
"On se sent si bête"
Elle est difficile, cette prise de parole de Benjamin Lavernhe. L'acteur nommé aux César, et sociétaire de la Comédie Française, s'est enfin exprimé sur un lourd sujet : l'affaire L'abbé Pierre, figure sacrosainte accusé de violences sexuelles. Abbé qu'il a incarné à l'écran dans un biopic. Lors du tournage, le comédien ignore naturellement tout de ce qui s'ensuivra : victimes libérant la parole, faits présumés de viols, agressions sexuelles...
Allégations se comptant en dizaines, s'étalant des années cinquante à 2005, émanant de bénévoles, salariées, volontaires. Et toutes réunies au sein de rapports constitués par le mouvement Emmaüs. Et depuis, bien des changements ont pris place : changement de nom ("mais pas de combat") de la Fondation Abbé Pierre, déprogrammation de son biopic des chaînes de télévision, "annulation" de fresques aux quatre coins de la France, lieux (lde commémoration, mais pas seulement) renommés...

On s'était même interrogé sur Terrafemina : faut-il "cancel" l'Abbé Pierre ? Une question qui s'exprime différemment dans l'Hexagone.
Aujourd'hui, Benjamin Lavernhe ne peut que partager sa sidération.
Et témoigne auprès de Sonia De Villers : "Ça nous glace le sang, on est plein d'effroi..."

"C'est terrible, je pense aux victimes...", confiait-il déjà Pierre Lescure, dans l'émission Beau Geste.
Cette fois-ci, c'est sur les ondes d'Inter que sa voix retentit.
"On s'est tous sentis dégoûtés et trahis. Ce biopic restera quelque part le témoignage d'une époque, une seule facette d'un homme...", poursuit-il avec gravité. "En fait c'est aussi triste de comprendre que l'exemple qu'il était... Et bien, il ne l'est plus du tout, pour toute une génération, qui va refuser de voir ce film"

Mais le Sociétaire ne s'arrête pas là...
"Je pense aussi très fort au réalisateur qui a bossé pendant cinq ans, personne ne lui a mis la main sur l'épaule en lui disant 'c'est peut-être pas le bon sujet, il y a des gens qui savent des choses. On se sent bête, on a l'impression qu'on est passé totalement à côté d'une part de ce personnage, de sa part d'ombre. On est tombés de notre chaise et on était dégoûtés, trahis"

"... il y a vingt-cinq témoignages et c'est épouvantable. Forcément, on ressent une grande trahison, une grande tristesse. De la sidération. Je cherche des mots, mais c'est difficile de les trouver. De l'effroi, parce que, quelque part, c'était un ami", abondait encore l'interprète auprès de Pierre Lescure en novembre 2024. Aujourd'hui, sa stupéfaction, et sa déception, demeurent.
De quoi rappeler ces mots limpides d'Adrien Chaboche, délégué général d'Emmaüs International, à franceinfo : "La priorité est donnée aux victimes et à leur écoute, à la reconnaissance de ce qu'elles ont subi... tous les combats que l'Abbé Pierre a portés et tout le bien qu'il a pu faire n'effacent pas la douleur et la souffrance qu'ont provoquées ces actes. Désormais l'abbé Pierre c'est, pour tout le monde, mais particulièrement pour les personnes qui ont été des victimes de violences dans leur vie, c'est l'image d'un prédateur sexuel"
Des propos que Benjamin Lavernhe partage.

"J'ai cherché à le rencontrer de l'intérieur, savoir quel était son moteur, son identité, toucher de près son immense ambition, mais aussi approcher ce qui l'animait. Comment ce type qui a pu faire des choses aussi extraordinaires a pu si mal se conduire, et au-delà ? La dualité de l'être humain, l'ambivalence, c'est toujours un choc", poursuivait-il encore auprès de Pierre Lescure, sur France 2.
"Et bien sûr, avec Frédéric Tellier et toutes les équipes, on est effondrés. Et surtout la puissance du secret. De se dire qu'on est passés à côté de ça et qu'on ne l'a pas vu, eh bien, c'est ça le plus terrible…"