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Confinement : "Les personnes fragiles psychologiquement encourent des risques"
Publié le 24 mars 2020 à 17:28
Par Clément Arbrun | Journaliste
Passionné par les sujets de société et la culture, Clément Arbrun est journaliste pour le site Terrafemina depuis 2019.
Le confinement met-il à mal notre santé mentale ? Peut-il nous inspirer des idées suicidaires ? Quels risquent encourent au juste les plus fragiles psychologiquement, comme les personnes borderline et les dépressifs ? Un spécialiste nous dit tout.
Les plus vulnérables, victimes collatérales du confinement ? Les plus vulnérables, victimes collatérales du confinement ?© Adobe Stock
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Poussées de stress psychologique "sévère", éveil de certains traumas, inquiétude due à l'ennui, sensation de vide existentiel, détresse des femmes et notamment des femmes enceintes, dépressions, alcoolisme, puis syndrome post-traumatique... La situation exceptionnelle de confinement national que nous vivons en ce moment-même ne sera pas sans risques, à en croire la psychologue Catherine Tourette-Turgis.

Mais dans le détail, à quoi faut-il vraiment s'attendre ? Les individus les plus fragiles psychologiquement encourent-ils de véritables risques actuellement ? Pourquoi de telles mesures sanitaires alimentent-elles les idées noires ? Quels sont les dangers du confinement sur notre propre santé mentale ? Psychothérapeute et spécialiste du trouble de la personnalité borderline, Pierre Nantas a répondu à nos questions.

Terrafemina : Avec le confinement, des personnes qui ne présentaient pas de fragilité psychologique particulière risquent-elles d'en développer ?

Pierre Nantas : On peut penser que des personnes sans troubles psychologiques particuliers puissent effectivement ressentir certains effets néfastes du confinement, liés à la promiscuité, au manque d'activités, au bousculement des repères, mais aussi à un retour sur soi-même qui peut être douloureux. Il y a fort à parier que des effets secondaires regrettables ne manqueront pas d'émerger dans les semaines à venir. Le confinement est une situation d'isolement, qui renforce donc les sentiments archaïques d'exclusion et de renfermement.

En ce sens, il faut différencier la solitude du confinement. Ce sont deux choses très différentes. La solitude est quelque chose que l'on subit et que l'on peut éventuellement rompre. Or, on subit le confinement mais on ne peut pas le rompre, c'est obligatoire. C'est aussi pour cela que les personnes les plus vulnérables psychologiquement encourent de vrais risques.

Le confinement que nous vivons actuellement est quelque chose qui n'est pas normal. Car l'être humain est un être social par nature, un être de contacts. De plus, quand on est sous-marinier ou astronaute par exemple, on suit des formations et des entraînements, en somme, toute une série de tests, pour vérifier si l'on sait ou non supporter cet isolement. Or, dans la société actuelle, on a pas suivi de tests pour savoir qui pouvait être confiné ou pas, le supporter ou non ! Il n'y a pas eu "d'initiation". Résultat, il y a celles et ceux qui pourront le supporter... et les autres.

C'est pour cela qu'une telle situation peut évidemment exacerber les violences faites à autrui, physiques et psychologiques (dans le cas des violences conjugales et des violences familiales), mais également les violences que l'on se fait à soi. Il risque d'y avoir des passages à l'acte en ce qui concerne les tentatives de suicides et les scarifications. Mais également plus de comportements transgressifs : des gens n'en pourront juste plus, alors ils décideront de sortir, se mettant ainsi en danger, mettant en danger les autres. Au risque d'entrer en contact avec des forces de l'ordre pas forcément entraînées pour accueillir des personnes plus fragiles psychologiquement.

Cette situation de confinement peut-elle provoquer sur notre mental des "effets" inhérents au trouble de la personnalité borderline comme l'anxiété, les idées suicidaires, un sentiment de vide ?

