Après un documentaire sur les règles, voici un festival qui leur est dédié. Étonnant au premier abord mais tellement nécessaire. Le collectif Cyclique est déjà à l'origine de Clean Your Cup, qui recense les lieux où l'on peut changer sa cup de manière propre. Cette fois-ci, il se lance dans l'organisation de ce festival qui est une première.
Sang Rancune se déroulera à Paris au Point Éphémère, le samedi 10 novembre. Deux tables rondes parleront des "nouveaux enjeux des règles : santé, écologie et réappropriation de nos corps " et de "décoloniser la gynécologie : lutter contre le sexisme et le racisme dans la gynécologie moderne".
Les participant·es pourront fabriquer eux et elles-mêmes leur serviette réutilisable ou se faire tatouer. La soirée se terminera par un DJ set.
Autour d'un événement "militant et festif", les organisatrices veulent briser les tabous des règles et aborder tous les problèmes politiques, sociaux et économiques qui gravitent autour du sang de nos menstruations. Fanny Godebarge, qui est membre du collectif Cyclique, nous explique la démarche de ce festival.
Fanny Godebarge: Cela fait un moment que l'on travaille sur le sujet des règles et nous avons une communauté qui grandit. C'était l'occasion de se rencontrer au travers d'un événement aussi bien festif que militant. On s'est aussi rendu compte que des événements qui réunissent autant d'acteurs et d'actrices sur le sujet des règles en France, ça n'existait pas encore, donc on s'est dit que c'était l'occasion.
F.G. : Parce que les règles sont un sujet de santé publique qui est passé à la trappe toutes ces dernières années, ces dernières décennies, ces deniers siècles. Il y a beaucoup de problématiques dont on commence seulement à parler aujourd'hui, comme l'endométriose, le prix des protections périodiques ou la précarité menstruelle.
Ce sont des enjeux politiques importants et c'est l'occasion d'en discuter pour que le sujet fasse son chemin.
Il y a plusieurs lectures sur le sujet des règles. Il y en a une qui est personnelle, très intime, qui est notre propre rapport à notre corps, à nos menstruations, à notre santé sexuelle.
Et il y a une lecture plus collective qui est celle des enjeux économiques, de santé, ou d'écologie aussi. Parce que l'impact des protections périodiques sur l'environnement est énorme et on ne s'en rend compte que depuis peu. Les serviettes et les tampons traditionnels contiennent des produits chimiques, du plastique ; des produits qui sont très nocifs pour la santé et l'environnement.
Il faut aussi déconstruire cette idée de normaliser toujours les douleurs de règles, comme le font par exemple certain·es gynécologues. Moi, personnellement, j'ai une endométriose qui a été diagnostiquée il y a un an, mais quand j'avais douze, treize ans j'avais de grosses douleurs pendant mes règles. On m'a dit que c'était normal d'avoir mal à ce moment-là et on m'a mise sous contraceptif hormonal de mes douze ans à mes vingt ans.
Les règles au travail ou dans le sport, ce sont encore d'autres sujets. C'est un domaine presque inexploré. Tout cela fait que le sujet des règles est politique.
F.G. : Je ne suis pas certaine. Les sujets menstruels prennent de plus en plus de place dans les préoccupations des gens depuis quelques années. Depuis le débat sur la taxe tampon en 2015 par exemple, c'est un sujet qui revient au coeur des débats féministes aussi. Ce n'était pas trop le cas il y a dix ans, c'étaient les prémices.
Même si dans les arts, le travail de l'artiste Gina Pane, où elle mettait ses menstruations en scène, a eu beaucoup d'importance, c'est un sujet qui fait débat parce qu'on se pose beaucoup de questions depuis qu'on parle des produits toxiques qu'il y a dans les serviettes et les tampons, depuis qu'on parle de la taxe tampon.
F.G. : C'est destiné aux filles et aux garçons, bien sûr. L'un de nos coeurs de cible, c'est les pères de famille et la façon dont les règles peuvent être gérées par la famille et les papas. Si on n'est pas menstrué·e soi-même, nous sommes forcément à un moment confronté·e au sujet, que ce soit avec sa soeur, sa mère, sa copine, ses ami·es, ou ses enfants.
On a un atelier sur comment fabriquer sa propre serviette réutilisable, c'est un atelier mixte. Même si pour l'instant, nous n'avons pas d'hommes inscrits. Mais ça peut être un moment conviviale pour discuter des règles et faire un petit cadeau à son ami·e.
On a un discours très inclusif. Sur la plateforme de Cyclique, déjà, on parle de personnes menstruées et pas de femmes spécialement. Pour plusieurs raisons. La première c'est qu'il y a des personnes trans ou non-binaire, qui ne s'identifient pas comme des femmes, mais qui ont leurs règles.
On considère aussi que quand on a dix, onze ans et qu'on a ses premières règles on n'est pas une femme, ou alors on peut choisir de le devenir un peu plus tard. Et après c'est vrai qu'on s'adresse aussi aux hommes parce que c'est important qu'ils fassent partie du débat.
