Lundi 15 avril, la journaliste et autrice féministe Fiona Schmidt, également créatrice du blog #TGIFiona, a lancé Bordel de mères, un compte Instagram autour de la maternité et plus précisément, de la charge mentale maternelle.
On y retrouve des témoignages de femmes qui racontent les pressions, les préjugés, les injonctions qu'elles subissent au quotidien de la part de leur entourage et de la société sur leur désir de maternité, leur grossesse, leur décision de ne pas vouloir d'enfant, leur façon de les élever une fois qu'elles en ont eus. Du commentaire en apparence anodine à la réflexion carrément ciblée que l'on se tape au quotidien. Comme si être femme de valeur passait uniquement par le fait d'être une bonne mère, nous confie-t-elle.
Ce dialogue instauré en ligne, qui fait partie d'un projet plus global de livre à venir, veut libérer et rendre accessible la parole autour de ce sujet présent dans tous les recoins de France. C'est aussi une façon de rassembler les femmes de tous horizons, sans hiérarchie, et de leur permettre de s'exprimer librement pour qu'elles puissent enfin clamer haut et fort "Lâchez-nous l'utérus !", comme l'écrit Fiona Schmidt en bio. Plutôt percutante comme entrée en matière.
On a discuté avec l'autrice pour comprendre d'où venait la charge mentale maternelle et que faire pour s'en affranchir. Une conversation qui nous a laissée plus que convaincue de la nécessité de ce groupe d'échange digital, comme d'une ouverture enfin franche de ce débat.
Fiona Schmidt : La charge mentale maternelle, c'est l'ensemble des injonctions et des pressions auxquelles toutes les femmes sont soumises depuis leur berceau et traînent jusqu'à la tombe, et qui présentent la mère épanouie bienveillante et heureuse comme la norme, mais aussi comme faisant partie de l'identité féminine. Et finalement, comme le seul vrai projet qui vaille.
F. S. : C'est exactement ça, et les témoignages que je reçois depuis le 15 avril le confirment. Les femmes qui n'ont pas d'enfants, par choix ou par circonstances, ne sont pas validées socialement, comme si le statut de mère confirmait la place des femmes dans la société ou plutôt le légitimait, et les mères culpabilisent pour... à peu près tout. Parce qu'on les fait culpabiliser pour tout, du moment où le test de grossesse est positif jusqu'au moment où leurs enfants quittent le foyer, voire jusqu'à la fin de leurs jours. Depuis ce cher Docteur Freud, qui a fait beaucoup pour la cause des femmes, on sait que tout est toujours la faute des mères...
F. S. : Tout à fait, ce sont absolument toutes les questions et tous les préjugés qui tournent autour de la maternité, mais de la "bonne" maternité. Il ne suffit pas uniquement d'être mère pour qu'on nous lâche l'utérus, il faut qu'on soit une bonne mère, une mère parfaite et qui kiffe H24. Ce qui est fou, et c'est ce que je suis en train d'expliquer dans mon livre, ce qui m'a donné envie d'écrire, c'est que je pense que 100 % des mères ont subi cette charge maternelle, et que 99 % la reproduisent. En France, la représentation de la maternité et de la féminité sont toujours très liées, et surtout en France d'ailleurs.
F. S. : Non, je ne pense pas que ce soit dû à cela, car pour le coup l'Espagne, l'Italie et le Portugal, qui sont aussi des pays latins, ont un taux de natalité très faible, beaucoup plus faible que le nôtre. Mais la France a historiquement une politique nataliste. Je découvre ça au fil de mes recherches, c'est passionnant. La dénatalité a frappé la France 100 ans avant les autres pays européens et donc pour soutenir la natalité - je vous la fais courte - le gouvernement français a commencé à mettre en place des allocations, etc. Donc dans la culture, une bonne femme fait des enfants, produit des citoyens.
F. S. : Oui, cela veut dire qu'il y avait déjà une moralisation de la maternité. Plus les mères faisaient des enfants, meilleures citoyennes elles étaient. Et cette politique nataliste qui a commencé il y a 200 ans s'est imprégnée dans la culture. On associe bonne femme, dans le sens femme de valeur, à bonne mère. Une bonne citoyenne, une femme accomplie, c'est une femme dont l'utérus est productif.
F. S. : Tout à fait. Moi par exemple, je ne veux pas d'enfant, et j'espère qu'on va bientôt me lâcher l'utérus avec ça. Je pourrais faire une série avec les commentaires qu'on m'a adressés. Mais j'ai eu de la chance que mes parents m'aient toujours foutu une paix royale avec ça. Parce que la pression de l'entourage apparaît dans la plupart des témoignages que je reçois. Moi, ils ne m'ont jamais dit "Quand est-ce que tu ME fais un petit enfant ?". Un bébé n'est pas un loisir pour sexagénaires, et ce n'est surtout pas une politesse que l'on rend parce que nos parents nous ont "donné" la vie !
F. S. : Vous ne pouvez pas savoir, j'ai ouvert le compte lundi 15 avril et en cinq jours j'ai reçu 600 témoignages. Seulement de femmes, car les enfants ne sont pas un problème d'hommes en France, APPAREMMENT. La parentalité non plus d'ailleurs. C'est très intéressant d'observer que parmi les ouvrages que j'étudie, la parentalité et le désir d'enfant, c'est la mère. Même la paternité lui appartient. J'ai lu le livre de Charlotte Debest qui explique ça, et dedans des hommes disent qu'ils n'ont pas rencontré de femmes qui voulaient des enfants, donc ils n'en ont pas eu. La responsabilité de l'enfant, de la conception jusqu'à la mort, repose encore sur la mère, en 2019. C'est fascinant.
F. S. : Cela fait partie d'un projet plus global autour de la maternité et des pressions autour de la maternité. Et puis Instagram présente beaucoup d'avantages : cela permet de dédramatiser le sujet, de rendre accessible des idées qui ont été théorisées par des féministes intellectuelles - et il en faut, mais la plupart des femmes pensent que ces questions, parce qu'elles ont été traitées par des intellectuelles, ne les concernent pas. Alors qu'il n'y a pas plus terre à terre que les questions féministes.
Instagram est un outil formidable pour faire passer des idées, des luttes au quotidien, pour niveler les différences socio-culturelles. Rendre des combats mainstream. Sur "Bordel de mères", qui est un groupe de parole, il n'y a pas de hiérarchie. Et le public est extrêmement divers, ce qui me permet aussi de sortir mon univers de bobo parisienne pour justement m'intéresser à ce qui se passe vraiment en France au sujet de la maternité, pas uniquement dans le Xe arrondissement de Paris.
F. S. : Il n'y a pas de phrases types, car cette pression est multiple. Ce n'est pas la même chose de répondre à sa mère qu'à un inconnu qui vous touche le bide dans le bus. Pour combattre cette charge mentale maternelle avant de dire quoi que ce soit aux autres, il faut la décortiquer, pour voir d'où elle vient. Comprendre ce qu'il se passe à l'intérieur de soi et s'approprier son rapport à la maternité.