J'ai une famille compliquée. Compliquée et quelque peu dysfonctionnelle. Malgré tout, Noël a toujours été un moment particulièrement joyeux durant mon enfance. Les décorations de Noël - que l'on gardait bien souvent jusqu'à mars -, les cadeaux au pied du sapin, les illuminations et mon émerveillement, le 25 au matin, en découvrant ce que le Père Noël avait apporté durant la nuit, sont des souvenirs heureux et gravés dans ma mémoire. Si heureux que je n'aurais jamais imaginé pouvoir un jour me sentir triste ou angoissée à l'idée de fêter Noël.
Et pourtant, au fil des années, Noël est devenu de plus en plus pesant. D'abord quand, à l'aube de l'adolescence, ma grande soeur a quitté le navire familial et nous a laissées en tête à tête avec ma mère. Puis, en grandissant et en réalisant toutes ces choses qui n'allaient pas dans ma famille, toutes ces choses pas vraiment "normales" que je n'avais désormais plus envie d'accepter.
L'injonction à être heureux durant les fêtes de fin d'année couplée à nos secrets de famille ont eu, au fil du temps, raison de nous. Les conflits et les non-dits ont pris de l'ampleur progressivement jusqu'à transformer le Réveillon en période particulièrement conflictuelle. Conflictuelle et douloureuse. Un sentiment exacerbé par cette ambiance de fêtes, où le monde entier nous rappelle que ce soir-là, il faut absolument être heureux.
Pendant de longues années, j'ai donc pris sur moi. Quitte à finir les fêtes au 36e dessous. Je me disais qu'il fallait le faire, qu'il était important de prendre sur soi si cela permettait aux autres d'être heureux, comblés. Lorsque mon copain de l'époque me proposait de se joindre à lui pour Noël, je déclinais gentiment par culpabilité de laisser ma - petite - famille seule pour Noël. J'ai coupé la poire en deux une année, en fêtant le 24 avec ma famille, le 25 avec ma belle-famille. J'ai eu, le matin du 25, le sentiment de respirer à nouveau et de retrouver cet esprit de Noël que j'aimais tant pendant mon enfance. De quoi me faire réaliser que le fond du problème n'était finalement pas Noël.
À mes 26 ans, suite à une rupture particulièrement douloureuse, j'ai décidé pour la première fois de ma vie de ne pas faire de compromis. Je n'avais ni le coeur ni le courage de revivre un de ces Noël et, en prétextant une obligation professionnelle, j'ai fêté mon premier Noël loin de ma famille. J'étais si fâchée contre cette fête que je pensais ne rien faire pour l'occasion. Un ami à moi, qui ne fêtait Noël avec sa famille que le 25, s'est finalement joint à moi le 24 à la dernière minute. Le temps d'un bon repas, devant un film de Noël, je redécouvrais cette fête de façon plus légère. J'avais malgré tout le coeur particulièrement lourd en pensant au fait d'avoir menti mais savais pertinemment que ma famille préférait un mensonge lisse à la vérité crue.
J'ai retenté l'année suivante de me joindre à ma famille pour Noël. J'ai tenu le temps de la soirée du 24 et suis finalement rentrée avant minuit, les larmes aux yeux et le coeur lourd. Cette pression, cette tristesse qui m'avait tant pesée ces dernières années étaient toujours là et de plus en plus difficile à supporter.
C'est le dernier Noël que j'ai fêté en famille. L'année d'après, en 2018, j'ai pris un billet d'avion pour le Cambodge où ma meilleure amie, expatriée, vivait alors avec sa famille. Nous avons fêté Noël ensemble, sous le soleil, loin de l'hiver maussade de Paris et surtout de ce sentiment de mal-être qui m'envahit chaque année au moment des fêtes. Je (re)découvrais là encore la joie des fêtes de fin d'année, ce qui finissait de mon convaincre que de me forcer à fêter Noël en famille n'était foncièrement pas une bonne idée. Ni pour moi, ni pour ma elle.
Je suis rentrée début janvier et ai organisé avec ma famille un petit dîner de rattrapage, bien moins pesant que les réveillons que nous avions l'habitude de passer ensemble. Comme si, une fois la pression des fêtes retombée, il était plus simple et plus facile d'accepter certaines choses. Si bien que j'ai décidé cette année de refaire la même chose. Une sorte de Noël en deux temps. Un premier, le 24 et le 25 que je fête à la maison avec mon copain. Le second, courant janvier, avec ma famille autour d'un petit dîner. Une façon d'apaiser les tensions et faire en sorte que les choses se passent au mieux. Aussi bien pour ma famille que pour moi. Je refuse désormais que cette fête soit synonyme de mal-être, de disputes et de coeurs lourds.
Si la décision n'a pas toujours été facile à assumer - il reste aujourd'hui très marginale de fêter Noël loin de sa famille -, je ne l'ai jusqu'alors jamais regrettée. C'est un peu le cadeau de Noël que je me fais à moi-même. Celui de penser à moi et de ne pas vivre en fonction des autres. Certains trouvent cela égoïste, d'autres salvateur. Je ne dis pas que je ne changerais jamais d'avis et, dans le fond, j'espère sincèrement pouvoir un jour passer à nouveau un Noël heureux en famille. Mais cela ne se fera certainement pas en un jour et encore moins en forçant les choses. En attendant, je préfère organiser mes fêtes de fin d'années de cette façon. J'espère que ce témoignage pourra permettre à d'autres, dans une situation similaire, de retrouver eux aussi la joie des fêtes de fin d'année.