Faut-il priver le film sur l'Abbé Pierre de diffusions à la télé ?
C'est en tout cas cette décision qui aurait été prise par Canal +, selon une information du Parisien. Le film L'abbé Pierre : une vie de combats, un biopic avec Benjamin Lavernhe de la Comédie Française, voit sa programmation menacée. Canal+ aurait ainsi déjà stoppé les rediffusions du film, programmées depuis le 21 mai, mais également, précise le journal, retiré le biopic de sa plate-forme myCANAL.
Et ce suite à la découverte des témoignages les plus accablants à l'encontre de cette personnalité décédée en 2007 : attouchements, agressions sexuelles, viols. Dix-sept nouveaux témoignages récemment sont venus s'ajouter aux 12 autres déjà relatés dans un dossier publié par le mouvement Emmaüs, où s'entremêlent les paroles de bénévoles, salariées, volontaires, pour des faits présumés s'étalent des années cinquante à 2005.
A l'unisson, d'autres chaînes de télévision pourraient renoncer à diffuser le film de Frédéric Tellier, selon Le Parisien. Mais la décision fait réagir. Elle incite à reposer cette grande question, déjà synonyme d'actes très concrets cependant dans toute la France : faut-il "annuler" toutes les représentations de l'Abbé Pierre qui pullulent dans l'Hexagone ?
Sous cette interrogation, s'énonce la notion de "cancel culture"...
La cancel culture, ou "culture de l'annulation", c'est le fait d'appeler au boycott d'une figure médiatique au coeur d'accusations graves, le plus souvent de violences sexuelles. Une initiative liée au mouvement de libération de la parole #MeToo. Et ce boycott a déjà pris de nombreuses formes. Suite aux accusations visant l’abbé Pierre, la Fondation éponyme a effectivement décidé... De changer de nom.
De même, la Fondation Abbé Pierre a également décidé de fermer le lieu de commémoration consacré à la mémoire de l'abbé, à Esteville, en Seine-Maritime. Florina Loisel, directrice de l'école primaire privée Abbé Pierre de Hédé-Bazouges (Ille-et-Vilaine), a de son côté communiqué l'initiative collective visant à changer le nom de cet établissement scolaire, en cohésion avec la direction diocésaine de Rennes. La mairie de Paris pourrait également faire débaptiser les jardins Abbé-Pierre du 13e arrondissement.
Des fresques murales à son effigie, qui pourraient se voir effacées, au retrait définitif d'une plaque commémorative posée à la mémoire de l'Abbé Pierre à Nancy, les gestes "d'annulation" se multiplient en France dans un même but éthique. Une situation qui fait beaucoup débattre. Tout comme la décision d'annuler les diffusions à la télévision du film dédié à l'Abbé Pierre.
Est-ce une bonne idée ? Les lecteurs du Parisien sont clivés par l'idée de "cancel" les représentations de l'Abbé Pierre. "Ca pourrait être diffusé avec une information préalable des téléspectateurs", propose en retour un internaute anonyme. Une contextualisation qui serait nécessaire effectivement. Dans ce cas cependant, faudrait-il également préciser les détails des documents publiés par la cellule investigation de Radio France, qui sont venus démontrer que les agissements de l’abbé Pierre auraient été dès les années 50 "couverts" par de plus hautes hiérarchies ?
Dont des documents écrits qui témoignent explicitement d'une connaissance des accusations à l'encontre de ce dernier depuis un demi siècle ? Récemment encore, l'on apprenait que la Vatican était au courant depuis des décennies entières des agissements de la figure sacralisée. Le Pape lui-même s'est exprimé sur ce sujet et confirme cette réalité factuelle.
"Désormais l'abbé Pierre c'est, pour tout le monde, mais particulièrement pour les personnes qui ont été des victimes de violences dans leur vie, l'image d'un prédateur sexuel", a en retour affirmé Adrien Chaboche, délégué général d'Emmaüs International. "La priorité est donnée aux victimes et à leur écoute, à la reconnaissance de ce qu'elles ont subi... tous les combats que l'Abbé Pierre a portés et tout le bien qu'il a pu faire n'effacent pas la souffrance qu'ont provoquées ces actes".
Parmi les réactions du public, d'autres résonnent encore : "Mais les films de Polanski sont encore diffusés à la télévision", proteste un autre lecteur. Un nom qui revient souvent dans l'argumentaire. Le cinéaste Roman Polanski est accusé de viol par une dizaine de femmes depuis les années 1970 et poursuivi depuis plus de 40 ans par la justice américaine.