On ne les présente plus. Les Uggs, ce sont ces bottes-chaussons qu'on portait dans les années 2000. Une paire lancée par la marque américaine éponyme, devenue célèbre grâce à l'influence d'Oprah Winfrey, fan de la première heure, qui les mentionna à plusieurs reprise dans son émission de Noël. Plus tard, on les veut pour copier le style de Nicole Richie, doux souvenir des heures les plus savoureuses de The Simple Life, qui posait dans les rues de Los Angeles en mini-jupe ultra taille basse circa 2003, modèle marron clair (emblématique) aux pieds. Jusqu'à ce que leur omniprésence écoeure.
En France, avant que le chaos de 2020 ne s'installe, beaucoup les pensaient oubliées. A part pour quelques irréductibles, les Uggs semblaient appartenir au passé (discutable) de la mode au même titre que les pantacourts ou les jeans Diesel. Et puis, les choses ont changé catégoriquement.
On a dû se cloîtrer chez soi et avec ce confinement forcé est venue l'envie de réconfort, physique comme mental. De s'équiper, aussi, de pièces qui riment avec cocooning. Las·se·s de leurs journées de quarantaine en vieilles chaussettes trouées, nombreux·ses sont celles et ceux qui ont voulu investir. Et les Uggs ont resurgi, offrant au label une glorieuse deuxième vie.
On s'est demandé : au-delà d'un phénomène purement fashion, leur retour trahirait-il plutôt une quête absolue de self-care, voire un réflexe rassurant de se tourner vers des classiques du monde d'avant ? Réponse.
Si visuellement, le débat se tient, niveau sensation, les arguments opposés à leur réhabilitation dans nos placards ont du mal à convaincre. Qu'on l'admette : difficile de reprocher aux Uggs de ne pas envelopper nos pieds tel une caresse. C'est chaud, léger, voluptueux : on a l'impression de marcher sur un nuage. Et ces derniers temps, clairement plus proches de l'ouragan déchaîné que du cumulus accueillant, tout ce qui fait du bien est bon à prendre.
"La pandémie a provoqué un changement dans la façon dont nous considérons les vêtements. On est passés de [se demander] 'à quoi je ressemble ?' à 'comment je me sens ?'", observe Shakaila Forbes-Bell, psychologue de la mode, dans les colonnes du Guardian. "On comprend donc pourquoi les gens se sont tournés vers des chaussures confortables comme les Uggs pour les aider à faire face aux difficultés [de la crise sanitaire]".
Pour Carolyn Mair, professeure et autrice du bien nommé The Psychology of Fashion, l'engouement pour ces chaussures ultra-confortables s'explique également par le lien étroit que le corps entretient avec l'esprit. "Se sentir bien physiquement a un impact sur la façon dont nous nous sentons psychologiquement", assure-t-elle au quotidien britannique. "Le poids, la texture, la dureté ou la douceur d'un objet peuvent influencer inconsciemment notre émotion et notre comportement. Il est facile de voir le rapport avec les vêtements que nous portons".
Plus on s'emmitouflera dans des fringues douillettes, mieux on ira, en gros. Ou en tout cas, plus on aura de chances d'atténuer la déprime qui se manifeste un jour sur deux. Un créneau self-care que la marque a saisi sans attendre, présentant à nos mines déconfites par une actualité toujours plus anxiogène, de nouveaux doudous dans lesquels fourrer nos pieds. Et pourquoi pas, aller faire un tour au supermarché sans nécessité de se changer.
Les "Fluff Yeah", c'est leur nom, sont des sandales duveteuses dotées d'une bride élastique épaisse et logotypée sorties en 2020. Des créations plus en ligne avec l'esthétique streetwear du moment, aussi, dont les couleurs varient de l'éternel camel. Fuchsia, mauve, multicolore, jaune poussin : de quoi séduire célébrités et modeux·ses (Bella Hadid a déjà craqué) en quête d'innovation - ou d'attention. Les ados moins fortuné·e·s préfèrent quant à eux et elles s'emparer de la mode sans dépenser un rond, et transformer leurs anciennes paires montantes en slippers à grand coups de ciseaux sur TikTok. Tout un programme.
Pour d'autres encore, c'est justement la version originale qui séduit, tant elle véhicule les souvenirs d'une époque agréable. Et par conséquent, moins incertaine.
"Les périodes d'incertitude nous poussent souvent vers des produits qui apportent du confort et même de la nostalgie", analyse auprès de Today Kelly Haws, professeure de marketing à l'université Vanderbilt. "Bien que la marque Ugg ait travaillé dur pour étendre ses gammes et rafraîchir son branding, en fin de compte, elle est associée à la chaleur, au confort et à la durabilité. Ajoutez cela à la tourmente, à l'instabilité et aux vêtements décontractés de télétravail de 2020, et vous obtenez une recette sur mesure pour une demande accrue de [leurs bottes]".
Selon l'historienne de la mode Laura McLaws Helms, cette tendance est d'autant plus synonyme de sentiment réconfortant que "la nostalgie ne se souvient jamais des aspects négatifs", estime-t-elle au Guardian. "Chaque réveil nostalgique devient donc une version aseptisée du passé : sûre, confortable et stable. La passion des millennials pour les années 1990 et 2000 leur permet de revenir à une époque où ils se sentaient en sécurité et à l'aise, en tant qu'enfants et adolescents, libérés des soucis des adultes". Et surtout, du Covid.
Cette perspective réjouissante, si elle n'offre pas de réel répit du couvre-feu ni d'un énième confinement à craindre incessamment sous peu, a au moins le mérite de nous encourager à se concentrer sur soi, sur des moments plus heureux, et sur un confort salvateur blottie dans notre intérieur.
C'est en tout cas ce que confie Elodie, 33 ans, qui nous raconte avoir offert une paire à son conjoint pour Noël - la même que la sienne. "En mars, j'ai passé comme tout le monde beaucoup de temps dans mon salon, alors je voulais trouver des chaussons qui n'en aient pas l'air. J'ai finalement ressorti ma paire de Uggs un peu comme une blague... et depuis je ne mets plus que ça. Je suis accro. Ça me rappelle mes 18-20 ans, et bizarrement, c'est assez plaisant".
En 2020, et désormais en 2021, on enfile nos Uggs comme on lance une rom-com des années 2000, Nesquik à la main et biscuits régressifs type Prince dans le ventre, pour retrouver un univers rassurant, un scénario dont on connait l'issue sur le bout des doigts. On les chausse pour réchauffer nos orteils congelés par un temps maussade, et notre coeur qui se languit d'une ère moins préoccupante, lorsque nos seuls soucis se résumaient à une pénurie de gloss à la cerise chez Claire's et un amour non-réciproque pour notre meilleur ami du lycée. On ne les quitte plus parce que cet hiver, plus que jamais, on veut se cajoler. Et qu'à en croire adeptes et expertes, ça commence par nos pieds.