James Foley, Steven Sotloff, David Haines et maintenant Hervé Gourdel. Évidemment, au regard de l'atrocité de leur assassinat, ces quatre noms symbolisent, aux yeux de l'opinion publique occidentale, la barbarie des djihadistes de l'État islamique. Et pourtant, et c'est une évidence, ces lâches exécutions en cachent des milliers d'autres. Depuis plusieurs mois d'occupation en Syrie et en Irak, le groupe djihadiste, appelé aussi Daesh, a ainsi systématisé le recours aux violences sexuelles sur des populations incapables de se défendre.
Dans une interview donnée au magazine Foreign Policy, reprise par Courrier International, les anciens analystes de la CIA Aki Peritz et Tara Maller multiplient les exemples. « Amnesty International a publié un document cinglant selon lequel l'Etat islamique enlève des familles entières dans le nord de l'Irak pour les soumettre à des abus sexuels », affirment les deux spécialistes avant de rappeler qu' « en août, les Nations Unies ont estimé que l'organisation terroriste avait réduit en esclavage sexuel environ 1500 femmes et adolescents, filles comme garçons ».
Une information confirmée par Zainab Hawa Bangura, la Représentante spéciale du Secrétaire général des Nations Unies sur la violence sexuelle dans les conflits. « Des récits atroces sur l’enlèvement et la détention de femmes, de filles et de garçons yézidis, chrétiens, turkmènes et shabaks, et des informations sur des viols sauvages nous parviennent d’une manière alarmante », s'est-elle inquiété dans une récente tribune disponible sur le site des Nations Unies.
Capture écran de l'article de Foreign Policy
Cette vague de violence aura inévitablement des répercussions durables non seulement sur les victimes mais aussi sur les sociétés irakiennes et syriennes. Mais si le viol est tout aussi destructeur que les autres armes utilisées par le groupe islamiste, « pourquoi ce crime contre l'humanité n'attire-t-il pas plus l'attention au sein du monde occidental ? », s'interrogent Aki Peritz et Tara Maller.
« Nous n'avons jamais lu de document interne ou externe exclusivement consacré aux violences sexuelles commises en Irak (...) Personne n'a tenté de surveiller ce type de violence au même titre que d'autres attaques », se sont étonnés les deux chercheurs dans une interview à CNN.
Comment expliquer ce manque d'intérêt ? Les deux analystes y voient une triple raison. La pression sociale d'abord. Par nature, que l'on soit en temps de guerre ou de paix, un grand nombre de ces actes ne sont jamais dénoncés. « Il est difficile pour les Irakiens, le gouvernement américain ou les organisations internationales de les comptabiliser », reconnaissent les ex-membres de la CIA.
Seconde raison avancée : l'hésitation des médias qui préfèreraient éviter de traiter de la question des violences sexuelles car ces dernières sont « jugées par certains comme des problèmes concernant exclusivement les femmes, et non comme des tactiques d'insurrection traditionnelles ». Dans les faits, ces violences sont pourtant bel et bien une tactique terroriste à part entière, déjà utilisée dans d'autres parties du monde comme en attestent de trop nombreux exemples au Mali ou au Rwanda. Mais « les violences sexuelles ne sont pas considérées comme un indicateur utile de l'efficacité des armées ou des services de renseignement dans leur lutte contre l'État islamique », détaillent, non sans amertume, Aki Peritz et Tara Maller.
Enfin, les nombreux décideurs en charge des question de renseignement sont, selon les auteurs, issus de milieux universitaires où « le problème des violences sexuelles est trop souvent cantonné aux cours sur les questions de genre et sur le féminisme ». Au contraire, l'utilisation du viol comme arme de guerre n'est pas un problème seulement lié aux femmes mais doit être appréhendé dans le contexte plus large de la lutte menée par les terroristes.
Et les auteurs d'en appeler la communauté internationale à dénoncer publiquement ces agressions sexuelles dans un but précis : discréditer Daesh en tant que groupe de guerriers agissant à l'encontre des valeurs morales qu'ils prônent. L'État islamique prétend en effet avoir « la mission sacrée d'établir un nouvel ordre mondial. Toutefois, les crimes sexuels généralisés de ceux-ci révèlent leur hypocrisie et leur extrême brutalité ».
Dénoncer et combattre ces actes graves est, en outre, un moyen évident de souligner la contradiction fondamentale de ces « fous de Dieu » : se présenter comme une organisation religieuse prônant la morale et recourir systématiquement aux agressions sexuelles.