"Nous en aurons jusqu'à l'été 2021 au moins avec ce virus". Lors de son intervention à la télévision le 14 octobre dernier, le président Emmanuel Macron a lâché ces mots. Une échéance tranchante comme un couperet. Et une évidence glaçante : oui, il va falloir supporter encore plusieurs mois cette vie bouleversée par le coronavirus. Un quotidien masqué, rythmé par les gestes barrières et toujours cette boule d'angoisse qui nous tord le ventre.
Car ce "nouveau normal" se révèle lourd, pesant, épuisant sur la durée. Il pousse à l'isolement, génère une grande fatigue, de la frustration et beaucoup de lassitude. Parfois même de la dépression. Comment ne pas sombrer dans ce contexte si sinistre ? Comment préserver notre santé mentale en attendant les jours meilleurs ? Et surtout, comment accepter ce temps long avant le retour à une vie normale ?
La psychologue-psychothérapeute Stephany Pelissolo, autrice du livre Etreindre votre douleur, éteindre votre souffrance et à l'initiative du site de la plateforme de soutien psy Covid-Ecoute, nous livre ses conseils pour tenir le cap.
Stephany Pelissolo : Ce que l'on constate le plus, c'est la recrudescence des troubles obsessionnels compulsifs (TOC) et notamment de la nosophobie, cette peur de la maladie, la peur d'être contaminé·e. On l'a vu notamment chez des gens qui n'avaient jamais connu ça auparavant et qui d'un coup, ont développé des compulsions de lavage très importantes et invalidantes. Jusqu'à demander à une personne du foyer sortie à l'extérieur de se déshabiller sur le palier, de mettre les habits dans un sac poubelle, passer à la douche...
On a aussi observé tous les troubles anxieux qui vont avec le fait de vivre avec la maladie et les contraintes que cela entraîne, une peur de l'avenir avec les conséquences économiques que la crise sanitaire aura. Surtout en ce moment... Cela les amène à avoir des troubles du sommeil, ils vont somatiser, faire des attaques de panique.
Et puis il y a beaucoup de dépressions. Je vois une vague arriver de plus en plus depuis la rentrée. Il y a aussi beaucoup de personnes qui ont eu le Covid et qui gardent des séquelles sur lesquelles les médecins ne peuvent rien pour le moment car on ne sait si peu de choses sur ce virus. Ils ressentent notamment une fatigue chronique alors qu'ils étaient hyper actifs auparavant et en pleine forme. Le Covid les a un peu fauchés dans leur vie et ils ne l'acceptent pas.
S.P. : Oui, surtout chez les personnes qui étaient très isolées. Elles ont développé un trouble dépressif pendant le confinement dû à cet isolement, le fait de ne plus voir les collègues. Sur le plan psy, il y a eu plusieurs vagues : les premières réactions n'étaient pas si négatives que ça. Beaucoup de gens ont d'abord apprécié cette "pause". Le télétravail était plutôt bénéfique, ils n'avaient plus à prendre les transports par exemple. Et ils gardaient une belle motivation.
Et petit à petit, plus le confinement se prolongeait, plus on a vu les choses se dégrader. Sur le plan de l'humeur, sur le plan de l'anxiété. Ils ont vraiment commencé à déprimer de ne plus avoir le même rythme de vie qu'auparavant, à se retrouver en burn-out, parce qu'ils n'arrivaient plus à gérer le fait d'être à la fois en télétravail et gérer la maison. Ils n'avaient plus de pauses, plus de sas de décompression.
Il a fallu rééduquer ces personnes-là pour qu'elles réduisent le niveau de stress, déculpabiliser les parents de mettre les enfants devant les tablettes ou la télé. Parce que pour les parents qui avaient des enfants en bas âge, cela a été très compliqué...
S.P. : Oui, notamment chez les soignant·e·s. J'en vois beaucoup arriver, ils ont été traumatisés et ils ont très peur de la deuxième vague. Ils ont été marqués par le tri à faire parmi les patients, par la surcharge de travail. Ils ont vu des familles en détresse qui ne pouvaient pas voir les membres de leur famille malades ou mourants. Ils ont fait le lien entre eux, ils ont accompagné les gens vers la mort, parfois même avec le téléphone entre le patient en train de mourir et la famille de l'autre côté du fil.
Dans les EHPAD, il y avait les pompes funèbres qui étaient là tous les jours pour embarquer des corps mis dans des sacs. Ca a été très violent. On le retrouve aussi chez les personnes qui ont eu un proche gravement malade ou qui est décédé.
