Société
Pourquoi Gisèle Halimi a autant compté pour les femmes
Publié le 28 juillet 2020 à 16:31
Par Clément Arbrun | Journaliste
Passionné par les sujets de société et la culture, Clément Arbrun est journaliste pour le site Terrafemina depuis 2019.
Plus qu'une avocate brillante, Gisèle Halimi était une figure emblématique de l'histoire des droits des femmes en France. Défenseuse des opprimées, elle vient de nous quitter à l'âge de 93 ans. Et laisse derrière elle un parcours exemplaire. Souvenez-vous.
Gisèle Halimi, avocate de renom, militante passionnée et figure historique. Gisèle Halimi, avocate de renom, militante passionnée et figure historique.© Abaca
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Le regard, animé par la conviction, est capté par la caméra. La voix est limpide, précise, directe, pleine d'assurance. Les mots, eux, sont forts. "Quand une femme est violée on commence par dire : 'Elle n'avait qu'à pas porter un jean collant, elle n'avait qu'à pas sourire, elle n'avait qu'à pas sortir, elle n'avait qu'à pas... A la limite, elle n'avait qu'à pas exister en tant que femme". Nous sommes en 1977. Et le discours de l'oratrice se poursuit, plus percutant encore : "Une femme violée, c'est une femme cassée, c'est une femme éclatée. C'est une femme qui ne s'en remettra jamais. Une partie d'elle-même entre dans un espèce de coma".

Le plus éloquent - ou inquiétant - aujourd'hui c'est la justesse de ces propos, qui traînent pourtant bien des décennies derrière eux. Parmi tant d'autres prises de parole, ce discours aujourd'hui relayé par le média Brut démontre la justesse de Gisèle Halimi. Cette grande avocate et défenseuse des droits des femmes vient de nous quitter ce 28 juillet à l'âge de 93 ans. L'on retiendra d'elle ses déclarations, ses luttes, ses prises de position discutées, et finalement acclamées. Il faut dire que pour cette figure historique, le combat ne s'est jamais vraiment terminé.

"Combat" est d'ailleurs le terme qui pourrait synthétiser toute une vie, riche et tumultueuse, dédiée à celles et ceux dont la parole est bien souvent inaudible, tue, indistincte.

Un parcours inspirant, des paroles fortes

"Ne vous résignez jamais". "Une femme indépendante économiquement peut se réaliser dans des tas de domaines, y compris en amour d'ailleurs". "Je ne me laisserai pas renvoyer à mes fourneaux par le professeur Robert Badinter". "Nous, les femmes, nous, la moitié de l'humanité, nous sommes mises en marche. Je crois que nous n'accepterons plus que se perpétue cette oppression". A l'heure des hommages, d'aucuns aiment à rappeler les plus fameuses réparties de l'avocate. Mais aussi ses victoires. Et parmi elles, la plus connue : le procès de Bobigny.

En 1972, Gisèle Halimi défend Marie-Claire, une jeune adolescente qui, victime d'un viol, a décidé de se faire avorter, aidée par sa mère - à une époque où les condamnations pour de tels faits étaient loin d'être denrée rare. Aboutissement d'une défense implacable, Marie-Claire sera relaxée. Et cet événement bousculera bien des mentalités quant à l'acceptation du droit à l'IVG, autorisation qui ne sera légalement effective que trois ans plus tard.

Un droit fondamental que la femme de loi a toujours soutenu. Un an avant Bobigny, Gisèle Halimi appose sa signature au "Manifeste des 343" publié dans le Nouvel Observateur, plus connu sous le nom de "Manifeste des 343 salopes". Cette fameuse pétition rédigée par Simone de Beauvoir prône la nécessité d'un avortement enfin dépénalisé, accessible et gratuit pour toutes les citoyennes françaises. La même année, l'avocate fonde aux côtés de l'autrice du Deuxième Sexe le mouvement féministe Choisir la cause des femmes. Cette cause-là (qui est également le titre de son ouvrage éponyme paru en 1974), Gisèle Halimi n'a d'ailleurs pas fini de la plaider.

 

La preuve avec cet autre procès emblématique : celui d'Aix-en-Provence, en 1978, aussi appelé "Affaire Tonglet Castellano". L'avocate y défend deux femmes lesbiennes belges, battues, séquestrées et violées par trois hommes quatre ans plus tôt. Un récit glaçant, relaté dans un climat des plus houleux. Dans les pages de L'Express, Anne Tonglet, l'une des victimes, se rappelle effectivement du procès : "C'était extrêmement violent. Il y avait des crachats, on recevait des insultes, Gisèle Halimi a été giflée. C'était inouï".

