Si Instagram a la censure facile, cela ne l'empêche pas d'être une formidable caisse de résonance pour des activistes installées aux quatre coins du monde. En mettant de côté les photos de chatons et d'influenceuses en goguette, en tapant les bons hashtags, on découvre ainsi une version d'Instagram au potentiel féministe immense. Via des photographies ou des procédés artistiques, les femmes utilisent le réseau social pour se faire entendre, se réapproprier leur corps, et défoncer un bon coup le sexisme au passage. Cinta Tort Cartro fait partie de ces activistes/artistes qui ont bien compris que la plateforme avait beaucoup à offrir. A 21 ans, cette artiste espagnole installée dans une petite ville près de Barcelone, a dédié son compte Instagram au corps féminin et aux tabous qui l'entourent. Avec ses armes – un kaléidoscope de couleurs et de paillettes – elle normalise le sang des règles et célèbre les vergetures. Munie également de fleurs, elle couvre les tétons et réinterprète à sa manière le mouvement #Freethenipple.
Cinta Tort Cartro est jeune mais il ne lui a pas fallu longtemps pour se rendre compte que la société préférerait qu'elle cache ses "défauts". Être femme oui, mais sans poils, sans tâches et si possible sans marques quelles qu'elles soient. Instagram était donc d'abord l'occasion pour elle d'exprimer sa frustration grâce à l'art. Mais en observant le monde autour d'elle, elle a fini par prendre conscience qu'elle était en train de créer "un commentaire social sur la culture mâle dominante dans laquelle nous évoluons", comme elle l'a raconté à Yahoo Beauty . Et d'ajouter : "Il se passe tellement de choses près de chez moi au sujet desquelles je ne pouvais plus rester silencieuse, comme les micro-agressions masculines envers le corps de la femme. Je sais que dans certains pays c'est bien pire qu'en Espagne, mais je ne pouvais juste plus me taire".
Comme la plupart des femmes, Cinta Tort Cartro a grandi en entretenant un rapport schizophrène avec son corps : "Je ne me suis pas toujours sentie à ma place. Je suis grande et large. Pour moi, c'était important que mon art permette à tout le monde de se sentir beau et de comprendre que les 'défauts' n'en sont pas. Ce sont eux qui nous rendent uniques et spéciaux". Encourager les autres – et plus particulièrement les femmes – à s'accepter, voilà tout l'enjeu du travail de l'artiste espagnole. En transformant les vergetures en arcs-en-ciel et les menstruations en océans de paillettes, elle espère simplement faire comprendre à ses 23 000 followers que tout ceci n'est ni sale ni honteux, mais tout simplement naturel. C'est pour cela qu'elle a choisi de nommer son projet autour des règles "#manchoynomedoyasco", soit "Je me tâche, et ça ne me dégoûte pas". "Nous sommes en 2017. Pourquoi les règles sont-elles toujours stigmatisées ?", assène-t-elle.
En plus de s'attaquer aux tabous qui entourent le corps de la femme, Cinta Tort Cartro utilise également ses pinceaux pour dénoncer le racisme et la xénophobie. Dans ses oeuvres, on découvre ainsi des corps différents mais aussi une belle diversité culturelle et raciale. Elle conclut : "Je n'aime pas la façon dont les étrangers sont parfois traités vers chez moi. Pour moi, accepter et aider ceux qui en ont besoin est juste une façon de permettre à tout le monde d'avoir une belle vie".