Nantes inaugure son mémorial de l'esclavage
Publié le 25 mars 2012 à 09:00
Par Marion Roucheux
L'histoire de Nantes est fortement liée à celle de la traite négrière. La ville continue son travail de mémoire en inaugurant cette semaine le mémorial de l'abolition de l'esclavage sur les quais, lieu symbolique de cette histoire douloureuse. Entretien avec Marie-Hélène Jouzeau, directrice du patrimoine et de l'archéologie à Nantes.
Nantes inaugure son mémorial de l'esclavage Nantes inaugure son mémorial de l'esclavage© Patrick Garçon
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Terrafemina : Comment est née l’idée d’édifier un mémorial sur les quais de la ville de Nantes ?

Marie-Hélène Jouzeau : La décision de construire à Nantes un monument dédié à l’histoire de port négrier de la ville remonte à 1998. Nous fêtions alors le cent-cinquantième anniversaire de l’abolition de l’esclavage et l’idée que Nantes accueille un lieu pérenne dédié à cette mémoire s’est imposée. Le conseil municipal de Nantes a alors voté la décision d’implanter sur le quai de la Fosse en bord de Loire, site très emblématique de ce passé de premier port négrier de France, une œuvre d’art commémorative. Puis un long chemin a été parcouru pour trouver le concept artistique. En 2001 le choix de la ville s’est porté à l’issue d’un concours international sur Krzysztof Wodiczko, un artiste polonais très engagé sur le terrain des droits humains et de l’injustice sociale. Il s’est associé avec l’architecte argentin Julian Bonder. Le chantier a démarré en 2009 et l’inauguration est fixée au 24 mars 2012.

Tf : Pourquoi édifier un tel lieu ?

M-H. J. : Il s’agit d’un projet très important sur le plan mémoriel. Concevoir et réaliser un mémorial nécessite beaucoup de temps, d’acceptation et de discussions. Depuis 1980 Nantes a démarré la réflexion sur son lien avec la traite négrière. À la fin des années 1980 un mouvement de la société civile (porté par des historiens, politiques, citoyens et associations) a poussé à lever le voile sur l’histoire de la ville et à faire connaître ce passé. En 1992 l’organisation de l’exposition « Les anneaux de la mémoire » a été le premier pas concret dans cette démarche. Il s’agissait d’une grande exposition temporaire qui retraçait l’histoire de la traite négrière et le rôle de Nantes dans le commerce des esclaves. Un véritable succès qui a accueilli plus de 400 000 visiteurs. Nantes a été la première ville française à lever le voile sur ce sujet encore tabou et à ouvertement aborder la question sur la place publique. Cette exposition a donné à la ville l’idée d’un projet plus pérenne. La ville voulait un espace commémoratif, dédié à la mémoire mais qui porterait également un message contemporain et citoyen sur l’esclavage dans le monde. Ce mémorial veut porter un message de citoyenneté, de vigilance et d’éveil des consciences dans notre monde actuel.

Tf : La mémoire est fragile. Est-ce aux politiques et à la ville de la protéger ?

M-H. J. : La mémoire est fragile en effet et la politique porte la responsabilité de sa transmission. L’édification d’un mémorial est un geste qui participe de la mémoire collective en reconnaissant l’histoire négrière de Nantes et en acceptant de la regarder en face. Cela relève d’une histoire commune entre les peuples, qui va au-delà de la seule ville de Nantes. Nous participons ainsi à un mouvement en faveur de la réalisation de ce type de lieux de mémoire. Il y a évidemment d’autres initiatives de ce genre dans d’anciennes villes négrières, comme à Liverpool où un musée dédié à ce sujet a été inauguré.

Tf : Le projet a été conçu par l’artiste Krzysztof Wodiczko. Pouvez-vous nous décrire le mémorial ?

M-H. J. : Le mémorial est double. Il a d’abord été pensé comme lieu de passage, avec une vaste esplanade de 7000 m² de surface. Le lieu s’inscrit entre deux ponts de Nantes, la passerelle Schœlcher et le pont Anne de Bretagne. Il se caractérise par son horizontalité sur laquelle s’inscrivent des parcours urbains. Le sol est recouvert de 2 000 pavés de verre : 1 800 représentent chacun une expédition négrière nantaise et rappellent le nom du bateau ainsi que l’année d’expédition et les 200 autres mentionnent quant à eux la destination des expéditions et des ports de vente des esclaves aux Antilles. En parallèle de ce parcours urbain, le quai a été creusé d’un long passage de 90 mètres souterrain en contact direct avec la Loire. L’objectif est d’évoquer l’intérieur d’un navire négrier en recréant les sentiments d’enfermement et de voyage. Côté ville, le mémorial comporte des grandes lames de verre sur lesquelles sont inscrits des textes abolitionnistes du monde entier : cela représente la grande coupure, le grand espoir apporté par l’abolition de l’esclavage. C’est une métaphore des luttes qui ont conduit à l’abolition et qui montre également que le combat est encore inachevé.

Crédit photo : Patrick Garçon / Le Mémorial de l'abolition de l'esclavage de Nantes

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