On savait déjà que Marie-Antoinette fascinait les créateurs et les créatrices, et pas seulement en France. On se rappelle évidemment du film éponyme de Sofia Coppola, mettant en scène une reine tiraillée entre macarons, flûtes de champagne et spleen amoureux. Mais en cette rentrée, l'archiduchesse d'Autriche revient de plus belle avec une série événement estampillée Canal +, diffusée depuis le 31 octobre.
Mais comment expliquer cette "tendance Marie-Antoinette" ? Le temps pourtant n'est plus vraiment à l'éloge de la royauté. Cependant, l'épouse de Louis XVI semble désormais s'associée à une vibe presque... empouvoirante. Comme si certaines femmes se reconnaissaient à travers sa personnalité et son histoire.
Marie-Antoinette serait-elle moderne ? Une réflexion pas si absurbe, si l'on prend en compte les créations qui sont venues mettre en scène la reine. Ainsi la série Canal créée par Deborah Davis, à qui l'on doit le scénario du film La Favorite, proposerait une toute nouvelle lecture, très subjective et contemporaine, du parcours de la princesse autrichienne. Et plus encore, une nouvelle manière d'envisager les faits.
"En Histoire, il y a des faits certains, mais ce qui change c'est la manière dont on les interprète. Pour moi, l'Histoire est une interprétation. L'objectif n'était pas non plus d'être une historienne, mais plutôt de trouver une sorte de vérité logique", a développé en ce sens la showrunneuse en conférence de presse, relate Allociné.
Cependant, lorsqu'elle s'accole à Marie-Antoinette, la subjectivité ne plaît pas à tout le monde. "Il faudrait peut-être interdire aux réalisateurs anglo-saxons l'accès à Versailles. Car, non, tout n'est pas permis dans une fiction historique", fustige à ce titre Le Figaro, qui compare la nouvelle création originale de Canal+, qualifiée de "consternante" et "d'outrage", à la série Versailles, une autre production Canal toute en costumes.
De même, le Marie-Antoinette de Sofia Coppola a pu être critiqué à sa sortie pour ses anachronismes, la cinéaste s'amusant à parasiter l'époque investie par quelques étonnants signes de modernité. Comme si l'archiduchesse vivait à l'époque de la Génération X, celle des Converse et du rock de New Order.
On ne peut pas parler n'importe comment de Marie-Antoinette. Et pourtant, de Coppola à Deborah Davis, les créatrices se la réapproprient afin d'exprimer leur propre point de vue, leur univers. Cette figure historique, semble-t-il, leur permettrait d'évoquer des enjeux atemporels, ainsi qu'un regard féminin.
Pas si aberrant, selon certaines voix expertes. Historien et commissaire de l'exposition "Marie-Antoinette, métamorphose d'une image", Antoine de Baecque a ainsi observé "depuis une vingtaine d'années" un retour de Marie-Antoinette, et plus précisément de l'image de la figure de pouvoir "comme jeune femme moderne d'une certaine façon". Une image qui ferait donc volontairement fi des luttes citoyennes de la Révolution française.
L'historien voit dans ce come-back étrange (et plus anglophone qu'hexagonal, vous remarquerez) une fascination pour la personnalité "versaillaise" de Marie-Antoinette, à savoir son statut "d'icône de la mode, sensible à la nature, sensible à l'amitié, à l'amour". Une manière de dépolitiser des enjeux, au profit d'une vision volontiers romanesque et même, un brin fashion.
Et à ce titre, le spécialiste de la Révolution ne s'étonne guère que persiste, des défilés de mode aux séries télé, une identification à cette figure royale. Pourquoi ? Car Marie-Antoinette est "une pauvre petite fille riche qui est malheureuse et qui parvient à exister très fortement comme jeune femme". La fameuse "jeune femme moderne" que le spécialiste évoque...
Jeune femme moderne, d'accord, mais à quel point ? Si l'on sait que la "Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne" rédigée par Olympe de Gouges lui était destinée, l'association de Marie-Antoinette au mot "féminisme" dérange, le statut de la dernière Reine de France n'ayant rien de révolutionnaire.
Du côté du forum "Le Boudoir de Marie-Antoinette", espace de discussion nous invitant à "prendre une tasse de thé dans les jardins du Petit Trianon", on privilégie la perplexité. D'un côté, Marie-Antoinette rendait compte des injonctions de son temps, avec tout ce que cela implique de patriarcat et d'aristocratie.
De l'autre, la reine, argumente-t-on, se montrait "plutôt soucieuse" de promouvoir les femmes à son haut niveau, comme les marchandes de mode, les créatrices, les comédiennes et les peintres qui venaient jusqu'à Versailles. Une femme de pouvoir qui savait aussi faire un bon usage de son influence, donc.
"J'aurais perso du mal à situer mon propre curseur. Ca dépend des sujets, d'abord. Pour moi, Marie Antoinette se montre... je ne dirais pas "féministe", parce que ce serait un anachronisme", débat-on encore sur ce forum d'érudits. "Son implication politique doit être fortement nuancée, puisque son crédit est limité et qu'elle se conforme à la volonté de la personne qui est au-dessus d'elle, à savoir le roi", déplore-t-on d'un post à l'autre.
Néanmoins, d'autres saluent volontiers "les répliques bien senties qu'elle a souvent lâchées, son sens de la répartie", son intelligence et "son solide bon sens", qui joueraient plutôt en sa faveur.
L'historien Antoine de Baecque également relativise. "Je ne vais pas faire de Marie-Antoinette une pionnière du féminisme ce serait ridicule", modère-t-il auprès de France Culture, rappelant notamment que cette dame politique reste en France "une reine mal-aimée qui a trahi le peuple" dont l'affiliation, parfois imposée (non sans sexisme d'ailleurs) aux Premières dames de la République actuelle, "reste quand même assez difficile à assumer politiquement".
Difficile challenge donc que celui de la nouvelle série Canal, qui se voudrait "moderne et féministe", selon le JDD, notamment en décrivant le désir d'émancipation de la jeune régente, ou plus encore, qui s'envisage comme le portrait de la reine en adolescente "rebelle et féministe" pour Le Parisien, soucieuse de ne pas être qu'un "pion" dans la vie politique et d'imposer sa voix.
"Marie-Antoinette est mon personnage historique préféré. La dernière reine de France est pour moi la plus charismatique, la plus pétillante. Elle vient d'une famille matriarcale très puissante où ce sont les femmes qui avaient le pouvoir. Elle a eu une carrière extraordinaire, de son arrivée en France jusqu'à la guillotine, car c'était une femme de tête, forte et déterminée. Louis XVI a peut-être été couronné roi de France mais ce fut son règne à elle", explique d'ailleurs au Parisien la scénariste Deborah Davis.
Un fiction qui devrait encore susciter le débat...