"Oh non, elle va encore nous faire le coup de la migraine". Je ne compte plus les fois où j'ai entendu cette phrase, formulée à mon encontre. Que ce soit de la part de mon mec, de mes parents, de mes potes... Non pas qu'ils soient tous insensibles au point de s'en foutre, loin de là même, mais il faut dire que mes crises assez fréquentes les ont traumatisé.
En effet, je fais partie des 12 millions de Français·es qui souffrent de migraine. Quelques points de repère pour celles et ceux qui ne connaissent pas bien la différence entre une migraine et un mal de tête. Un mal de tête se traduit par une douleur générale au niveau du cou et/ou du crâne et dure en principe quelques heures. Souvent, un anti-douleur type paracétamol (ou alors un truc un peu plus costaud si la douleur est plus sévère) contribuera à vous soulager.
La migraine désigne une douleur lancinante localisée à un endroit précis de la tête (dans mon cas au niveau de la tempe gauche). Bien souvent, les anti-douleurs standards n'ont aucun effet et la seule solution est de se coucher dans le noir et dans le silence total, en attendant que ça passe... Les symptômes varient mais peuvent souvent s'accompagner de nausées et de vomissements. La durée des crises varie généralement entre 48h et 72h. On a donc souvent mal pendant plusieurs jours d'affilée.
Pour ma part, c'est plutôt 48h avec des nausées, une incapacité quasi totale à manger quoi que soit et un besoin absolument nécessaire de ne pas croiser une seule source de lumière. Bref, un vrai bonheur. Ceux et celles qui me côtoient régulièrement ont d'ailleurs compris que ce n'était plus vraiment la peine de me demander "mais t'as pris un truc pour ton mal de tête ?"
Bien sûr, mes proches s'inquiètent. Mon mec se souviendra probablement pendant longtemps de la fois où je l'ai appelé pour qu'il vienne me récupérer aux urgences : ma migraine durait depuis plus de 48h et ma médecin soupçonnait une méningite. Heureusement, ce n'était pas le cas.
Souvent, la question que tout le monde me pose c'est : "Mais tu sais pourquoi tu es comme ça ? Il doit bien exister un traitement adapté à ton problème quand même !" Oui... et non. Mes migraines ont commencé quand j'avais 16 ans. À l'époque, je venais de m'installer à Paris. Je me souviens que l'adaptation à la capitale a été violente, moi qui ai grandi dans une ville assez calme.
J'avais beau être ravie d'habiter (enfin) à Paris, les premiers mois à courir pour ne pas rater mon métro et mon envie de tout faire et de tout voir m'ont rapidement vidée de mon énergie. Ça a d'ailleurs été le premier diagnostic posé par mon docteur : "C'est certainement dû au stress, vous allez vous habituer". Sauf que les mois ont passé, et j'avais toujours mes migraines. À la deuxième consultation, on m'a demandé si j'avais des antécédents familiaux.
Je me souvenais que ma mère avait elle aussi régulièrement des crises. "C'est normal alors, c'est héréditaire et en plus, c'est une maladie de femme". Ce diagnostic médical un brin sexiste fait allusion au fait que cette maladie touche largement les femmes : 83% contre 17% des hommes. Cependant, je ne peux pas m'empêcher de remarquer qu'une maladie considérée comme typiquement "féminine" (que deviennent les 17% d'hommes alors ?) est également une maladie encore mal comprise de la médecine.
Le Dr Michel Lantéri-Minet, chef du département de la douleur au CHU de Nice, expliquait récemment au Parisien : "La migraine est l'une des plus complexes maladies neurologiques, à tort présentée comme une fausse pathologie féminine ! Elle est d'autant plus difficile à gérer qu'elle est très sensible aux changements d'état. Or, nous passons notre temps à vivre ces changements."
Comme ma mère était migraineuse, il y avait donc des "chances" que je le sois aussi. J'ai quand même passé quelques examens médicaux histoire d'être sûre que mes crises ne cachaient pas un problème plus grave. Les scanners n'ont rien révélé d'alarmant.
Les médecins n'étaient pas inquiets le moins du monde. J'ai même eu droit un jour à un "vous savez, la migraine c'est parfois psychologique". Ah d'accord ! Donc en fait, "c'est juste dans la tête ?". Sauf que justement, je suis bien placée pour savoir ce qui se passe dans ma boîte crânienne et je peux vous assurer que cela n'a rien d'une douleur fantôme.
