Lorris Murail : C’est parti de la lecture d’un roman très classique sur le malheur des Noirs dans les champs de coton américains. Je me suis demandé ce qui se passerait si on inversait les rôles, sans pour autant penser à en faire un livre. Lorsque j’en ai parlé brièvement à un éditeur il a sauté sur l’idée et m’a encouragé à creuser ce sujet.
L. M. : Mon roman est une « Uchronie », un sous-genre de la science-fiction qui consiste à modifier un fait historique et à imaginer les conséquences, pour créer une sorte d’histoire alternative. Il a fallu monter toute une stratégie historique pour justifier mon scénario.
J’imagine donc que les grandes épidémies de peste en Europe ont été encore plus dévastatrices, entraînant la désagrégation des sociétés et le déclin du continent européen, parallèlement au développement de l’Afrique. Mon roman se situe au moment où ce continent a fait sa révolution industrielle, comme l’Europe au XIXe siècle.
L. M. : Comme il s’agissait de tout inverser il fallait procéder par des analogies. On appelait « bois d’ébène », l’esclave noir importé aux Etats-Unis, les cornes d’ivoire peuvent incarner la marchandise humaine de peau blanche.
L. M. : En fait, toutes ces analogies sont venues assez naturellement, j’ai découvert que tout pouvait s’inverser facilement, jusqu’aux jurons et manières de rabaisser l’autre, parce que les hommes sont tous les mêmes. Je ne veux pas dire que les Noirs sont aussi méchants que les Blancs, mais ce sont les circonstances de l’Histoire qui font les hommes. Chaque être humain qui se retrouve en situation de domination est susceptible d’en abuser.
L. M. : Je ne cherche pas à donner une leçon de morale, simplement à modifier le point de vue. Tout le monde sait qu’il faut condamner le racisme. Mon idée profonde est que la notion même de « race » est à bannir. Tous les hommes ont des particularités mais ils partagent 99% de gènes communs et nous descendons tous d’une poignée de 5000 hommes ayant vécu sur le continent africain.
L. M. : Je pense que nous n’avons pas fait ce qu’il fallait. Nous avons fait notre devoir de mémoire envers la Shoah, mais nous n’avons pas rendu la même justice au peuple noir, alors que le bilan de la période d’esclavage est à peine chiffrable. La situation de l’Afrique a forcément un rapport avec ce qu’on en a fait, et nous sommes loin d’avoir acquitté notre dette envers ce continent.
L. M. : Le deuxième volume est en cours d’écriture. La jeune Mari est une enfant dans le premier tome, encore naïve et pleine de rêves, qui sert ses maîtres noirs en Afrique. Par la suite elle deviendra une femme. Elle retrouvera la terre de ses ancêtres, l’Europe, une découverte difficile, mais dans la troisième partie elle reviendra en Afrique et devra s’endurcir pour se libérer.
Lorris Murail, « Les Cornes d’ivoire », (Pocket jeunesse), 17,90 Euros.
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