Beaucoup l'annonçaient depuis des mois déjà, ça y est : Brendan Fraser a remporté l'Oscar du meilleur acteur pour sa performance dans The Whale. Une oeuvre qui ne ménage pas son public (comme toutes celles de son auteur, Darren Aronofsky) et où l'acteur, passant du rire aux larmes dans la peau d'un professeur de littérature souffrant d'obésité morbide (et surtout, de remords) privilégie une partition beaucoup plus fine qu'on ne pourrait le croire. Plus subtile en tout cas que le film qu'il porte sur ses épaules.
"J'étais dans la jungle, et j'aurais probablement dû laisser une traînée de miettes, mais tu m'as trouvé, et comme les meilleurs réalisateurs, tu m'as simplement montré où aller, et où je devrais être", a déclaré l'acteur à Darren Aronofsky dans son discours. Ajoutant : "J'ai commencé dans ce métier il y a 30 ans, avec une facilité que je n'ai pas su apprécier, jusqu'à ce qu'elle s'arrête. Je veux juste vous dire merci pour cette reconnaissance".
Ce sacre, c'est surtout le come back d'un visage fétiche de nos enfances à tous, reconnu pour ses partitions dans La momie, Georges de la jungle, Endiablé, Les Looney Toons passent à l'action, la série Scrubs. Star qui a connu une traversée du désert ces dix dernières années. Cet Oscar, c'est une résurrection "à l'américaine", le triomphe d'un acteur que les mauvaises langues disent "has been"... comme sait si bien le faire la cérémonie.
Mais derrière ce triomphe, il y a également #MeToo.
Car Brendan Fraser, c'est également une parole libérée. En 2018, l'acteur affirmait l'espace d'une interview accordée au magazine GQ avoir été victime d'agression sexuelle au sein de l'industrie du spectacle. Agression qui serait du fait d'un ancien président de la Hollywood Foreign Press Association (l'organisatrice des Golden Globes), Philip Berk. Des faits présumés qui se seraient déroulés au Beverly Hills Hotel au cours de l'été 2003.
"Il a passé sa main gauche autour de moi, m'a attrapé la fesse, et un de ses doigts m'a touché au niveau du périnée. Et il a commencé à le bouger. Je me suis senti mal. Je me sentais comme un petit enfant. J'avais comme une boule dans la gorge. J'avais l'impression que j'allais pleurer", témoignait alors l'acteur. "Fraser a aussi expliqué que cet événement l'avait traumatisé au point qu'il s'était retiré de la vie publique", déplore Allociné. Ces dernières années, l'acteur souffrait notamment d'une profonde dépression.
"Après ça, je suis devenu déprimé. Je m'en voulais et me sentais misérable. Je me suis senti exclu. Suis-je encore effrayé ? Absolument. Ai-je besoin de dire quelque chose ? Absolument. Ai-je voulu le dire plus tôt, à plusieurs reprises ? Absolument. Est-ce que je me suis arrêté ? Absolument", a assuré l'interprète, rapporte Le Figaro. Des lignes qui font écho à bien des témoignages de victimes : honte, peur, culpabilisation...
Brendan Fraser s'est exprimé quelques mois après les prémices à Hollywood du mouvement #MeToo, largement médiatisé suite aux premières révélations et enquêtes dédiées à "l'affaire Weinstein". Et ses mots sont importants.
Car aujourd'hui encore, témoigner d'un viol ou d'une agression sexuelle, quand on est un homme, même lorsque l'on est une star, c'est également risquer les pires préjugés et remarques. Avez-vous remarqué que ce thème pourtant dramatique est toujours tourné en dérision dans les films ? On pense aux fameuses blagues de "savonnettes dans les douches"... Entre autres beauferies déplacées visant avant tout à décrédibiliser les victimes.
Derrière cette dédramatisation constante, on observe la même chose : du virilisme crasse. Un homme agressé sexuellement ou violé ne serait plus vraiment un homme. Il serait meurtri dans sa masculinité, dans sa virilité. C'est aussi pour cela que l'exprimer revient à briser un tabou, déboulonner les stéréotypes de genre, répondre à un état d'esprit nous renvoyant aux racines-mêmes du patriarcat. Or, le virilisme, c'est ce contre quoi luttent les féminismes, d'autant plus depuis les prémices du mouvement #MeToo.
Une démonstration que Brendan Fraser n'est pas le seul à avoir revendiqué. On pense au témoignage de l'acteur Terry Crews, qui en 2017, déclarait également avoir subi une agression sexuelle, par "un prédateur puissant et très influent". Crews avait peur de parler, d'être ostracisé : "Je l'ai laissé filer. Et je comprends maintenant pourquoi tant de femmes victimes d'agressions sexuelles n'osent pas en parler".
Lors d'une autre prise de parole, Terry Crews déplorait le manque de soutien des hommes afroaméricains à son égard : "Beaucoup de types ont dit des trucs du genre "Mec, tu es faible. Désolé, tu aurais dû le frapper, le mettre à terre. Tu aurais dû faire ça".
Difficile de mieux clarifier ce rapport limpide entre le mythe de la virilité (pour paraphraser la philosophe Olivia Gazalé), et notamment sa culture de la violence, et le "victim blaming" dont peuvent également faire l'objet les mecs.
Olivia Gazalé justement, l'énonçait clairement : "Etre un homme, c'est obéir à un faisceau d'injonctions, comportementales et morales, et faire sans cesse la démonstration de leur parfaite intériorisation. Ce modèle est fondamentalement violent et discriminatoire. Pour qu'il y ait de "vrais" hommes, il faut désigner des "sous-hommes". La virilité, c'est la domination, qu'elle s'exerce sur la femme, ou sur l'autre homme".
Et c'est aussi pour cela que la victoire de Brendan Fraser, qui en 2018 avait appuyé son soutien envers Rose McGowan et Ashley Judd, porte-paroles de MeToo, compte autant.