Les fêtes approchent. La neige tombe, les illuminations scintillent, les sapins se décorent. M6 et TF1 diffusent leurs rom-coms mi-réconfortantes, mi-nauséabondes et Netflix fait un carton avec son (faux) feu de cheminée. Jusqu'ici, rien d'inhabituel. Seulement cette année, la période a un goût amer.
Restrictions sanitaires obligent, Noël "ne sera pas une fête normale", prévenait le ministre de la Santé et des Solidarités au début du reconfinement. Si à l'époque, on ne saisissait pas vraiment le sens concret de cette phrase, à trois semaines du réveillon, ça se précise : couvre feu tous les soirs sauf les 24 et 31 décembre, gestes barrières à table et liste des convives franchement restreinte (six adultes maximum). Pas simple quand on a l'habitude de plus grands rassemblements, légèrement réjouissant quand ça signifie qu'on ne passera pas le repas à côté de notre cousin conspirationniste (mais c'est un autre débat).
Aujourd'hui, notre esprit de Noël qu'on pensait inattaquable, chavire. Parce qu'un peu en berne devant l'actualité. On rêve d'un retour à la normale rien que pour deux semaines, où la bise ne serait plus un danger notoire, et on devient nostalgique de la foule du marché de Noël, où prendre un verre de vin chaud agglutiné·e autour d'un stand en forme de mini-chalet n'effrayait personne. Ah, le bon vieux temps.
A la place, on se contente de retrouvailles très limitées, de rituels annuels annulés (la traditionnelle soirée dans le bar local ou la descente de la première piste de l'année le jour du Nouvel an pour les montagnard·e·s) et d'une santé mentale un peu malmenée. On a le cafard, et notre gaieté saisonnière en pâtit. Pourtant, ce serait justement en la cultivant, cette atmosphère festive, qu'on parviendrait à garder le moral. Un cercle vertueux qui nous protègerait d'un spleen ravageur.
C'est en tout cas ce que certain·e·s expert·e·s assurent, et on veut bien les croire. Explications.
Noël ne met pas tout le monde sur un pied d'égalité, on le concède largement. La fin d'année peut rimer avec convivialité chaleureuse, sans aucun doute, mais dans certains cas, c'est plutôt la fête à la pression sociale. Un peu comme un bilan de vie dressé par nos proches sur la nôtre, auquel on serait involontairement confronté·e tous les ans. Notre seule échappatoire : réussir à trouver refuge dans un trop-plein de bouffe pour dormir quatorze heures d'affilée. Et zapper le plus de temps possible en leur compagnie.
Ce qui est invariable en revanche, c'est la définition de l'expression "esprit de Noël" telle qu'elle a été pensée par les spécialistes du genre. "Le sentiment positif que les gens ressentent pendant les vacances et pendant les périodes de vacances comme la période de Noël", écrit par exemple le dictionnaire britannique Collins. Période qui évoque forcément activités et traditions joyeuses entourées de ceux et celles qu'on aime.
Pour Caroline Fleck, psychologue, cette atmosphère devient féérique grâce aux hormones libérées par ces rendez-vous, explique-t-elle au magazine Bustle. L'ocytocine, principalement, aussi connue comme l'hormone du bonheur. Une analyse que partage également la psychologie Deborah Serani. Au média Today, elle confirme que ces moments "créent un changement neurologique qui peut produire du bonheur", insistant de son côté sur la façon dont "les décorations de Noël vont faire monter en flèche la dopamine, une hormone de bien-être."
Même observation pour le psychanalyste Steve McKeown, qui estime que le simple fait d'accrocher des guirlandes au sapin ou ailleurs peut faire ressortir notre "enfant intérieur" en suscitant des souvenirs heureux (c'est-à-dire avant de devenir l'adulte névrosé·e que l'on est aujourd'hui). Et clairement, ce soupçon d'innocence ne peut que nous faire du bien. Particulièrement en 2020.
A ce propos d'ailleurs, on s'interroge : comment déclencher ces substances chimiques, et leurs bénéfices non négligeables, quand on doit rester prudent·e et adapter ses habitudes ?
A Noël, souvent, on s'embrasse, on se serre, ou en tout cas, on se tient rarement à un mètre de distance. Mais à l'heure où prendre ses parents, ses frères, ses soeurs, et d'autant plus ses aîné·e·s dans les bras est clairement déconseillé, comme la multiplication de réunions familiales de manière générale, difficile de ressentir les bienfaits d'un câlin - et la libération de l'ocytocine qui, là aussi, en résulte. Le contact humain devra se faire de foyer à foyer ou de soi à soi.
La clé pour pallier le manque, d'après la psychologue Caroline Fleck ? "Fake it until you make it", dicton anglophone qui se traduit littéralement par : "fais semblant jusqu'à ce que tu y arrives". En gros, on se force plus que les années passées à s'atteler à des activités étiquetées "fêtes de fin d'année". Jusqu'à ce que notre organisme et notre moral s'en trouvent requinqués.
On cuisine, on regarde des classiques (préférablement un marathon de Maman, j'ai raté l'avion), on inonde notre cerveau de All I Want For Christmas Is You et autres Jingle Bells Rock, et puis, on embellit son lieu de vie. Des petites guirlandes lumineuses sur l'étagère, un sapin en pot ou en bois dans un coin, quelques boules rouges et dorées devant la télé... On improvise, tant qu'on sent que ça marche.
"Vous n'obtiendrez pas le même effet que si vous embrassiez un membre de votre famille, mais en ajoutant un peu de gaieté superficielle dans votre appartement, vous inciterez certainement votre cerveau à libérer un peu de dopamine", précise la spécialiste. Et puis, si on se rassemble, on s'attèle à des passe-temps distancés, type confection de cookies chacun de son côté, et marathon de téléfilms chacun·e sur sa chaise.
Surtout, on se dit que ce n'est que passager. Que si ce Noël est plus difficile, que si on se prive cette année, c'est pour que les suivants redeviennent ces doux moments qu'on aime partager et vivre sans modération. Et vu que l'auto-persuasion semble fortement recommandée, là aussi, on s'accroche à cette pensée. Joyeuse, qui plus est.