"Elles sont célèbres ou anonymes, d'hier et d'aujourd'hui. Arbitre de foot, spationaute, lanceuse d'alerte, ministre, chanteuse, ingénieure, écrivaine, volcanologue... Toutes ont osé prendre en main leur destin". Objet à la fois pop et profondément politique, le nouvel opus de l'inspirante saga des Filles Rebelles déploie - comme suggéré - 100 portraits de femmes "extraordinaires", esquissés avec clarté par l'autrice et journaliste Alice Babin - qui, en parallèle de ces passionnantes "rebelles", oeuvre pour l'excellente émission Les pieds sur terre (France Culture).
En résulte un fringant livre de plus de deux-cent pages, destiné à une jeune audience avide de "role models". Autant dire que cette traversée des siècles saura contenter leur soif de savoir. Car c'est un livre d'histoire pas comme les autres que propose la maison d'édition Les Arènes. Il est question d'écologie et de féminisme, de figures anarchistes et de militantes vegan...
Les plus fameux noms côtoient les icônes - ou futures icônes - plus méconnues. La preuve en huit profils insolites.
"Soyons nous-mêmes, toute la vie est là". Difficile de synthétiser la vie mouvementée d'Alexandra David-Néel. Cette véritable globe-trotteuse a foulé du pied l'Inde, la Birmanie, l'Himalaya... Des traversées (et véritables exploits) qui la voient épaulée par d'insolites montures - les yaks. Son parcours en solo entremêle bouddhisme et journalisme, stratégies de survie et philosophie. Un vrai Into the Wild avant l'heure, donc. Si ce n'est que l'on considère notre héroïne peut se targuer d'être tour à tour féministe, anarchiste et... cantatrice. On rêverait d'arborer le même CV.
Comme le démontrent les profils hétéroclites mis en lumière par Alice Babin (on pense à la voyageuse en moto Anne-France Dautheville, la navigatrice Florence Arthaud, ou encore la corsaire Louise Antonini), les "filles rebelles" sont aussi des exploratrices comme Alexandra David-Néel, sillonnant les quatre coins du monde pour mieux s'émanciper d'une autorité - toujours patriarcale. Leur liberté n'a pas de frontières.
"Je ne veux que personne n'oppresse personne". Derrière ce beau patronyme se cache une figure historique de la résistance. Résistance, sous toutes ses formes d'ailleurs. Dans les années quarante, au sein d'une France occupée, Anne Beaumanoir s'engage au sein du mouvement. Elle n'a alors que dix-sept ans. Et un courage hors-normes : elle va jusqu'à cacher deux enfants juifs dans le grenier parental. Mais la lutte de celle qui deviendra médecin neurophysiologiste ne s'arrête pas là, non.
Des années plus tard, c'est en pleine guerre d'Algérie que la jeune bretonne - et militante communiste - lève de nouveau le poing. Combattant pour l'indépendance du pays, elle intègre rapidement un mouvement clandestin, s'opposant ouvertement au gouvernement français (et à l'usage de la torture promu par son armée). Elle finit par être emprisonnée. Ensuite ? Deux mois lui suffisent pour s'évader...
Engagement, ténacité et bravoure caractérisent cette parole vive de 96 ans.
"La voiture d'un concurrent n'est qu'un nuage qu'il faut pénétrer". A l'instar d'Aya Cissoko, Jeannie Longo et Marie-Amélie Le Fur, Camille Du Gast fait partie des emblématiques sportives nationales immortalisées par cet ouvrage panoptique. Il faut dire que cette pilote automobile a marqué l'Histoire. La raison : au tout début du vingtième siècle, elle fut la première Française à obtenir le permis de conduire, alors intitulé "certificat de capacité pour la conduite des véhicules" (reprenez votre souffle).
Elle en fera bon usage en enchaînant les courses, si vivement qu'on la surnommera (non sans un brin de sexisme) "l'amazone aux yeux verts". Voire même (c'est un peu plus drôle), "la Walkyrie de la Mécanique" ! Qu'importent ces sobriquets, Camille du Gast fonce, double ses adversaires masculins, séduit cette sphère sportive alors balbutiante mais aussi l'industrie qui lui est inhérente. Le rédacteur en chef de la revue spécialisée L'auto écrira même que sa vitesse "est digne des plus célèbres rois du volant".
De quoi coiffer au poteau bien des machos.
