Sangs, c'est un recueil de poésie à venir qui s'inspirera du récit de 100 femmes pour créer 100 poèmes de 280 caractères qui seront publiés sur Twitter.
Un concept littéraire imaginé par Leïla, autrice de 26 ans et passionnée par le genre, qui souhaite "libérer la parole des femmes, montrer la diversité de leurs expériences et affirmer que les règles ne sont ni sales ni honteuses", comme elle l'explique sur Tapage, qui l'a glissée dans le classement de ses New Faces, les "nouveaux visages" à suivre.
On a discuté avec elle pour en savoir plus sur l'origine de Sangs, son vécu du tabou autour des règles et comment la sororité serait la clé contre pour lever le tabou sur les menstruations.
Leïla : J'écris depuis de nombreuses années et suis une grande lectrice de poésie. J'ai depuis longtemps conscience des obstacles et des violences qui s'imposent aux femmes, autant d'un point de vue professionnel, politique, personnel qu'intime. Je m'intéresse notamment à la perception du corps des femmes et aux sexualités. J'ai achevé la lecture d'une anthologie de la poésie des femmes de la Beat Génération parue aux Éditions Bruno Doucet, et deux choses m'ont marquée :
- Les inventions, créations, découvertes des femmes doivent éclater au grand jour, car elles mettent à mal l'idée selon laquelle nous serions inférieures mais aussi nous donnent confiance en nous et nous rendent fières et donc solidaires.
- La littérature, et notamment la poésie, est un moyen puissant de créer des prises de conscience et de casser des préjugés.
L. : En tant que jeune femme, je ne cesse d'entendre parler de syndrome de l'imposteur qui frappe ma génération et d'autocensure des femmes. La parole des femmes se libère de plus en plus, mais on continue de nous imposer le silence quant à notre quotidien. On nous fait croire que notre désir est sale, que nos règles sont sales, que nos poils sont sales, que notre cellulite est sale, etc.
J'ai décidé de parler des règles et de le faire en poésie pour mettre de la beauté dans ce qui nous touche toutes. Je ne sais pas à quoi cela va ressembler mais j'en ai marre que les femmes soient découragées avant même d'avoir essayé !
L. : Pas encore. Le projet est fraîchement lancé, et je veux éviter de demander uniquement à mon entourage. Je pense beaucoup utiliser les réseaux sociaux pour toucher des femmes aux profils différents. J'ai commencé à discuter avec Irene, la jeune femme qui a passé une journée sans protections périodiques pour en réclamer la gratuité. Le récit de son expérience pourrait être un bon matériau pour un poème.
L. : Il y a toujours les remarques régulières quand nous sommes de mauvaise humeur " tu as tes règles non ? ". C'est à la fois extrêmement réducteur (comme si tout chez nous dépendait de nos hormones !) et c'est en même temps nier la souffrance que représentent des changement hormonaux (l'impression notamment de ne pas avoir le contrôle de son corps), les douleurs menstruelles ainsi que tous les désagréments dont on parle rarement (modification de l'appétit, difficultés de concentration, diarrhée ou constipation, vessie hyperactive, libido modifiée, etc.).
Il y aussi cette peur permanente de la tâche de sang embarrassante sur le pantalon, ou bien de l'odeur désagréable, le malaise lors de rapports sexuels... J'ai la chance d'être entourée de personnes bienveillantes et qui par ailleurs savent que je n'accepterai pas une remarque sexiste.
Je me souviens cependant de mes premières règles. J'étais en week-end avec ma mère chez mes grands parents et c'est évidemment aux femmes de la famille que j'ai été en parler. Après m'avoir rappelé la cause du phénomène, elles m'ont donné une liste de conseils pour gérer cette période. Elles ont particulièrement insisté sur le fait qu'il fallait me laver avec soin, sous entendant que les règles étaient sales. Ma famille est pourtant plutôt progressiste !
L. : Derrière l'idée que les règles sont sales, il y a la pensée selon laquelle le corps des femmes est impur, que les femmes doivent cacher tout ce qui concerne leur intimité. Nos corps sont toujours observés à outrance : érotisés, jugés, nous devons les cacher mais en même temps les mettre à disposition.
Nous devons sans cesse nous battre pour être maîtresses de nos corps et pour que ce qui concerne la manière dont ils fonctionnent ne soit pas ignoré : pas de clitoris sur les dessins anatomiques, des poils qui doivent être supprimés, des règles sales et taboues, etc.
Je n'ai rien à dire aux hommes sur le sujet, ou plutôt je préfère parler aux femmes, car c'est notre ressenti qui compte et que ce combat est le nôtre. Nous ne sommes pas sales, nos corps (tous) sont beaux et nous appartiennent, personne ne doit nous imposer une manière de ressentir, ni nous imposer l'ignorance quant à ce qui nous concerne. Nous devons partager nos vécus pour construire une connaissance collective de nos corps et donc avoir du pouvoir sur notre quotidien.
L. : Il faut que chaque femme petit à petit grignote du terrain. Arrêter de chuchoter lorsqu'on demande un tampon à sa copine en soirée. Assumer d'être excitée et d'avoir envie d'un rapport sexuel pendant ses règles. Ne pas avoir honte d'une tâche sur les draps ou les vêtements. C'est évidemment difficile, et il ne faut pas culpabiliser de ne pas y arriver parce que la pression est forte.
Pour s'aider, il faut parler aux autres femmes et se donner du courage mutuellement. Il faut aussi mettre à mal ceux qui entretiennent ou renforcent ce tabou. Pour ne citer qu'un exemple, il me semble essentiel que le liquide ne soit plus bleu dans les pubs pour serviettes hygiéniques. Ça avance, et c'est bon signe, nous devons être fortes collectivement pour que ça continue.