« Lors de son invention en Angleterre dans les années 1850-1900, le sport moderne se pratiquait dans des clubs réservés aux hommes exclusivement », prévient d’entrée de jeu Fabienne Broucaret, auteure de l’ouvrage « Le sport, dernier bastion du sexisme ? » (Michalon). Et de poursuivre : « en France, l’école de Joinville, ancêtre de l’Institut national du sport et de l’éducation physique (Insep), était réservée aux jeunes soldats uniquement. Ils y pratiquaient l’escrime et la gymnastique en guise de préparation militaire ».
D’emblée, ce bref historique donne le ton, et explique qu’en 1896, lors des premiers Jeux Olympiques modernes à Athènes, les femmes étaient considérées comme complètement inaptes aux terrains sportifs. « Les cheveux défaits, les jambes dénudées et l’effort étaient incompatibles avec la tenue attendue des femmes », et ce, dans tous les sens du terme note Catherine Louveau, sociologue et auteure de « Sexuation du travail sportif et construction sociale de la féminité » (Cahiers du genre).
Bien plus tard, lors des JO de 1912 à Stockholm, Pierre de Coubertin, rénovateur de cet événement international, déclare : « les Jeux Olympiques doivent être réservés aux hommes, le rôle des femmes devrait être avant tout de couronner les vainqueurs », réaffirmant ainsi la pseudo-incompatibilité des femmes avec une activité physique, quelle qu’elle soit. « Farfelu », « déplacé », « inconcevable » : tels étaient alors les qualificatifs relatifs au sport féminin.
Un siècle plus tard, bien qu’il soit, en théorie, ouvert aux deux sexes, le sport est encore considéré comme une activité plus masculine que féminine. Pire, mal vue, la pratique de certaines disciplines par des femmes est presque dissimulée, à l’instar du rugby. « D’ailleurs, qui sait qu’il existe un XV de France féminin ? », interroge F. Broucaret.
Un sexisme ordinaire qui prend plusieurs formes et se manifeste notamment par la différence de traitement des sélections féminines et masculines au sein d’une même fédération. « Les budgets pour les hommes sont toujours largement supérieurs à ceux alloués aux femmes. Par conséquent, les sportives ne bénéficient pas de conditions d’entraînement optimales ». Ainsi, malgré plusieurs médailles, Aya Cissoko, championne du monde de boxe française en 1999 et 2003 et championne du monde de boxe anglaise en 2006, n’a jamais bénéficié de la moindre prise en charge ou accompagnement de la Fédération française de boxe, finançant seule ses entraînements et ses déplacements grâce à son emploi de comptable.
Quant aux joueuses de l’équipe de France de football, demi-finalistes de la Coupe du monde en Allemagne l’année dernière, la plupart sont amateurs et doivent jongler entre une activité salariée et leurs entraînements. A la différence de leurs homologues masculins, leurs primes de matchs ne leur permettent pas de subvenir à leurs besoins.
Rendez-vous incontournable du sport moderne, l’édition 2012 des Jeux Olympiques donne également de belles illustrations de ces inégalités et prouve qu’elles ne sont pas une exception française. Dernier exemple en date, la semaine dernière, les équipes féminines de football japonais et de basketball australien ont décollé de leur pays respectif en direction de Londres en classe économique, alors que leurs homologues masculins ont eu droit à la première classe. Pourtant, dans ces deux disciplines, les femmes ont obtenu, dernièrement, de bien meilleurs résultats que les hommes.
Ainsi, force est de constater que les mentalités dans le milieu sportif n’évoluent que très lentement. A qui la faute ? Pour F. Broucaret, elle est partagée par tous : médias, sponsor et public. « Les Français ne montrent aucun engouement pour le sport féminin alors qu’ils répondent présents à chaque compétition masculine. Déjà frileux sur le sujet, les médias et les sponsors ne jouent donc pas le jeu et ne prennent pas le risque d’investir. Pourtant, si ces derniers ne créent pas de dynamique auprès du public, le sport féminin ne pourra que rester confidentiel. C’est le serpent qui se mord la queue ».
Paradoxalement, même la presse féminine semble refuser d’offrir aux athlètes féminines la visibilité qui leur est due. « A l’exception de Laure Manaudou, rares sont les sportives à avoir fait la Une de ces magazines. Et même dans ce cas, ce n’était pas des résultats sportifs de cette championne olympique dont il était question, mais de sa vie privée. » Sandrine Retailleau-Vallet*, qui a choisi de mettre en lumière les sportives françaises à travers des livres de photos et d’entretiens, trépigne. « Je ressens une immense frustration quand je vois le peu d’attention à laquelle ces femmes ont droit. Je trouve dommage qu’elles ne soient sur le devant de la scène et ne bénéficient d’une tribune d’expression, qu’une fois tous les 4 ans, à l’occasion des Jeux Olympiques », déplore-t-elle.
Alors, la quête vers l’égalité hommes/femmes dans le sport est-elle perdue ? La réponse est non, si l’on en croit la footballeuse Sandrine Brétigny. « Il y a une progression certaine, les médias commencent à s’intéresser au sport féminin », constate-t-elle. Et d’ajouter, réaliste, « la reconnaissance ne peut être durable qu’avec de bons résultats et de la constance ». Et en effet, le 13 juillet 2011, la demi-finale de la coupe du monde féminine de football, opposant les tricolores aux Etats-Unis et retransmise sur Direct 8, avait réussi à attirer 2,4 millions de téléspectateurs en France.
Reste que pour la jeune attaquante, la médiatisation ne doit pas s’obtenir par n’importe quel moyen. D’ailleurs, lorsqu’on lui demande son avis sur les campagnes de communication montrant les sportives dénudées, à laquelle se sont essayées plusieurs fédérations, dont la Fédération française de football en 2009, elle est catégorique. « Aucun sportif ne devrait se retrouver dans ces extrêmes pour attirer l’attention sur sa discipline. Je trouve dommage qu’il faille en arriver là, surtout lorsque l’on a de bons résultats ». Un point de vue partagé par F. Broucaret. « Ce type d’opération contribue à renforcer les stéréotypes en attirant l’attention davantage sur le physique des athlètes que sur leurs performances. En outre, l’efficacité de telles campagnes est très relative ; si elles créent le buzz pendant quelques semaines, elles n’apportent pas davantage de visibilité sur le long terme. »
Dans ce contexte, il reste toutefois des raisons d’être optimiste, avec la multiplication des bonnes pratiques. Depuis 1998, la Fédération française de handball fait figure d’exemple. Et pour cause, depuis 1998, la parité est totale en équipe de France : même encadrement médical, même filière de formation, même nombre de jours de travail, mêmes hôtels et mêmes primes pour les handballeuses et handballeurs. De même, au judo et en escrime, il n’y a pas non plus d’inégalité quant à la valeur des primes liées aux résultats. Ainsi, à défaut d’une égalité en club, certaines fédérations tentent d’être exemplaires au niveau national. Preuve que, si la route est encore longue avant d’atteindre la parité dans tous les sports, la marche est enclenchée.
*« Corps et âmes. La passion du sport au féminin » et « Divines. L’Olympisme corps et âmes » aux Editions La Martinière.
Crédit photo : AFP/La skieuse et exploratrice Amelia Hempleman-Adams porte la flamme olympique dans une nacelle de la grande roue de Londres, le 22 juillet 2012
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