"Chaque être porte en soi ses vrais trésors". Le nom d'Elisa Lemonnier vous dit certainement quelque chose. Bien des établissements scolaires l'arborent. Et pour cause, puisque cette défenseuse de l'éducation pour tous - et surtout pour toutes - est la fondatrice du premier lycée pour filles de France. L'on s'en doute, pour la créatrice de la Société pour l'enseignement professionnel des femmes, l'instruction est déjà une forme d'émancipation.
Durant cette seconde moitié du dix-neuvième siècle, Elisa Lemonnier est venue décocher un bon coup de pied dans la fourmilière de l'éducation nationale. Ses formations ont permit aux femmes d'apprivoiser de nombreuses professions, de la confection de bijoux à la gestion de commerces. En France d'abord. Puis en Belgique, en Suisse, en Italie... Un souci d'égalité professionnelle avant-gardiste. C'est dire si les traces d'Elisa Lemonnier se retrouvent un peu partout. La Ville de Paris lui a dédié une plaque commémorative, nichée au sein du 3e arrondissement.
"Notre mandat c'est sauver, protéger, témoigner". Des figures humanistes, il y en a pléthore dans ce florilège coloré de "femmes françaises extraordinaires". La politicienne et écrivaine Christiane Taubira, la médecin et lanceuse d'alerte Irène Frachon, l'iconique Simone Veil. Humanistes, oui, mais aussi humanitaires.
C'est le cas de Sophie Beau, chercheuse partie en mission sur les vagues afin de venir en aide aux migrants qui, chaque jour, risquent la noyade en pleine mer, dans l'espoir - déjà condamné - d'une nouvelle vie. Co-créatrice de l'association SOS Méditerranée, cette ancienne étudiante en anthropologie s'évertue à sauver ces existences anonymes qui suscitent volontiers l'indifférence. Des sauvetages qui ont marqué l'opinion publique. Et qui exigent en retour des puissances politiques de nécessaires initiatives. Un idéal que défend cette grande indignée.
"Je n'ai jamais eu peur. Je voulais aller jusqu'au bout". Elles sont nombreuses, les paroles militantes qui noircissent le papier de ces Histoires du soir. Des modèles de féminisme, comme Olympe de Gouges, Colette, George Sand. Des figures anarchistes également, telles Rirette Maîtrejean et Louise Michel. Amal Bentounsi, elle aussi, est une insoumise. Et c'est notamment contre les violences policières, et leur impunité, qu'elle s'oppose.
Son combat commence en 2012, lorsque son frère Amine est victime de bavures policières. En sa mémoire, elle va lancer des mobilisations et une association, luttant pour que la vérité se fasse. Le policier incriminé sera finalement reconnu coupable. A l'heure où les abus des forces de l'ordre semblent redoubler d'intensité, et le nom des victimes retentir dans les rues de la capitale, la cause d'Amal Bentounsi est plus ravivée que jamais.
"La transition environnementale est devenue mon objectif de vie". Comme Greta Thunberg, Anuna de Wever ou encore Adélaïde Charlier, Aline Gubri fait partie de cette jeune génération de militantes écologistes, se battant pour une meilleure prise en considération de la crise climatique. A travers ses livres, son blog, son activisme digital et ses interventions médiatiques, la jeune femme de 25 ans prescrit les gestes les plus écoresponsables.
Des initiatives du quotidien adéquates pour garantir la bonne santé d'un "monde d'après" qui s'écrit aujourd'hui. Inspirée par la militante américaine Lauren Singer, autre grande adepte du "zéro déchet", la conférencière et autrice (Zéro plastique zéro toxique, à dégoter en libraires) délivre des conseils de consommation salutaires et pertinents à l'heure où bien des anonymes souffrent d'une redoutable éco-anxiété.
"Les animaux ne doivent plus être considérés comme des aliments". Cela fait douze ans déjà que Brigitte Gothière bouscule de leur confort les esprits trop endormis et porte sur elle d'essentielles valeurs éthiques. Précisément, depuis la co-création de la fameuse association L214, dont les vidéos-chocs d'abattoirs ont rapidement gagné en viralité, soulevant bien des débats dans le paysage médiatique et politique national.
La porte-parole (et militante animaliste) raconte avec clarté le principe de ces immersions sans concessions : "Pour changer les habitudes alimentaires des gens, je dois leur fournir des actes". CQFD.
Histoires du soir pour filles rebelles : 100 femmes françaises extraordinaires, par Alice Babin.
Editions Les Arènes, 210 p.