P.N. : Tout à fait. Et ces impressions que nous énonçons sont décuplées dans un tel contexte. Chez les personnes seules par exemple, qui ressentent d'autant plus ce sentiment de vide. Il faut savoir que les personnes borderline éprouvent également un sentiment d'abandon et de rejet, une peur de la mort très intense, autant de paramètres décuplés actuellement, lorsque l'on voit le taux de décès dus au virus qui augmente jour après jour. Tout le monde se demande alors, plus que "vais-je mourir ?" : "Est-ce que ceux auxquels je tiens vont 'y rester' ? Si c'est le cas, je serai seul·e". C'est cette réflexion qui nourrit ce profond sentiment d'abandon.

Le flux d'informations alimente-t-il ces angoisses ?

P.N. : Je pense que c'est le cas. Car on parle beaucoup et au quotidien du nombre de personnes malades du coronavirus et des défunts, très peu de celles et ceux qui s'en sont sortis. Cela incite à voir exclusivement ce qui ne va pas, et non ce qui pourrait aller. C'est donc une perception biaisée de la réalité, ce qui là encore est très "borderline".

De plus, les personnalités borderline se constituent dans un cercle familial où règne un climat d'ambivalence, fait de questions sans réponses. On le retrouve en ce moment avec ce fort sentiment d'incertitude que nous éprouvons toutes et tous. Une ambiguïté exacerbée par la parole de nos dirigeants : il est question de "guerre" alors qu'une pandémie n'est en rien une guerre, cela n'a absolument rien à voir. De plus, en ce moment, nous sommes confinés pour quinze jours alors que l'on sait qu'en Chine, ils l'ont été deux mois et demi. Ce que nous vivons est donc du ressort d'un "angoisse entretenu" et tout cela relève aussi de l'incertitude.

Dans un contexte si spécifique justement, se soucie-t-on suffisamment de la santé mentale à vos yeux ?

P.N. : Pas du tout ! On ne s'intéresse pas suffisamment à l'état des hôpitaux psychiatriques et à toutes les personnes qui souffrent de troubles psychiques et psychologiques. Les Centres médico-psychologiques (ou CMP) sont fermés, la plupart des psychiatres restent chez eux et les conditions sanitaires dans les hôpitaux psychiatriques sont parfois discutables : il risque d'y avoir des problèmes.

En plus, les patients qui semblent "aller mieux" sont pour la plupart renvoyés chez eux, ce qui ne sera pas sans effets collatéraux. Car parmi ces patients, il y a forcément des personnes qui ont fait des tentatives de suicide par le passé, d'autres qui sont dans un état dépressif profond... Tous ces individus vont être obligés de sortir.

 

Face à cette situation, comment agir ? Quelles sont les aides auxquelles peuvent avoir recours les plus vulnérables ?

P.N. : La seule façon d'agir est, pour les spécialistes, de maintenir le soutien psychologique via des services comme Skype, Whatsapp, Facetime, ou par téléphone, d'assurer une écoute des patients quasiment permanente, de les rassurer. En ce sens, lorsque l'on est psy, on est les premiers au front... mais à distance. Qui plus est, avec des moyens évidemment insuffisants pour une telle situation. Et les spécialistes ne sont pas non plus formés pour faire un suivi par téléphone et téléconsultation. Tout cela n'a rien d'évident. De plus, on peut penser que des lignes d'urgence comme SOS Suicide et SOS Médecins vont être complètement débordées dans les semaines à venir.

Nous avons parlé d'anxiété, d'angoisses, d'isolement... Mais quels conseils nous donneriez vous pour préserver notre santé mentale ?

P.N. : Pour préserver le mental, il faut l'occuper. C'est-à-dire, ne pas simplement se scotcher toute la journée devant une série ou se focaliser sur une seule activité, en restant passif. Mais privilégier la lecture, l'écriture, la peinture, de la musique à jouer, mettre en place des jeux de société. Établir des communications régulières avec les techniques mises à disposition et organiser des événements ensemble à distance n'est pas négatif non plus. Le plus important est d'extérioriser. Ainsi, les gens évitent de se replier sur eux-mêmes.

Voici le numéro national d'aide psychologique pendant le confinement a été mis en place : 0 800 130 000

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