S.P. : Oui, et c'est normal. Quand on mobilise son attention sur un sujet très précis, on va concentrer des ressources énergétiques au niveau cérébral pour amener l'attention sur ces choses précises. Quand rien ne nous inquiète, notre attention vagabonde toutes les 80 secondes à peu près. Là, c'est un peu lorsqu'on fait de longs trajets en voiture : on sait qu'on va se fatiguer plus rapidement car on va être attentif en permanence. C'est pour cela qu'il est important de faire des pauses régulières pour relâcher cette vigilance.
En ce moment, on est en effet attentifs et hyper vigilants, on observe les autres en permanence : est-ce que l'autre est trop près, est-ce qu'il porte son masque ? Et puis on adapte notre manière de travailler aussi. Quand on fait à la fois du présentiel et du Zoom par exemple, l'attention est démultipliée. Tout cela est épuisant.
S.P. : Il faut travailler une attitude d'acceptation de la situation. Ce qui est difficile, c'est que les gens rajoutent de la souffrance à ce qui est déjà désagréable en soi. On subit cette situation, on n'y peut rien, elle n'est agréable pour personne. Le fait de râler, de se dire que ça n'en finira jamais, commencer à faire des scénarios catastrophes, c'est rajouter de la douleur à ce qui est déjà désagréable.
La bonne attitude, c'est de se dire : "OK, c'est comme ça maintenant. L'extinction du Covid, ce n'est pas pour maintenant, le vaccin n'arrive pas tout de suite, les traitements non plus. Comment je fais pour vivre avec le virus et avec les contraintes que cela entraîne ?".
S.P. : Ce qui est important, c'est de comprendre que si on respecte les gestes barrières et si on est "raisonnable"- si on porte bien le masque, si on respecte les distances de sécurité, on se lave les mains- en principe, on pourra ressortir et vivre en se voyant plutôt que de se retrouver chacun chez soi. C'est un choix. Si on respecte les règles sanitaires, nous devrions arriver à vivre avec ce virus, le temps qu'on trouve un vaccin pour l'éteindre complètement.
S.P. : C'est normal qu'il y ait cette peur, cette anxiété. Au contraire, c'est ce qui va nous permettre de survivre. Sinon, nous ferions toutes et tous n'importe quoi. Cette angoisse est donc nécessaire. Si on est dans l'acceptation de cette peur, en se disant qu'elle est normale pour se protéger et protéger les autres, on vit plus sereinement.
Par contre, refuser de vivre avec cette peur va conduire à des comportements très extrêmes : soit on s'isole complètement, ce qui est très mauvais sur le plan de la santé mentale, soit on fait n'importe quoi en prenant toutes les recommandations à contre-courant. Il faut trouver le juste milieu.
S.P. : - Ce qui est très important, c'est de s'accorder des moments de qualité pour soi. On établit un planning journalier avec des temps "plaisir" et des temps "travail".
Par exemple, si vous êtes en télétravail, gardez l'ordinateur fermé le matin lorsque vous prenez votre petit-déjeuner. Faites des étirements en pleine conscience, un peu de méditation ou lisez le journal. C'est important de s'accorder une activité plaisir avant de commencer à travailler. Il faut un espace de transition.
- Il faut aussi absolument bloquer le créneau 12h-13 ou 13h-14h où vous fermez l'ordinateur. Vous appelez un proche, vous faites une activité ressource pour vous, vous déjeunez tranquillement.
- N'enchaînez pas le boulot ou le télétravail avec des tâches ménagères ou les devoirs à domicile des enfants. Prévoyez au moins 1h de transition : marche, yoga, méditation, ne rien faire, regarder ou écouter une émission sympa...
- Continuez à sortir (dans un périmètre d'un kilomètre selon les recommandations gouvernementales) pour marcher. Cela rebooste et redynamise. Souvent, quand on reste isolé, on perd l'envie. Il faut se rappeler : "qu'est-ce qui me fait du bien en temps normal ?". Etablissez des activités qui vont nous permettre de maintenir un certain équilibre au niveau physique.
- Evitez de regarder en boucle les chaînes d'informations.
- Equipez votre entourage de moyen de visio communication.
- Organisez des jeux de société à distance via Zoom ou autre plateforme plutôt que des apéros (attention à l'augmentation de la consommation d'alcool pendant le confinement).
- Evitez de ruminer ou d'anticiper de manière négative. Toujours revenir dans l'ici et maintenant : "Il y a-t-il une raison valable qui justifie mon anxiété ici et maintenant ?". Si oui, quelles sont les solutions pour faire face ?"
- Travaillez à l'acceptation de cette situation subie.
- N'hésitez pas à vous faire aider par un professionnel de la santé pour faire face aux difficultés.