mais ces comportements ne sont pas réservés aux plus hautes sphères du pouvoir. Emmanuelle Cornuault, chargée de mission à l’Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail, vient quotidiennement en aide aux victimes de harcèlement sur leur lieu de travail, plus nombreuses qu’on ne le croit. Rencontre.
Entreprise : « le harcèlement sexuel a trop longtemps été banalisé » Entreprise : « le harcèlement sexuel a trop longtemps été banalisé »© Pixland
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Terrafemina : Quand et pourquoi l’Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail a-t-elle été créée ?

Emmanuelle Cornuault : Seule association en France à intervenir dans le cadre de harcèlement sur le lieu de travail, l’Association européenne contre les violences faites aux femmes (AVFT) existe depuis 1985. Elle a été créée par Marie-Victoire Louis, chercheuse au CNRS et auteure d’un ouvrage sur le droit de cuissage, Sylvie Cromer, sociologue, et Joëlle Causin qui a été victime de harcèlement sexuel lorsqu’elle était en poste au ministère des Finances.
Dès les premiers mois de son existence, l’objectif de l’AVFT a été de créer une loi sur le harcèlement sexuel. Il aura finalement fallu 7 longues années pour que celle-ci voit le jour, en 1992, et pour qu’elle soit inscrite à la fois dans le Code du travail et dans le Code pénal.
Mais aujourd’hui, bien que cette loi existe, nous sommes encore dans une lutte avec le gouvernement car elle est toujours mal conçue. En effet, elle se place uniquement dans la perspective de l’auteur des faits et qualifie de harcèlement « le fait de harceler autrui dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle ». Une définition qui contribue à installer un flou juridique autour de cette notion. Nous appelons donc, et ce depuis plusieurs années, nos dirigeants à redéfinir le harcèlement. Nous avons donc un rôle de veille juridique et, parallèlement, nous accompagnons les victimes, qu’elles soient hommes ou femmes.  

TF. : Comment venez-vous en aide aux victimes ?

E. C. : Notre premier contact est généralement téléphonique. Les victimes nous appellent pour nous signaler des cas de violences sexuelles, nous les conseillons sur les premières démarches à effectuer et récupérons leurs coordonnées afin d’assurer un suivi. Nous demandons également un récit détaillé et écrit des faits.
Un second entretien, d’une durée de 3 heures minimum, est ensuite organisé avec deux chargés de mission. Au cours de celui-ci, nous revenons sur la chronologie des faits. Nous commençons également, s’il en existe, à réunir quelques preuves matérielles (emails, notes, etc.) et immatérielles (témoignages de collègues). Puis, nous accompagnons les victimes à chaque étape de la procédure visant à faire reconnaître le harcèlement. Dans cette optique, nous sommes en étroite relation avec les avocats, l’inspection du travail, etc.

TF. : Quels sont les faits dont les victimes se plaignent le plus souvent ?

E. C. : Nous sommes confrontés à toutes sortes de violences, de l’exhibitionnisme au viol. Ainsi, en 2010, sur 100 femmes ayant appelé la permanence téléphonique, 37 % des appels faisaient état de harcèlement sexuel, 36 % concernaient des agressions, 17 % des viols. De plus, 4 % des victimes ont décrit des scènes d’exhibitionnisme, 4 % se sont plaintes de coups et blessures et 2 % de harcèlement moral à caractère sexiste.
Mais très souvent, par honte, par peur et/ou par souffrance, les femmes qui dénoncent des violences à la permanence n’osent pas dévoiler les faits. C’est alors un long travail de première mise en confiance pour les amener à raconter toute leur histoire.

TF. : Avez-vous noté une hausse des signalements ces derniers mois ?

E. C. : Avant les affaires DSK et Tron, nous avions quatre signalements par semaine en moyenne. Aujourd’hui, nous avons quatre nouveaux cas de harcèlement dans le cadre professionnel par jour. Ces scandales, aussi condamnables soient-ils, ont contribué à libérer la parole des victimes. En effet, la permanence téléphonique est quotidiennement prise d’assaut. Ce phénomène prouve que ces violences sont plus courantes qu’on ne le pense, mais surtout qu’elles ont trop longtemps été banalisées.

TF. : Quelles actions faudrait-il mener pour que ces comportements cessent ?

E. C. : Le gouvernement devrait lancer une campagne de prévention forte à destination des employeurs. Les auteurs de harcèlements auraient davantage de réticences à agir si leur entreprise condamnait fermement ce type de comportement et prenait des mesures dissuasives pour les enrayer.
Par ailleurs, les entreprises doivent savoir que la jurisprudence a évolué. En effet, certaines d’entre elles ont été condamnées dans des procès pour harcèlement pour ne pas avoir su, pu ou voulu protéger leurs employées.
Par ailleurs, il serait temps de rendre applicable dans le droit français la directive européenne qui qualifie de harcèlement sexuel « la situation dans laquelle un comportement non désiré à connotation sexuelle, s’exprimant physiquement, verbalement ou non verbalement, survient avec pour objet ou pour effet de porter atteinte à la dignité d’une personne et, en particulier de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant ».

Le site de l’AVFT

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Mots clés
Société femmes entreprise travail
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