Qu'on se le dise, quitte à briser quelques rêves d'enfants ou à salir deux-trois contes de fées, Noël reste un moment de l'année essentiellement sexiste. Même quand on a en soi l'assurance d'une Mariah Carrey. Une "trêve" bien sexiste, oui, et pas seulement pour ses inénarrables téléfilms à l'eau de rose aussi désuets que les pulls tricotés qui grattent - et que l'on planque dans le placard les onze mois qui restent.
En vérité, par-delà les programmes télévisés, cette période intensive faite de cadeaux à gogo et de guirlandes en pagaille en dit long sur la condition des femmes. Comme une sorte de reflet de ce qu'elles subissent au quotidien, tout le reste de l'année.
Et si vous vous demandez encore pourquoi, un film aussi célébré que Maman j'ai raté l'avion vous apporte la réponse sur un plateau avec le personnage de Kate McCallister, cette maman constamment au bord de la crise de nerfs. Elle tient en deux mots : charge mentale. Si, des publicités aux comédies romantiques, les femmes semblent à ce point omniprésentes quand il est question des fêtes hivernales, c'est parce que tous les fardeaux associés à Noël leur sont - malheureusement - associés. Faire les courses, acheter et emballer les cadeaux pour toute la famille, réserver les voyages si voyage il y a, concocter les plats (entrées en série, plats de résistance aux cuissons bien dosées, desserts qui exigent des préparations à rallonge), s'assurer du ménage, rédiger les cartes de Noël... La nombre de tâches systématiquement assignées aux femmes est considérable.
Tout cela constitue une tradition que l'on peine encore à déboulonner et qui épuise les femmes aussi bien physiquement que mentalement. La fatigue est d'autant plus considérable pour les mères, enchaînant ces tâches tout en s'assurant de la customisation de la maison et des décos du sacro-saint sapin, du nettoyage du foyer avant et après les repas, de l'accueil de ses hôtes, sans oublier évidemment l'acquisition des jouets. Et puis, avant cela, il y a la préparation du calendrier de l'Avent. En gros, si "esprit de Noël" il y a, ce sont les femmes qui doivent faire en sorte de le préserver.
C'est bien simple : cette accumulation fait de Noël "la période la plus stressante de l'année pour les femmes", affirme le Sun, qui en profite pour lister les quelques tâches généralement attribuées aux hommes. Exemples ? Aider à installer les nouveaux jouets, déballer les cadeaux quand les enfants n'y arrivent pas, faire la vaisselle après le déjeuner de Noël ou se débarrasser du sapin. En fait, les mecs viennent après le déluge !
Pour se rendre compte de ces disparités, un coup de rétro est parfois nécessaire. C'est ce qu'a fait la journaliste américaine Maureen Shaw du site Quartz, et le bilan n'est guère reluisant. "En grandissant, j'ai regardé ma mère tout prendre en charge", déplore-t-elle. Décorer le sapin de Noël, mettre de la musique "de fêtes" à la maison, s'occuper des achats et des emballages... Durant tout le mois de décembre, la mère doit d'assurer d'avoir la pêche (et de la garder) pour faire rayonner les visages de ses enfants. Un travail pas simplement matériel, mais psychologique.
C'est comme si "les femmes étaient responsables de rendre l'expérience de vacances le plus agréable possible pour leurs familles", décrypte la journaliste. Grazia UK le résume en ces termes : les mères se doivent de "bâtir les souvenirs" de leur progéniture. Au risque de passer pour une "mauvaise mère", ce complexe retors qu'on aimerait chasser d'un revers de la main. Si ce n'est pas une lourde responsabilité, on ne sait pas ce que c'est...
Bien sûr, la charge mentale n'est pas l'unique raison pour laquelle les fêtes hivernales nous lassent. Les catalogues et rayons des magasins de jouets, eux aussi, abondent de constructions de genre qui ont fait leur temps. Comme le détaille le compte Twitter Pépite Sexiste, le féminisme est encore loin d'avoir envahi cet imaginaire marchand. Partout, on incite les garçons à faire "comme papa" (être bricoleur, homme d'affaires) et les filles à faire "comme maman" (la cuisine, le ménage, le changement des couches).
Les pépites sexistes s'accumulent, de la "boîtes pour garçon" (en bleu) pleine d'outils (la "boîte à secrets" pour "girls" quant à elle est rose, pleine de bijoux et de licornes) aux "robots éducatifs" pour garçons et pour filles (attention à ne pas se tromper !) sans oublier les "sélections de cadeaux" has been. Il faut croire qu'un petit gars n'a pas le droit de jouer à la poupée. Rien de mieux que la logique normalisée des "filles princesses" et des "garçons pirates" pour miner un peu plus le moral des femmes et mères.
Il faut dire que choisir et offrir quelque chose n'a rien d'anodin. En témoigne la pratique plus collégiale s'il en est du "Secret Santa", consistant à échanger de modestes cadeaux complices dans son cercle de collègues ou d'amis. Selon le site The New Statesman, il est difficile de s'adonner au "Secret Santa" sans tomber dans l'assignation de genre, le raccourci sexiste et le gros stéréotype qui tâche. "Noël est un moment où les adultes se traitent comme des pronoms, et rien de plus", déplore la blogueuse féministe Glosswitch.
Ainsi aura-t-on tendance à offrir des chocolats ou une invit' à un salon de massage à une femme. Pour les mecs, on privilégiera plutôt "l'alcool et les blagues de merde" - une bière festive ou un peu d'humour potache. Un réflexe culturel, et un cruel manque d'imagination. A Noël, hommes et femmes sont comme des cadeaux : on leur colle des étiquettes.
Rassurez-vous, tout n'est pas perdu pour autant. En France, de plus en plus de voix s'élèvent afin de sensibiliser les marques, magasins et commerçants à ce sexisme ordinaire qui envenime un peu plus la trêve hivernale. C'est le cas de la Charte des jouets non-genrés, un texte salutaire validé par le gouvernement, ainsi que de nombreuses campagnes populaires et virales comme #DesJouetsPasDeClichés. Du côté des adultes et de leur charge mentale, les choses là aussi ne demandent qu'à évoluer.
Il s'agirait de repenser la répartition des tâches sans faire de Noël une exception, une mission si considérable que seules des "wonder women" pourraient la mener à bien - la belle affaire. En ces temps où la baisse des températures, les pressions sociales et l'angoisse de fin d'année ne font qu'exacerber la fatigue, l'écoute, le partage et l'attention portée à l'autre ne peuvent être que bénéfiques. Et ce n'est pas un "cadeau", non non, c'est naturel.
C'est ce qu'explique la journaliste de Quartz (et maman) Maureen Shaw. "Aujourd'hui, mon mari et moi partageons les vacances, nous faisons tous les deux les courses et les emballages cadeaux, il m'aide à préparer le dîner de Noël et nous faisons de la décoration du sapin une affaire de famille. Et j'espère que mes enfants reproduiront ce système une fois adultes !", s'enthousiasme-t-elle. En fait, il n'en faut pas plus pour bouleverser les codes. Et si c'était ça, l'esprit de Noël ?