Les deux mois de confinement ont vu - pour beaucoup - le masque de beauté passer de traitement occasionnel à réflexe hebdomadaire. Un rendez-vous privilégié qu'on prenait en soirée ou le week-end, après une journée à bosser comme une acharnée, à s'occuper des enfants ou à tuer le temps comme on pouvait, limitée par une superficie d'habitation parfois oppressante. On pourrait penser que nos motivations aient été purement esthétiques, pour pallier l'absence d'air frais et déjouer les conséquences sur notre peau, par exemple. Pas uniquement.
Rapidement, le soin s'est transformé en atout self-care. Une sorte de sas de décompression qu'on utilisait pour passer vingt vraies minutes à ne penser à rien, si ce n'est à quel point la pâte étalée sur notre visage apaisait notre épiderme autant que notre esprit. Plus de lien avec le monde extérieur, ni le monde intérieur. Plus d'écrans, plus de réflexion, plus de pensées à mille à l'heure.
Et puis on s'est dit : si c'est bon pour Kendall Jenner - qui a posé fièrement avec une mixture verdâtre sur la face en avril sur Instagram, allongée en culotte en satin sur son lit l'air de rien - alors c'est bon pour nous. On ne doit pas être les seules, d'après un rapport établi en 2019, les masques de beauté incarnaient déjà la catégorie de produits cosmétiques qui connaît la plus forte croissance. D'un année sur l'autre, certaines gammes ont constaté une augmentation de plus de 50 % de leurs ventes. Impressionnant. On a voulu en savoir plus.
Les expert·e·s du domaine sont formel·le·s : plus que les bienfaits sur la peau, c'est l'invitation à la détente que le masque propose qui séduit. Pour Arnaud Goullin, directeur opérationnel de GlamGlow, une marque de cosmétiques américaine, le surmenage et donc le besoin de se relaxer efficacement, à domicile, ont rendu le produit plus qu'attrayant.
"Nous menons tous une vie très active : nous travaillons, nous nous occupons des enfants, nous essayons d'entretenir des amitiés et des relations, nous mangeons bien et nous faisons de l'exercice", énumère l'homme d'affaires au magazine mode américain The Zoe Report. "Nous avons souvent l'impression de ne pas avoir assez de temps pour s'accorder quelques minutes pour nous. L'application d'un masque est une évasion rapide de vingt minutes et une expérience qui touche tous les sens et donne un éclat instantané qui donne envie de recommencer."
Pour Sarah Brown, fondatrice de la marque de soins britannique, c'est même davantage que ça. En une phrase, elle lâche les deux termes favoris des millenials : "méditation", et "bien-être", comme arguments qui auraient convaincu bon nombre à se tartiner le visage. Dont nous. "Les masques sont un formidable outil de bien-être qui peut apporter une nutrition à la peau et un confort méditatif à l'esprit, avec de nombreux facteurs pratiques et thérapeutiques à l'appui".
La Dre Sara Sadek, psychologue clinique basée à New York, affirme elle aussi qu'il existe un lien évident entre cajoler son visage de la sorte et dorloter sa tête. Elle encourage d'ailleurs vivement la pratique. "Prendre du temps pour des rituels renforce les moments de repos et peut contribuer à augmenter la libération de tous les grands neurotransmetteurs, comme la dopamine et la sérotonine, qui nous rendent heureux et détendus", analyse-t-elle auprès du site fashion.
Des propos qu'approuve Kristina Marie-Ross, une Ecossaise de 27 ans interrogée par Vogue. "Quand j'achète un masque, je ne sais pas nécessairement si cela va changer ma vie en une soirée", plaisante-t-elle. "Mais l'utiliser devant un film ou écoutant de la bonne musique est juste un sentiment agréable. C'est plus une 'habitude' de self-care qu'autre chose". Habitude à laquelle on peut s'adonner sans partir de chez soi. Un avantage non négligeable quand on voit que les rumeurs de reconfinement vont bon train.
La menace de la maladie, le télétravail ou encore les questions financières ont encouragé nombreux·se·s à repenser leurs dépenses en institut - ouverts, mais pour combien de temps ? - afin d'investir dans des produits à utiliser dans le confort de leur foyer. Ou plutôt, de leur salle de bain. Et les marques s'inspireraient déjà de ces nouveaux codes.
"Après l'apparition du coronavirus, les consommatrices pourraient être moins à l'aise ou financièrement capables de se rendre dans un salon ou un spa", estime Jenni Middleton, directrice du département beauté de la marque britannique WGSN, auprès de Vogue. "Les masques faciaux à domicile ou tout autre type de produit sans rinçage prendront donc une place importante dans les catalogues d'une marque car ces dernières rechercheront des solutions DIY et de soins à domicile".
Avocat-miel, argile, oeuf-flocons d'avoine... Selon ce qui se trouve dans le placard, mais aussi sur les comptes Instagram et chaînes Youtube d'influenceur·se·s qui ont saisi le bon filon, en plein confinement, les recettes maison ont proliféré. Quand on fait un tour en ligne, on voit d'ailleurs que les vidéos postées au printemps qui traitent du sujet ont récolté des millions de vues. Une tendance là pour rester, et pas uniquement chez les femmes.
"Tout au long de la journée, je fais mille choses à la fois et il est rare que je me concentre sur une tâche sans être distrait", raconte Matt Morgan, 27, à Vogue. "Mes 10 à 20 minutes avec un masque me donnent le temps de réfléchir et de me détendre profondément. Cela m'empêche de divaguer". Si Matt est un habitué du soin depuis plusieurs années, d'autres l'ont découvert notamment par le biais de leurs copines, femmes, soeurs, avec lesquelles ils partageaient le même toit de quarantaine.
Comme Pierre, 34 ans, qui a commencé le rituel comme une "blague", nous explique-t-il, avant de succomber à ses bienfaits plusieurs fois par mois. "Je suis parti en vacances cet été et même à ce moment-là, j'ai demandé à ma copine de m'appliquer un masque un soir où on ne faisait rien d'autre que regarder la télé. J'avais presque hâte".
Ce qui lui plaît ? La "douceur" de sa peau après l'avoir lavée, mais surtout, comme les autres, la "déconnexion" que ça implique. Un temps qui le ressource, qu'il ne dédie à rien d'autre et qui, en 2020, alors que l'avenir n'a jamais été aussi incertain, semble encore plus précieux qu'avant.