Qui a déjà lu ses chroniques dans ELLE sait qu'elle est furieusement drôle et impertinente. Qui a déjà lu ses essais L'envie et La vocation sait aussi qu'elle peut être plus grave et rebelle. Surtout, qui la suit sur Instagram a bien compris qu'il tenait là une créature rare. Sophie Fontanel est brillante, ce n'est pas nouveau. Du coup, on ne s'étonne pas qu'elle ait un coup d'avance sur le reste du monde. En 2015, après sa rencontre fortuite avec une bombasse italienne aux cheveux blancs, la voilà "prise par un sentiment d'urgence". Elle, la papesse de la mode française, comprend qu'elle se cache depuis des années sous des kilos de teinture. Dans son nouveau livre témoignage, Une apparition, elle raconte : "Un rendez-vous mystérieux était là, avec ce moi-même englouti, goudronné depuis tant d'années". Sophie Fontanel a donc entamé une transition capillaire en même temps qu'une transformation psychologique. Elle a laissé pousser ses cheveux blancs et en a profité pour se libérer des carcans.
Sa métamorphose de brunette à "blande" - un joli mot de son invention – elle l'a longuement documentée sur Instagram, partageant avec ses 128 000 abonnés ses doutes, ses joies, cueillant au vol messages d'encouragement et commentaires outragés. Avec Une apparition, Sophie Fontanel boucle la boucle. Elle répond à ceux qui lui ont dit que "les cheveux blancs, c'est morbide" ou "un aveu de vieillissement". Avec humour et tendresse, la journaliste met K.O. cette insupportable quête du jeunisme et débarrasse les femmes de leurs angoisses. Quand on la rencontre pour cette interview, on est frappé par sa fraîcheur d'adolescente et son charisme. On n'est pas sérieux quand on a 17 ans, mais qu'est-ce qu'on est canon quand on en a 55.
Sophie Fontanel : On a besoin de modèles. Dans le monde, et notamment dans la mode, il y a des femmes superbes qui ont les cheveux blancs. Elles ne vivent pas cela comme un renoncement à la séduction, elles renvoient une image très libre. Mais moi personnellement, j'en connais très peu des femmes aux cheveux blancs. Donc quand j'ai commencé ma transition, j'avais besoin d'avoir un modèle. C'est en me posant devant un miroir que je me suis créée ce modèle. C'est une idée très narcissique mais totalement reliée aux autres parce que via Instagram, j'ai fait participer les gens à ça. Du coup, je suis devenue un modèle pour ces gens. Parce qu'il est là le problème, dès qu'on sort d'une certaine norme, on n'a pas de modèle. Cela s'applique pour les cheveux blancs mais pour d'autres choses aussi. Je pense aux personnes qui sont rondes, qui ont un grand nez, et même aux noirs. Ils avaient beau savoir que leurs cheveux crépus étaient magnifiques, pendant longtemps la société a refusé de les mettre en couverture des magazines ou tout simplement de les voir. Tout ce que je veux dire par là, c'est qu'il faut créer des modèles pour tout le monde.
S.F. : Évidemment que je suis féministe mais je n'aime pas le dire. C'est pas parce que j'en ai honte ou que ça ne fait pas sexy. Tous les actes de ma vie ont été féministes mais je ne sais pas si accoler ce mot à une personne publique comme moi fait avancer la cause des femmes. Je vais vous donner un exemple : quand je travaillais chez Canal+, je côtoyais un prêtre franciscain qui s'occupait de recueillir des jeunes drogués. Un jour, alors qu'on déjeunait ensemble, quelqu'un lui a demandé comment réagissaient les jeunes lorsqu'il leur parlait de Dieu. Et lui a répondu : "Mais moi je ne leur parle jamais de Dieu, je ne leur dis même pas que je crois en Dieu. Moi tout ce que je veux, c'est que ces gens soient bien". C'est un peu ma position par rapport au féminisme. Mais c'est compliqué... Aujourd'hui, tout est tellement radicale qu'il est compliqué d'avoir une position subtile.
