Après des années de silence, une légende du rap se retrouve de nouveau sous les projecteurs, mais pour de mauvaises raisons.
Ken Samaras, plus connu sous le nom de Nekfeu, est accusé d'agression sexuelle et de viols. Il fait l'objet d'une plainte pour violences psychologiques, sexuelles et physiques, émanant d'une compagne qui préfère garder l'anonymat. Au coeur des accusations, des faits de violences conjugales, mais également de viols répétés à son encontre, dans le cadre d'une relation qui aurait duré quatre ans.
"De nombreuses procédures opposent la plaignante à son mari. Elle vit un véritable enfer. Après des années vécues dans le silence et la peur, elle dénonce des faits de viols perpétrés à son encontre à plusieurs reprises. Elle souffre d'un stress post traumatique sévère", nous informe le communiqué de presse de maître Florence Fekom, l'avocate de la conjointe en question. Ce sont des révélations sur lesquelles nous revenons en détail dans cet article.
Sur les réseaux sociaux toujours, l'accusé a finalement répondu à ces énoncés, également par le biais d'un communiqué de presse. Mais en employant une rhétorique que les militantes féministes décortiquent largement depuis des heures. Un discours très problématique ?
La réponse de Nekfeu semble limpide...
"C'est un communiqué entièrement mensonger et diffamant m'accusant de violences notamment sexuelles. L'ensemble de ce communiqué est faux", affirme-t-il sans détour. Dans son propre communiqué partagé sur Twitter, le rappeur explique que les plaintes de son ex compagne ont déjà été classées sans suite par la justice. Et également, que cette compagne fait l'objet d'un procès à venir.
"Ces accusations reviennent au moment même où mon ex compagne a été interpellée hier soir pour disparition inquiétante de mon fils de 3 ans. Elle est actuellement sous contrôle judiciaire depuis septembre et a interdiction d'approcher l'école de notre fils. Elle a essayé de se servir de notre enfant pour m'atteindre", développe le rappeur.
"Elle a tenté en vain à l'époque déjà, de me faire un chantage financier, me menaçant d'aller voir les médias si je ne lui versais pas une somme importante, sachant bien ma discrétion et mes convictions profondes sur ce sujet qui me touche. Malgré ses accusations infondées et choquantes, elle a depuis été condamnée plusieurs fois"
"Je crois fermement qu'il faut redoubler d'efforts pour faire entendre la voix des femmes victimes de violence. J'ai moi-même un jour dit avec aplomb qu'il n'y avait pas de fumée sans feu sur ce sujet, mais la vie m'a montré qu'en de rares occasions, d'autres motivations pouvaient entrer en jeu", écrit encore l'artiste.
Mais pourquoi la réponse de Nekfeu est-elle problématique ?
En fait, comme l'énoncent les voix féministes qui ont vivement réagi à ce communiqué sur les réseaux sociaux, les arguments déployés correspondent à un discours anti-#MeToo typique : l'évocation de manipulations et de mensonges à des fins financières (l'incontournable "elles font ça pour l'argent"), l'emploi du stéréotype bien connu de "l'ex folle" (un énoncé qui a fait l'objet de ce billet d'humeur sur Terrafemina), et la mise en avant de convictions féministes intimes comme gage de valeur... Et de non-culpabilité.
Ou, si ce n'est "d'innocence", gage "d'honneur".
Entre les lignes, on retrouve aussi la suggestion qu'il y aurait les "vraies", et les fausses victimes, lesquelles desserviraient "la cause". Soit d'un côté, "la voix des femmes victimes de violences", et de l'autre, en opposition, ces accusations conjugales... C'est en tout cas ce qui nous est suggéré.
En outre, de manière bien plus pragmatique, le classement sans suite des plaintes de l'ex compagne par la justice est envisagé par le rappeur comme une preuve de son "innocence", un terme qu'il emploie ouvertement dans le communiqué.
Or, factuellement, une plainte classée sans suite ne démontre pas l'innocence de l'accusé.
C'est d'ailleurs ce qu'exprime la journaliste Chloé Thibaud.
Sur Instagram, l'autrice aux plus de 19 000 followers décrypte : "C'est l'une des premières stratégies des hommes violents : 'c'est toi la folle, l'hystérique', il s'agit d'inverser les rôles". Avant de déplorer : "Les personnes qui ne connaissent pas les mécanismes des violences conjugales sont si promptes à balancer des 'je te crois' aux agresseurs' et des "pourquoi tu mens ?' aux victimes". A écouter l'autrice, on silencie trop les accusations de l'ex compagne dans cette affaire, qui témoigne d'une inversion de la culpabilité.
Un peu comme le "victim blaming" : un phénomène qu'on analyse dans cet article.
Chloé Thibaud rappelle en outre qu'une situation conjugale impliquant la garde de l'enfant par le rappeur ne serait pas antinomique avec des faits de violences conjugales, d'agressions sexuelles, de viols. Or, ce n'est pas ce que pensent beaucoup de fans, qui défendent l'artiste suite à ces nouvelles révélations. La mention de la garde de l'enfant démontrerait, si l'on en croit des auditeurs particulièrement sonores sur Twitter, son innocence.
Même si sur le réseau social, d'autres voix se font attendre.
"Pourquoi vous parlez tous comme si le fait que l’ex femme de nekfeu allait être jugée n’est pas compatible avec le fait qu’elle ait subi des violences physiques psychologiques et sexuelles ? je comprends pas", "Pour défendre les victimes y a jamais personne mais il suffit d'un communiqué qui dit "c pas vré" pour que tout le monde ouvre sa grande gorge et prenne position", "Tu m’étonnes les gens ils veulent pas nous croire quand on dit que leurs potes sont des violeurs mdr ils sont là ils sont convaincus que Nekfeu est innocent alors qu’ils se connaissent même pas un tout petit peu", peut-on ainsi lire.
Dans cet entretien avec la journaliste Rose Lamy (Préparez vous pour la bagarre), autrice féministe, on revient sur les éléments de langage inhérents aux charges anti-#MeToo. Vous connaissez certainement "tribunal populaire", "chasse aux sorcières", "porter préjudice aux vraies victimes", mais il y a pléthore de nuances moins connues dans tout ce lexique.
Nous revenons d'ailleurs dans cet autre article détaillé sur les excuses "bidons" d'auteurs de violences ou d'hommes accusés de violences. On retrouve toujours les mêmes expressions, les mêmes pirouettes rhétoriques... Flopée d'exemples éloquents à l'appui !
Une réponse qui ne manque pas de faire réagir, de manière naturellement exacerbée. On sait que l'avocate Florence Fekom a vu ses comptes faire l'objet de signalement massifs sur les réseaux sociaux de la part des fans du rappeur, ce qui aurait engendré la suspension desdits comptes en ligne. Dans cet article, on vous relate les diverses réactions des fans. Une affaire à suivre, donc.