La condamnation souhaitée - et finalement obtenue - des agresseurs sera un premier pas vers la reconnaissance plus aiguë (et encore longue) du viol en tant que crime dans la loi française. "La peine nous importait peu, seule la condamnation nous intéressait. Nous étions reconnues victimes de ce viol. Pour la première fois, la honte a changé de camp, devant tout le monde", poursuit en ce sens Anne Tonglet. Encore une date historique s'il en est.

La résistance admirable de Gisèle Halimi face à la violence que peut susciter ses défenses et prises de position avant-gardistes ne date pas d'hier. Comme le relate encore Le Monde, cette "insoumise" se confronte très tôt à l'opposition masculine - celle de son père, qui aurait souhaité un fils. Dès l'âge de dix ans, la jeune Gisèle fait ainsi une grève de la faim pour défendre... son droit à la lecture ! Une révoltée est née. Six ans plus tard, elle refuse un mariage arrangé, s'imposant une nouvelle fois face à l'autorité parentale.

Au gré des années, sa lutte sera à la fois juridique, politique, intellectuelle. Aux côtés de Jean-Paul Sartre, elle va ainsi s'indigner et militer contre l'usage de la torture par l'armée française durant la Guerre d'Algérie. Et en 1961, dévoiler l'étendue de sa rhétorique en défendant Djamila Boupacha, une Algérienne de 22 ans torturée et violée par des soldats français. D'abord condamnée à mort, la jeune femme sera finalement amnistiée et libérée.

 

Loin de s'assagir, l'avocate, autrice et militante n'a jamais arrêté de revendiquer l'importance du féminisme d'une entrevue à l'autre. Indépendance économique, épanouissement sexuel, injonction à la maternité, inégalités professionnelles, mise à mal du droit à l'avortement dans le monde... Aucun thème ne lui échappait.

En 2009, dans les pages de Madame Figaro, elle fait le point face à Claire Chazal : "Les femmes ne doivent jamais se résigner ! J'ai toujours été très heureuse d'être une femme... Je n'envie pas les hommes, ils arrivent dans un monde qui est à eux. Or j'ai une immense curiosité, certains ont appelé cela du courage. C'est comme un défi : jusqu'où puis-je aller ?".

"Merci Madame !"

Ce 28 juillet, c'est bel et bien ce courage qu'anonymes, militantes féministes, figures médiatiques et politiciennes applaudissent. Sur les réseaux sociaux, un mot-clé abondamment tweeté lui fait honneur : "Merci Madame". Fidèle à son éloquence habituelle, l'écrivaine et ancienne Garde des Sceaux Christiane Taubira ne cache pas son émotion. "Chère Gisèle Halimi, chère Maître, j'aimais par-dessus tout le timbre et la musique de votre voix, je suis heureuse de vous avoir dit quelle force et quelle limpidité l'un et l'autre ajoutaient à vos passions. Je chéris encore nos conversations vives et vos mots résolus", écrit-elle sur Twitter.

Et alors que certains médias se demandent si "les féministes vont trop loin", Unes angoissées à l'appui, les causes jadis contestées de l'avocate nous reviennent à l'esprit. Une piqûre de rappel salutaire sur laquelle insiste Anne-Cécile Mailfert, la présidente de la Fondation des Femmes : "L'histoire du féminisme c'est justement celle de ces femmes qui comme Gisèle Halimi sont allées 'trop loin' pour leur époque, ont réussi des choses qui paraissaient impossibles et a qui l'histoire a finalement donné raison. Admiration, et reconnaissance infinie !", décoche-t-elle.

Alors que bien des voix masculines déplorent les débordements d'un féminisme dit "radical", force est de constater que les réflexions de Gisèle Halimi l'étaient déjà tout autant en leur temps - si l'on suit ce raisonnement inquiet. Au micro de France Culture, l'oratrice affirmait encore en 2011 : "La politique n'a pas voulu de moi, et je le lui rendais bien. Je trouvais que la politique était réductrice, en particulier pour les femmes. La politique, dans l'ensemble, est une politique mâle, surtout à l'époque. C'était quelque chose de masculin. Cette politique ne me séduisait donc pas. [...] Je pensais que la vraie politique, c'était le féminisme".

Dans un "monde d'après" qui devra s'écrire sans sa voix, le féminisme, fort heureusement, ne cessera jamais d'être politique.

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