S.F. : Des hommes réfractaires, j'en vois surtout depuis que le livre est sorti. La dernière fois, j'ai vu passer le post Facebook d'une fille qui disait que j'étais moche, que j'avais des problèmes affectifs, etc. Comme si mon livre n'évoquait pas des fragilités ! Je ne suis pas un robot qui vit dans le monde tout beau d'Instagram. J'utilise aussi Instagram pour parler de mes fragilités. Bref, j'ai lu les commentaires des hommes sous ce post et j'ai trouvé tout cela extrêmement violent. Mais quand j'ai fait mon expérience, en général les hommes étaient plutôt interloqués de voir qu'eux-mêmes ne trouvaient ça pas moche. Je crois que ça les faisait cheminer. Les femmes, elles, avaient surtout l'impression d'être attaquées. Il y a celles qui avaient déjà les cheveux blancs et qui me disaient : "Je t'ai pas attendu", et puis, il y a celles qui se teignent parce qu'elles ont peur que les cheveux blancs les rendent moches.
Parmi elles, il y en a qui en me voyant faire se sont mis à réfléchir, et puis il y en a qui pensent : "En fait, elle est en train de dire que je suis une grosse menteuse". Certaines femmes se vexent parce que je mets le doigt sur quelque chose. Mais c'est marrant, parce qu'au final, les cheveux blancs ont eu un effet libérateur sur moi. Les hommes ne me sifflent pas dans la rue, mais on me dit que je suis belle ou élégante. Ma relation avec les hommes est devenue beaucoup plus tendre. C'est cette espèce de lien que je veux aujourd'hui avec les hommes. Lien qui peut aussi être érotique. Je n'en suis plus à me demander si les mecs me trouvent bonne et c'est libérateur.
S.F. : Mon déniaisement a été très, très brutal. Du coup, j'ai pendant longtemps vécu ma sexualité de façon étrange, avec des relations assez brutales ou des moments où je me dissociais de mon corps. Je pouvais faire un peu n'importe quoi mais dans ma tête je n'étais pas vraiment là. Donc j'ai toujours eu un peu peur d'être envahie. Mais avec les cheveux blancs j'ai reçu un cadeau. Après avoir longtemps dissimulé mes frayeurs, aujourd'hui je me sens un peu plus nue. Je me dis que je suis comme je suis et que je suis très bien comme ça. Ce "non" que je n'ai pas pu dire quand j'étais adolescente, maintenant je le dis beaucoup plus facilement. J'ai enfin compris que je pouvais dire non.
Là par exemple, je viens de bloquer un homme sur Instagram. C'est très rare que je le fasse. Il n'était peut-être pas méchant mais ça faisait plusieurs fois qu'il m'envoyait des messages graveleux. Je l'ai donc bloqué tout en me demandant si c'était une bonne idée. Mais là, en en parlant, je me rends compte qu'évidemment c'était la chose à faire. Je comprends maintenant qu'on peut dire non à un follower qui vous emmerde, à un mec dans un café, et qu'on peut aussi dire non dans un lit. Et en m'autorisant à dire non, je me suis rendue compte que je pouvais aussi dire oui. Ça m'a totalement libérée.
S.F. : Je me sens cent fois plus belle mais je pars de très loin. A l'adolescence, quand je me regardais dans les miroirs, je n'étais pas sûre de me voir dedans. Aujourd'hui, quand je poste des selfies sur Instagram, c'est aussi parce que je me questionne sur la beauté. Avant, quand on me prenait en photo, je me trouvais affreuse. Ça allait très loin. Les photos me donnaient envie de mourir. Je me disais que je ne méritais pas qu'on me photographie. Petit à petit, avec les cheveux blancs, j'ai ouvert mon être à quelque chose. Je n'ai plus tous ces problèmes, comme si j'avais laissé de côté tout ce qui me faisait si peur.
S.F. : Dans la vie, tout est plus facile quand on a du style. Qu'on jette un discrédit sur la mode en tant que machine, je comprends. Mais le vêtement est extrêmement important. J'ai rencontré plein de femmes qui avaient les cheveux blancs et qui venaient de tous les milieux sociaux. Donc je ne pense pas que la question soit là. En revanche, c'est une histoire de style. Par exemple, aller en jean au travail, il faut savoir le faire. C'est pour cela que dans certains corps de métier, on interdit certains vêtements parce que l'on sait que ça va donner des catas. Même si la société est peu regardante sur l'élégance en général, cela ne nous empêche pas de stigmatiser les gens. Alors que le style n'a rien à voir avec l'argent que vous gagnez. Ce qu'il y a derrière la peur du cheveu blanc, c'est la peur de faire souillon. Mais l'hygiène ce n'est pas une histoire sociale. Moi j'en connais des riches qui sont sales, donc bon.
Une apparition, éditions Robert Laffont, 252 pages, 17 euros