Finalement, je suis allée au plus simple : on m'a prescrit des médicaments assez puissants que je prenais dès que la douleur apparaissait. Cette méthode a fonctionné pendant quelques années, et j'ai pu retrouver une vie à peu près normale, c'est-à-dire que je manquais moins les cours et que je posais moins de lapins à mes ami·es.
Mais plus tard, aux alentours de 20 ans, je me suis rendue compte que j'avais développé une accoutumance à ces médicaments. Parfois, il m'arrivait de prendre un cachet tous les jours. Curieusement, c'était souvent à la même heure que la douleur arrivait. Et surtout, ce n'était pas les mêmes migraines (car oui, toutes les migraines ne sont pas identiques). Je me suis donc demandée si ce n'était pas lié aux médicaments, d'autant plus qu'elles étaient devenues bien plus fréquentes.
Après quelques jours difficiles, j'ai constaté que mes crises étaient beaucoup plus espacées. J'ai appris plus tard que je souffrais de ce qu'on appelle "migraines par abus médicamenteux." Retour à la case départ donc, puisque mes migraines de base étaient toujours là.
J'ai ensuite découvert les centres anti-migraine. J'y ai reçu des conseils précieux sur les nombreux facteurs potentiels et les choses à faire pour améliorer mon quotidien : faire plus de sport, boire beaucoup d'eau, adapter mon alimentation, éviter l'alcool. Dire que j'ai suivi ces conseils à la lettre ne serait toutefois pas tout à fait honnête. J'étais en plein dans la vingtaine, étudiante. Et comme on dit, il faut bien que jeunesse se passe.
Et puis je suis entrée dans la vie active. Là, le problème est devenu bien plus gênant. J'ai fait des choses dont je ne me serais pas crue capable : soucieuse de faire bonne impression, je me suis retrouvée à travailler huit heures d'affilée en faisant des passages réguliers aux toilettes pour vomir. Un peu comme un lendemain de soirée bien arrosée, sauf que la veille vous n'avez rien fait de spécial. Et que la douleur est bien pire que celle d'une "simple" gueule de bois.
Mais que faire quand vous avez mal et que vous commencez un nouveau job ? Ou que vos proches commencent à vous en vouloir d'annuler un peu trop souvent vos rendez-vous ? Au final, je me rends compte que cette capacité insoupçonnée n'a pas nécessairement joué en ma faveur. Passée championne en la matière, j'ai "survécu" à des soirées ou à des journées de boulot en faisant mine que tout allait bien. Mais dans ma tête, c'était le chaos.
Résultat : quand je n'avais vraiment pas la force, on me prenait moins au sérieux : "Souviens-toi la dernière fois, t'avais vraiment mal, et pourtant t'as réussi à venir". Un jour, je me suis dit "À quoi bon ? Si la personne en face ne me croit pas, je n'ai aucune obligation de lui prouver, puisque après tout je sais que j'ai vraiment mal." J'ai donc décidé de me ménager.
Aujourd'hui, j'ai 30 ans, et je me porte bien mieux. Grâce à une meilleure hygiène de vie, une activité physique plus régulière et une alimentation équilibrée, mes crises se font plus rares. Même si ces derniers temps, j'en subis une par mois.
Heureusement, je suis parvenue à identifier le problème et après une énième batterie de tests passés cet été, je pense (du moins je l'espère) avoir enfin trouvé un traitement adapté, avec zéro risque de retomber dans l'abus médicamenteux.
J'ai découvert que mes migraines étaient provoquées par un dérèglement hormonal lié à mes règles (dans le jargon médical, on appelle cela des migraines cataméniales). Il m'a fallu du temps, être à l'écoute de mon corps et, bien sûr, une expertise médicale pour le comprendre. Ce n'est pourtant pas faute d'avoir consulté à plusieurs reprises auparavant.
Je suis devenue beaucoup moins tolérante envers celles et ceux qui osent encore prétendre que la migraine, c'est quand même un peu psychologique, voire pire : que "c'est un truc de chieuse". Si, si j'ai déjà entendu ce type d'énormité.
Et même si je suis de nature à rire de tout (ou presque), je dois reconnaître que mon statut de migraineuse et ma conscience féministe me font voir un peu rouge quand j'entends parler de la fameuse excuse de la migraine pour évoquer une femme qui n'est pas d'humeur à faire l'amour avec son partenaire.
En plus d'être sexiste, ce cliché sous-entend que la migraine n'est pas si terrible et qu'il s'agit d'un faux prétexte pour se dérober au lit. Mais je peux vous assurer qu'on a franchement pas envie de s'envoyer en l'air quand on est en pleine crise migraineuse. Ni de quoique soit d'autre d'ailleurs.