Ce n'est pas parce qu'ils ne sont pas concernés directement qu'ils n'ont pas un impact dans leurs réseaux ou dans leur famille. Au sujet du prix des protections périodiques et de l'endométriose, j'en parle souvent à des copains ou a des nouvelles connaissances qui me disent 'bah oui, ma copine a de l'endométriose'.
C'est donc un sujet dont il faut parler à tout le monde.
F.G. : C'est un peu notre maman. Je l'ai rencontrée au début de mes projets de règles, je lui avais écrit et elle m'avait invitée à intervenir pour le lancement de son livre Ceci est mon sang. C'est une personne extraordinaire. C'est une militante féministe comme nous, c'est une personne qui est identifiée comme référente sur le sujet des règles en France grâce à son livre grand public Ceci est mon sang.
Mais elle a aussi écrit Les règles... quelle aventure ! pour les adolescent·es. Elle s'attaque à plusieurs publics et c'est ça qui est génial. C'est une personne extrêmement bienveillante qui a soutenu notre projet depuis le début, c'est quelqu'un qu'on aime.
Est-ce que vous allez rendre les marques classiques de protections périodiques has-been ? Tampax a sorti une cup, est-ce que c'est une manière pour ces marques de réagir à un tournant ?
F.G. : Oui, je pense. L'année dernière, la marque Nana a fait une publicité sur internet avec le hashtag #BloodNormal où elle montrait du vrai sang. Là effectivement, il y a la marque Tampax qui sort sa cup. Alors c'est très significatif même si pour l'instant ils ne vendent ça qu'aux États-Unis. Je n'ai pas regardé la composition de la cup.
Après, je ne ferais jamais la promotion de ces marques-là. Mais peut être que cela va permettre aux petites marques de cup de sortir de l'ombre, parce que pour l'instant cela reste des modèles créés par de petites entreprises.
Je trouve ça bien, même si c'était attendu. Même si je ne sais pas ce que le produit vaut et je n'ai pas envie de le tester.
Aussi, la cup n'est pas adaptée à tout le monde, pour les personnes pas assez à l'aise avec leur corps par exemple, ou celles qui n'utilisent que des tampons.
C'est aussi bien de savoir ce que l'on met dans son vagin, et les tampons traditionnels qu'on trouve en magasins, on n'en fera jamais la promotion.
Et puis, on ne peut pas débarquer du jour au lendemain avec nos gros sabots en disant "les tampons et les serviettes c'est de la merde !". Il faut éveiller les consciences sur le sujet, parce qu'il y a des gens qui n'ont pas le choix de les utiliser.
De l'autre côté, il y a de plus en plus de marques de tampons bio, et plus il y aura de marques et moins cela coûtera cher. On en parlera beaucoup à Sang Rancune, lors de la première table ronde, sur la précarité menstruelle qui existe en France et dans le monde.
On ne travaille qu'avec des marques réutilisables. L'écologie est l'une des valeurs que l'ont porte au sein de Cyclique. Parmi les marques qui sponsorisent l'événement, il y a Lamazuna qui est une marque 0 déchet, Fempo une marque de culotte menstruelle, et Luneale qui est une marque de cup sans tige. Elles vont faire des dons à l'association Règles élémentaire qui est partenaire de l'événement cette année, et qui collecte des protections pour les personnes en situation de précarité.
F.G. : Oui, c'est une forme de greenwashing, ils suivent la tendance, ils sont sous pression. En 2017, il y a eu une baisse de chiffre d'affaires de 4 % sur les serviettes et les tampons dans le monde. Donc c'est hyper significatif. Même si ce sont des boites qui font de gros chiffres d'affaires, elles commencent à avoir les boules de voir comment les choses vont évoluer sur les dix prochaines années.
Les jeunes aussi ont plus accès à l'information avec Internet, et sont lecteur·trices de Cyclique, où de Madmoizelle, un média très populaire chez les jeunes qui a beaucoup fait la promotion de la cup. Je pense qu'ils commencent à avoir les pétoches. Je l'espère, en tous cas.
F.G. : Pas du tout. En fonction de notre contexte d'évolution sociale, éducationnelle, économique. Il y a plein de gens qui n'ont pas les moyens de se payer un demi paquet de tampons ou de doliprane ou de protège-slip par mois. Les règles coûtent chers. On a des douleurs différentes. On peut souffrir d'un gros syndrome pré-menstruel et d'autres pas du tout. On peut avoir ou non une endométriose, ou des problèmes d'infertilité ou non. Donc l'expérience des règles est vraiment propre à chacun·e.
Après, nous sommes principalement des femmes blanches dans le collectif. Nous avons lu des articles sur le sujet et nous avons donc invité quatre spécialistes non-blanches à venir en parler pour discuter des violences gynécologiques sur les personnes racisées. On voulait être le plus inclusif possible.
Entrée gratuite, inscription conseillée ici.