Guy Dessut : Un bilan mitigé. On n’a pas encore assez de recul pour porter une appréciation générale sur le régime mais les chiffres sont déjà significatifs. D’après la dernière étude de l’Acoss (Agence centrale des organismes de Sécurité sociale) parue au 31 juillet 2010, 50% des auto-entrepreneurs n’ont jamais encore fait de chiffre d’affaires, ce qui est quand même assez important. Et 65% des auto-entrepreneurs ont un chiffre d’affaire qui est nul ou inférieur à 1000 euros depuis leur création. C’est vraiment le point négatif du statut. Néanmoins, il faut bien voir que ce régime est un véritable vent de liberté. Il permet à un grand nombre de personnes, qui étaient très éloignées de la création d’entreprise, de se dire que c’est quelque chose qui est à leur portée. Selon une étude de l’Observatoire de l’auto-entrepreneur de juin 2010, 92 % des auto-entrepreneurs ont créé leur entreprise de leur plein gré, cela montre bien qu’il s’agit d’une démarche volontaire de la part de ces personnes. Ce sont des gens qui ont envie de créer quelque chose et qui, grâce à ce régime simplifié, ont pu franchir le pas de la création d’entreprise. De plus, on remarque que les créateurs d’entreprise restent attachés à ce statut : au 30 juin 2010, seulement 5% d’entre eux s’étaient radiés. Pour l’instant, il semblerait que ces chefs d’entreprise ne baissent pas les bras.
Guy Dessut : Il ne faut pas nier que la conjoncture n’est pas forcément favorable, mais elle n’explique pas tout. En fait il se passe ce que l’on craignait au départ : la mauvaise préparation du projet qui fait qu’un grand nombre d’auto-entrepreneurs ne tirent rien de leur entreprise. Le discours sur ce statut a été trop vendeur : « en 1 clic vous créez une entreprise ». On a fait croire aux gens qu’il suffisait d’un simple clic et que ça y est on allait faire du chiffre d’affaires. Résultat : ce statut a créé de grandes désillusions, des faux espoirs chez les créateurs potentiels. Suite à la parution de mon livre, beaucoup d’auto-entrepreneurs m’ont contacté. Ils pensaient que c’était simple de monter une entreprise, qu’il n’y avait pas besoin de faire de prévisionnel ou de se faire assister d’un conseil tel que les boutiques de gestion par exemple.
Guy Dessut : Il y a un manque de crédibilité lié au statut, c’est indéniable. On juge les créateurs sur un statut et non pas sur une personnalité. On pense que ce statut est destiné à des gens qui sont dans la précarité ou qui n’ont pas d’autre solution. Comment convaincre un banquier de financer un projet qui sera plus considéré comme improvisé qu’issu d’un processus de création ? Les banquiers et les assureurs ne font pas confiance aux auto-entrepreneurs. C’est très handicapant pour un chef d’entreprise, qui a très souvent besoin de financements. S’il doit acheter du matériel par exemple, il devra batailler pour trouver un partenaire. D’autant que cette absence de crédibilité n’est pas justifiée. 63 % des créateurs d’auto-entreprises ont au moins le bac. Leur profil est le même que celui des créateurs d’entreprises traditionnelles (39 % des auto-entrepreneurs sont des femmes, l’âge moyen est autour de 45 ans).
Ce problème de crédibilité est en partie résolu pour les artisans. Depuis avril 2010, l’auto-entrepreneur qui a une activité artisanale (activité principale) a l’obligation de s’immatriculer à la Chambre des métiers. Cette mesure a apporté une crédibilité aux auto-entrepreneurs artisans qui, jusqu’à cette date-là pouvaient monter une entreprise de bâtiment, de peinture, sans avoir à prouver leurs diplômes ou leurs qualifications. Aujourd’hui, un artisan auto-entrepreneur, a exactement les mêmes conditions de diplômes et d’expériences que tout artisan classique. Donc il n’y a pas de raison qu’il soit moins crédible.
Guy Dessut : Oui, il y a encore quelques zones d’ombre. Et l’instabilité, qu’elle soit économique ou juridique, il n’y a rien de pire pour les créateurs d’entreprise. Récemment les sénateurs ont voulu limiter le statut d’auto-entrepreneur à 3 ans d’activité. Heureusement, cette mesure est vite tombée aux oubliettes mais c’est un moyen de créer de l’instabilité juridique. Dans le milieu artistique, le statut d’auto-entrepreneur peut apparaître comme une solution intéressante, notamment pour les intermittents du spectacle qui n’arriveraient pas à travailler suffisamment de jours. Mais il y a encore un flou, des incompatibilités entre les deux statuts qui ne sont pas réglées aujourd’hui et qui à mon avis ne le seront pas.
Une autre faiblesse est inhérente au fonctionnement même du statut. Lorsqu’une entreprise classique est en activité de croisière, ses charges sociales vont être calculées sur son résultat. Si elle a un déficit ou un résultat très faible, elle aura très peu de charges sociales à payer. Pour un auto-entrepreneur les charges sociales sont calculées sur le chiffre d’affaires. La nuance, c’est qu’un auto-entrepreneur peut avoir un chiffre d’affaires relativement élevé, mais un résultat très faible, voire même être déficitaire. C’est une des absurdités de ce régime.
Guy Dessut : Tous ces effets pervers montrent qu’il faut à tout prix être suivi quand on crée une entreprise, même une auto-entreprise. Le chef d’entreprise doit se tenir au courant des évolutions de la réglementation et surtout être assisté par un professionnel du monde de l’entreprise qui puisse l’aider à prendre les bonnes décisions. Il devrait y avoir une obligation de formation pour les créateurs d’entreprise, voire même pour les chefs d’entreprise en activité. La préparation, le suivi et la formation sont les éléments essentiels de la réussite d’une entreprise.
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Plus d’infos sur le statut d’auto-entrepreneur : le site de Guy Dessut