Les images des foules se ruant sur les paquets de pâtes et les rouleaux de papier toilette avaient quelque chose d'irréel. Le confinement et l'injonction à rester chez soi a créé un vent de panique dans une société habituée à l'abondance et à la surconsommation. La peur du manque a fait ressortir ces pulsions d'achats profondément ancrées, exacerbées par le matraquage des pubs et de promos. Et si cette période anxiogène était un point de bascule pour changer les habitudes et réfléchir à ces mécanismes inconscients ?
Marie Duboin, co-autrice de J'arrête de surconsommer et créatrice du blog La Salade à Tout, a entamé son chemin vers la décroissance il y a 12 ans, à la naissance de son fils. Angoissée par la crise du Bisphénol A et les dégâts causés par les perturbateurs endocriniens, elle a cheminé progressivement vers la consommation responsable. Son credo : acheter moins et mieux.
S'il est évidemment trop tôt pour tirer des enseignements de ces temps particulièrement durs, il se pourrait que cette crise planétaire puisse être l'occasion d'un changement de paradigme.
Marie Duboin : La peur est irrationnelle. Tout le monde rigole avec les stocks de PQ parce que ce n'est pas une denrée vitale, mais ça montre à quel point c'est irrationnel. Il faut remettre du rationnel et trouver des solutions concrètes. Il y a l'aspect psychologique de la peur du manque. Mais il faut réfléchir au fait que l'on nous a habitués à ça : les supermarchés nous poussent à la peur de manquer, nous poussent à consommer immédiatement à grands coups de promo "qui sont valables jusqu'à ce soir, il ne faut surtout pas manquer l'occasion", qui nous poussent à avoir une multitude de choix au rayon céréales, pâtes... On a l'habitude d'être dans la profusion la plus totale.
Aujourd'hui, la surconsommation est la norme, or cela ne devrait pas l'être. Cette peur de manquer est largement liée au comportement de la grande distribution qui nous a bien conditionnés pour nous faire croire qu'ils sont le seul moyen de nous nourrir.
M.D : Oui, je le pense. Je vois déjà émerger beaucoup de solidarité. Par exemple, quand les restaurants ont fermé, j'ai vu beaucoup de personnes relayer les appels des restaurants à venir chercher de la nourriture fraîche, des gens qui s'entraident, qui prennent des nouvelles des uns les autres... Je pense que toutes les catastrophes, que ce soit les catastrophes naturelles, les guerres, les pandémies, font émerger du noir, mais font aussi émerger énormément de résilience et de solidarité.
M.D : Je n'en suis pas sûre... On est autorisé à sortir faire nos courses et on voit que les gens continuent à dévaliser les rayons et les sites de vente en ligne sont saturés. J'ai peur que dans un premier temps, la réaction soit de surconsommer pour palier l'angoisse. Dans un deuxième temps, j'espère que le fait d'être confiné, que l'on n'ait pas accès à tout ce qu'on a habitude à dispo et de se rendre compte que l'on s'en sort, cela nous fera peut-être réfléchir à notre surconsommation.
M.D : On conseille de faire des menus et de se limiter à des choses simples avec moins de produits. On évite d'acheter des denrées qui se périment très vite pour éviter le gaspillage et éviter de sortir dehors tous les quatre matins faire ses courses.
On évite les produits carnés et on se tourne vers les légumineuses, c'est la bonne solution. C'est sec, ça se garde longtemps, ça apporte tout ce qu'il faut. On profite de notre temps libre pour aller regarder des recettes zéro gaspi, des recettes végétariennes. Le risque avec ce confinement d'un point de vue nutritionnel, c'est de se tourner vers la "nourriture doudou", le grignotage, le gras, les sucreries. Or on évite au maximum et encore plus pour les enfants car on sait que le sucre, ça les agite encore plus. Pendant ce temps d'"enfermement", il faut prendre soin de nous, de notre état mental et de notre corps.
M.D : Oui, on a une charge qui incombe beaucoup aux femmes, notamment sur le changement de consommation. La période de confinement est aussi l'occasion de rappeler qu'il doit y avoir de la solidarité entre tous les membres du foyer. Si Monsieur et Madame travaillent, ce n'est pas Madame qui va en plus s'occuper des enfants, qui va entretenir la maison, s'inquiéter de faire les courses et la cuisine ! C'est le moment de mettre à plat la répartition des tâches.
M.D : Pour le moment, il serait malvenu de se réjouir vu les malades, les morts, les inquiétudes. C'est tout neuf et violent. On est un peu sidéré et on a peur. Mais la leçon que l'on pourrait tirer après la période de confinement, c'est qu'on s'en est plutôt bien sortis. On a réussi à manger, à se débrouiller avec ce que l'on avait même si nos habitudes ont été chamboulées.
Si on arrive à mettre à profit le temps de confinement pour se tourner vers des choses intéressantes, il y aura probablement des choses très belles qui vont émerger, de la solidarité et des gens qui vont réfléchir à leur manière de consommer sur le long terme.
B : BESOIN
A quel besoin cet achat répond-t-il chez moi ? On ne parle pas des besoins de base comme avoir un toit ou avoir de quoi manger, mais des besoins psycho-affectifs. Car notre consommation dépend de notre état mental et de notre état affectif.
I : IMMÉDIATETÉ
Ai-je besoin de cet objet tout de suite ? Lorsqu'on diffère une pulsion d'achat et qu'on la met à distance de 15 jours, il y a 3 chances sur 4 pour que l'envie disparaisse.
S : SEMBLABLE
Est-ce que j'ai quelque chose de semblable qui peut faire l'affaire ? Cela nous amène à nous poser la question d'acheter un nouvel objet neuf et individuellement. Comment on peut détourner l'usage d'un objet pour en faire autre chose. Soyons créatifs.
O : ORIGINE
Quelle est l'origine de cet objet. C'est le côté écolo et éthique. D'où vient-il, vient-il de l'autre bout du monde, ses conditions de production, quelle matière, qui a fabriqué cet objet ?
U : UTILITÉ
Est-ce que cet objet me sera vraiment utile ? Est-ce que je vais l'utiliser une fois par an ? Ces questions nous invitent à nous questionner sur la notion de progrès. Le progrès, c'est une avancée qui permet une avancée vers un mieux-être global. Bref, on évite les gadgets inutiles.
La méthode BISOU a été inventée par Marie Duboin Lefèvre et Herveline Verdeken, autrices de J'arrête de surconsommer! 21 jours pour sauver la planète et mon compte en banque