Des distributeurs de tampons implantés en pleine université. A Rennes 2, plus précisément. L'idée étonne ? Dans un monde parfait, elle ne devrait pas. Cette initiative salutaire est celle de l'entrepreneuse bretonne Gaële Le Noane. Cela fait déjà un an que sa start-up Marguerite & Cie s'occupe de l'envoi régulier de protections hygiéniques. Le but : lutter contre une précarité menstruelle bien trop tenace en proposant des tampons écoresponsables et accessibles à toutes. Gros plan sur ce projet éthique.
Le principe de Marguerite & Cie est simple comme bonjour. Proposer, moyennant un abonnement de neuf euros par mois, frais de port inclus, l'envoi de kits mensuels de 18 tampons biodégradables. Des "boxes", à l'image des "tout-en-un" de produits cosmétiques que l'on nous refourgue depuis une éternité. Une tradition dans le domaine du marketing beauté. Et qui se développe dans le secteur de la santé féminine. "S'il y a bien une chose que l'on doit recevoir tous les mois dans sa boite aux lettres, c'est des tampons !", s'amuse Gaële Le Noane. Difficile de lui donner tort.
Cette réflexion est plus cinglante qu'il n'y paraît dans un pays où la précarité menstruelle a (vraiment) de quoi alarmer. Car en France, comme le relève une récente et minutieuse étude du Monde, les dépenses en hygiène menstruelle peuvent représenter jusqu'à 5 % du budget d'une femme. Et compte tenu de la situation de précarité financière de bien des citoyennes, des sans-abris aux étudiantes, cet investissement reste un problème financier pour 1,5 million de femmes à travers l'Hexagone. Un chiffre lourd. Étouffant. Face à cela, Marguerite & Cie cristallise trois combats en un : "La lutte contre la précarité menstruelle, pour la santé des femmes et le respect de la cause écologique", développe son instigatrice. Voilà qui est dit.
Cette ancienne orthophoniste, également militante à l'association ADSF (Agir pour le Développement de la Santé des femmes), n'hésite pas à rappeler ces ingrédients-surprises que l'on trouve dans bien des serviettes et tampon. Pesticides. Glyphosate. Dioxines à gogo. "Comme le sujet est encore tabou et que nous avons vraiment besoin de protections menstruelles, la plupart des marques profitent de cette urgence pour nous vendre n'importe quoi", déplore-t-elle. Pas de ça chez Marguerite & Cie, qui bénéficie d'un contrat d'exclusivité avec la fabricant de protections féminines biologiques et naturelles, Natracare.
Aux yeux de Gaële Le Noane, corps des femmes et santé de la planète importent autant l'un que l'autre. Des convictions écoféministes on ne peut plus actuelles s'il en est. Et aussi green que la marguerite, cette belle fleur blanche, "symbole par excellence de la Nature", auquel l'entreprise doit son nom. Même s'il n'est bien sûr pas interdit d'y voir un hommage (qui en jette) aux emblématiques Duras et autres Yourcenar...
Alerter quant à la précarité menstruelle ne suffisait pas : il fallait agir. Et tout cela ne s'est pas fait sans mal. Zéro budget en terme de com' pour une entreprise "partie de rien", précise sa patronne, si ce n'est l'appui bienveillant d'une banquière. Entre temps, Gaële Le Noane a dû affronter la perplexité d'un bon nombre d'investisseurs potentiels "qui ne comprenaient pas le projet, ni son intérêt". Il faut dire qu'il est difficile de rendre "bankable" le thème si peu sexy des menstruations, surtout lorsque l'on est une femme. "Je me suis vraiment heurtée au fameux plafond de verre", admet la working girl. Mais le jeu en valait la chandelle.
Un an après son lancement, Marguerite & Cie compte pas moins de 500 abonnées par mois. Et tout autant de bonnes ondes. Malgré les réticences de certains, l'entrepreneuse sait que ce que son projet est "dans l'air du temps". La preuve ? Le concept du distributeur à protections hygiéniques, soit "l'étape numéro 2 du projet Marguerite & Cie", a déjà séduit les universités de Reims et Grenoble. Normal : le "test" de Rennes 2 fut un franc succès, avec pas moins de 5 000 étuis distribués en un jour (sur les 9 000 prévus). Et ce sous les hourras d'étudiantes "contentes d'avoir accès à des tampons bio, pas forcément disponibles ailleurs à ce prix-là".
Il y a peu, Gaële Le Noane a même été reçue par la secrétaire d'Etat à l'égalité femmes-hommes Marlène Schiappa. Proposer une solution à la précarité menstruelle serait un enjeu gouvernemental important. "On a plus que jamais besoin d'une volonté politique énorme pour inverser la tendance", ajoute l'entrepreneuse engagée. Surtout lorsque l'on sait que la gratuité des protections menstruelles est loin d'être une utopie. A New York, à Séoul, en Ecosse, elle est déjà une réalité. La France est attendue au tournant.
Plus globalement, Marguerite & Cie s'inscrit dans un panorama stimulant où associations, festivals et initiatives militantes de tout poil s'exercent à dédramatiser ce qui, depuis trop longtemps déjà, est synonyme de superstitions et de culpabilité. De la plateforme collaborative Cyclique au festival Sang Rancune, en passant par des newsletters essentielles comme La Menstruelle ou Les Flux, pour ne citer qu'elles. Le "& Compagnie" qui suit "Marguerite" sert justement "à appuyer l'idée d'une vaste "communauté" au sein de laquelle l'on se bat toutes ensemble pour les mêmes valeurs", renchérit Gaële Le Noane. Une sororité sanguine qui fait plaisir à voir.
Car plus l'on parle des menstruations, plus l'on participe à briser un tabou. Dans le genre, intégrer les tampons et serviettes à l'espace public est une sacrée avancée. Montrer le produit, c'est déjà le dédiaboliser. "Il est important d'offrir de la visibilité aux serviettes et aux tampons", achève l'entrepreneuse. "Car une fois que le tabou des règles sera tombé, on assistera à une grande évolution pour ce qui est de l'égalité entre hommes et femmes."