Cela fait déjà quelque temps que je suis confrontée à la fameuse question "comment mieux accepter nos règles ?", à l'écoute d'un podcast ou à la lecture d'un article sur le web.
En guise de réponse, des propos bienveillants qui nous incitent à nous acclimater à notre cycle menstruel : accepter les "petits maux", les sautes d'humeur, l'inconfort du sang qui coule sur nos vêtements... Et tout ça, au nom de notre féminité (l'argument ultime).
Mais je dois dire que tous ces conseils bien intentionnés me hérissent le poil. Pourtant, je suis une fervente militante du "parler des règles haut et fort", afin de briser le tabou qui les entoure. J'ai d'ailleurs récemment entamé un réel processus de déconstruction pour parler librement et sans honte de mon cycle menstruel.
Il y a encore quelques années, je planquais mon tampon dans la manche de mon pull ou dans la poche de mon jean avant de me diriger discrètement vers les toilettes dès que je me trouvais dans un lieu public. Aujourd'hui, quand je souhaite emprunter une protection périodique à l'une de mes collègues de bureau, je le fais sans baisser la voix.
Et à la question "qu'est-ce que t'as, t'es malade ?", je réponds sans hésiter à quiconque me le pose : "non, j'ai juste mes règles." Sans donner dans les détails scabreux, j'en parle librement, et je n'ai pas honte, tout simplement parce que j'estime qu'il n'y a pas de quoi.
Est-ce que ce nouvel état d'esprit sous-entend pour autant que j'aime avoir mes règles ? Pas vraiment. Si j'adhère à 100% au fait de dire que les règles ne sont pas sales mais naturelles, je serais malhonnête d'affirmer que je les attends avec impatience. C'est même carrément l'inverse.
Source de douleurs depuis le début (c'est-à-dire depuis mes 13 ans), mes règles m'ont souvent mené la vie dure. Je n'ai jamais particulièrement apprécié le fait de devoir carburer aux médicaments pour supporter les crampes au niveau du bas-ventre, ni d'aller régulièrement aux toilettes pour changer mes protections ou encore de faire constamment attention à mon entre-jambes quand je vais à la plage ou à la piscine...
Ces derniers temps, avoir mes règles est carrément devenu un handicap social. Je me suis retrouvée plusieurs fois alitée pendant une journée entière, presque incapable de bouger, et j'ai enchaîné les nuits blanches à cause d'une douleur insoutenable qui me tirait de mon sommeil. J'ai également découvert que mes menstrues augmentaient mes migraines, maladie dont je souffre depuis mes 16 ans.
Ces désagréments m'ont obligée à m'absenter plusieurs fois du boulot pour cause de douleur menstruelle. Un motif pas toujours franchement accepté dans le monde du travail en France, même si ma hiérarchie s'est montrée plutôt compréhensive.
Alors, il y a quelques temps, j'ai décidé de reprendre la pilule dans l'unique but de stopper mes règles. Une décision difficile à prendre, que j'ai vécu comme une trahison faite à mon corps. En effet, j'avais arrêté de prendre la pilule depuis longtemps car je supportais mal les effets secondaires.
Mais je dois avouer que mes douleurs au ventre, mes absences au travail et ma dette de sommeil ont eu raison de cet argument. Et même si je sais que cette solution n'est pas viable ad vitam aeternam, je m'accorde un peu de répit.
Ai-je pour autant l'impression d'avoir renoncé au symbole absolu de ma féminité ? Absolument pas. Comprenons-nous bien : je ne jette pas la pierre aux femmes qui font le choix de ne pas prendre la pilule même si elles souffrent, car chacune est libre de faire ce que bon lui semble lorsqu'il s'agit de son propre corps.
Ceci n'est pas non plus une liste de contre-arguments contre celles qui clament haut et fort qu'elles aiment leurs règles. En réalité, ces femmes-là, je les envie. Quand on sait que selon un sondage américain réalisé en 2018, 58% des femmes ont encore honte d'avoir leurs règles, je ne peux qu'encourager les femmes qui abordent le cycle menstruel sous un angle positif.
Moi aussi, j'aimerais pouvoir les accueillir chaque mois à bras ouvert. Mais pas au détriment de ma santé ou de ma vie sociale ou professionnelle. Accepter ses règles quand elles nous font souffrir me donne ni plus ni moins l'impression de me résigner et de me plier à une injonction de la société, celle d'être une femme à part entière.
Être une femme, pour moi, n'implique pas obligatoirement d'avoir ses règles chaque mois (ni de faire un enfant). Il existe mille et une manière d'assumer sa féminité, alors j'ai décidé de la célébrer tout en m'épargnant de pénibles douleurs.
Bien sûr, j'entends la souffrance psychologique de celles qui n'ont jamais eu leurs règles. Et je ne peux pas affirmer que j'aurais tenu le même discours si j'avais été privée de mes menstruations. Certaines penseront sans doute que ma réflexion à ce sujet résulte d'un luxe. Le luxe de pouvoir choisir. Je ne les contredirai pas.
Moi-même j'ai cru pendant longtemps que le fait de prendre la pilule en continu et de plus avoir ses règles était une sorte de blasphème infligé à mon corps. Puis j'ai peu à peu changé d'avis. Il n'y a pas si longtemps que ça, j'ai d'ailleurs appris que la tradition d'interrompre sa plaquette pour déclencher ses règles serait à l'origine surtout dûe à une volonté de faire passer la pilule auprès du pape.
Alors puisque j'ai la chance d'avoir mes règles mais de pouvoir choisir de ne pas en souffrir, je la saisis. Et j'assume pleinement ce choix.