"Il suffira d'un signe", nous soufflait JJ Goldman dans les années 80. Quarante ans plus tard, Emma lui fait écho avec un cinglant : "Il suffira d'une crise". Celle du coronavirus bien entendu, catastrophe à la fois sanitaire, économique, politique, mais aussi sociale. Car qui dit Covid-19 dit confinement, et qui dit confinement dit augmentation des violences conjugales, des violences sexistes (comme le harcèlement de rue par exemple) et des inégalités (criantes) entre les sexes...
Et c'est pour cela que la dessinatrice, bien connue pour ses panoramas féministes et politiques (jetez donc un oeil à ses Princes pas si charmants), délivre sur son compte Instagram des chroniques de confinement percutantes comme il faut. L'idée ? Donner à celles et ceux qui l'ignorent encore une petite idée de la charge mentale (considérable) des femmes durant cette étrange période d'isolement généralisé. "J'ai fait un focus sur la question du travail domestique des femmes confinées car on en a assez peu parlé", précise l'autrice dans ses publications.
Et pourtant, il y a beaucoup à dire. Emma le démontre d'ailleurs avec sensibilité, pertinence et humour.
"Avec le confinement, tout a été démultiplié et superposé. On a dû en même temps garder les enfants et essayer de leur faire cours, gérer deux fois plus de repas et de courses, entretenir une maison dans laquelle trois, quatre personnes, parfois plus, vivent en continu...", déplore Emma au gré des cases, portraitisant une héroïne épuisée pour illustrer ses dires. Ménage, éducation, cuisine, (télé)travail, bien des femmes et mères ont du jongler durant ces interminables semaines entre vie privée et vie professionnelle, quitte à frôler le burn out.
Et c'est d'ailleurs ce que redoutait Marlène Schiappa en avril dernier. "Les femmes et les hommes ne vivent pas le même confinement", nous assurait alors l'ancienne secrétaire d'Etat à l'égalité femmes-hommes, alertant l'opinion publique quant à "l'épuisement silencieux" que représente la charge maternelle. Une étude à l'appui : à en croire un sondage évoqué par la politicienne, 54 % des Françaises consacreraient plus de deux heures par jour aux tâches domestiques et éducatives, contre seulement 35 % de leurs conjoints. Oui, ça fait mal.
Et rien n'est plus simple pour les mères célibataires, bien au contraire, poursuit Emma. "J'ai du prendre mes trois enfants à temps plein, sauf un week-end sur deux. Toute la journée j'étais maîtresse, dame de cantine et animatrice périscolaire, le tout en télétravaillant", témoigne l'une d'elles, amie anxieuse esquissée par l'artiste. Difficile de rester zen quand le rôle de mère, source de bien des pressions sociales d'ordinaire, devient le coeur de toutes les tensions en pleine pandémie mondiale.
"Je suis le parfait contre exemple : j'ai continué à bosser et c'est Monsieur qui s'est arrêté pour gérer l'enfant !", réagit cependant une internaute dans les commentaires. Preuve que l'égale répartition des tâches, sujet encore trop "tabou" selon Marlène Schiappa, n'est pas (qu')un espoir utopique. Il n'empêche que pour bien des anonymes, la route est encore longue, très longue, et le confinement l'a prouvé plus d'une fois. "Une femme sur cinq a du prioriser sa famille sur son travail. Pour des raisons financières, mais aussi culturelles, car même inconsciemment, on considère que le salaire des femmes est celui 'd'appoint'", détaille à ce titre Emma.
Non contente d'élever la voix à ce sujet, la dessinatrice passe également au crible la précarité (économique et matérielle) des aides-soignantes face au coronavirus, l'envergure de la charge émotionnelle des femmes, ou encore le poids (plus lourd en période de confinement) du fameux "devoir conjugal"... Un tour d'horizon aussi juste qu'hétéroclite. Et qui suggère que le "monde d'après" reste à construire.