D'origine franco-allemande, Ariane de Rothschild, née Langner, a vu le jour à San Salvador et a grandi en Amérique Latine et sur le Continent Africain. Elle fait des études économiques à Paris avant d'obtenir un MBA à la Pace Université de New York. En 1999, elle épouse Benjamin de Rothschild et se met à travailler au sein du groupe familial. Elle est aujourd’hui membre de plusieurs conseils d’administration des banques du groupe Rothschild et vice-présidente de La Compagnie Financière Edmond de Rothschild. En tant que Présidente de la Fondation Ariane de Rothschild et membre des Conseils d'Administration de diverses Fondations Edmond de Rothschild, elle joue un rôle stratégique dans l'innovation philanthropique dans les domaines suivants : l'art, la culture, la santé, l'environnement et l'entreprenariat social. Elle est mère de quatre filles.
Comment cette transition a-t-elle pu se faire ?
Ariane de Rothschild : Après mon mariage, j’ai commencé par m’occuper des activités non financières du groupe (vignobles, fondations, hôtellerie). Mais lorsque mes 4 filles sont allées à l’école, j’ai voulu retrouver mon métier, la finance. Avant d’épouser Benjamin je travaillais 14 heures par jour dans les salles de marché. Je lui ai dit que je pouvais rejoindre la banque familiale, ou travailler pour un autre groupe. Il m’a soutenue pour que le rejoigne.
Sans lui, cela ne se serait jamais fait, il a fallu qu’il force les choses. Jusqu’à aujourd’hui, les femmes avaient peu de place dans le business. On pouvait s’appeler Rothschild et faire du vin, mais pour la banque et la finance pure, ça ne se faisait pas.
A.de R. : Il faut savoir que mon mari n’est pas tout à fait dans la norme, c’est cela qui a fait qu’on s’est entendus. C’est ce qui m’a fascinée chez lui, il ne peut pas être mis dans une case. J’ai eu une éducation anglo-saxonne où l’on est reconnu par son mérite et non par son histoire ou sa famille. Mes parents sont des entrepreneurs, qui viennent de milieux très modestes et qui sont toujours dans l’action. J’ai du respect pour cela. Néanmoins il y a des aspects de la famille de Rothschild et de son histoire que j’ai trouvés absolument fascinants : c’est une famille d’entrepreneurs exceptionnels, certains sont vraiment allés chercher des limites, ont pris de vrais risques. Ce qui est intéressant aussi dans cette famille, ce sont les points de rupture et les changements qui ont jalonné cette histoire humaine. Je me retrouve dans cette famille sur ces aspects-là. L’aspect très policé et mondain m’intéresse beaucoup moins.
A.de R. : Je pense oui. Les coïncidences font que c’est moi qui porterai une part de cette rupture. Premièrement parce que nous avons 4 filles, donc la relève sera assurée par des femmes, et effectivement le fait qu’une femme ait une telle place au sein des banques constitue une rupture de taille et le début d’une nouvelle période.
A.de R. : Je tâche de maintenir un équilibre entre leur liberté d’expression et leur éducation. Nous vivons en général dans des environnements de collection et de meubles du XVIIIe siècle français, c’est quelque chose de très précieux mais aussi de très lourd pour des enfants, donc effectivement étouffant. Je leur laisse donc des espaces, comme leur chambre, où elles s’expriment comme elles veulent, avec des tableaux contemporains et des œuvres très modernes qu’elles choisissent. L’éducation doit évoluer, mon mari a été élevé dans des cadres très stricts, et a plutôt eu tendance à se rebeller face à son père. Je pense pour ma part que l’on peut combiner une grande ouverture d’esprit avec le respect du patrimoine et des valeurs.
A.de R. : Elles choisiront la voie qui leur plaît, tant qu’elles le font au mieux et qu’elles visent l’excellence. Je crois davantage dans la formation de l’esprit que dans les diplômes, même s’ils sont essentiels. Mais je leur dis aussi qu’il n’est pas possible de toucher des dividendes et de bénéficier d’un bien-être économique, sans en être au courant. Quoiqu’elles choisissent dans la vie, qu’elles soient danseuses, artistes, etc. Cela ne me pose pas de problème à partir du moment où elles respectent le patrimoine qu’elles reçoivent et qu’elles ont un œil même distant sur les affaires.
A.de R. : Oui. C’est la détention par la famille et l’exercice par la famille. Ces trois dernières années le débat a porté sur le degré d’implication des actionnaires et administrateurs de la famille : j’estime pour ma part que lorsqu’on touche des dividendes, on ne peut pas ne pas savoir d’où ils proviennent. Je ne suis pas pour laisser toutes les responsabilités à des gestionnaires, notre devoir vis-à-vis des enfants consiste justement à ne pas être passifs. Il y a des exécutifs, mais c’est à nous de superviser et de donner les impulsions parce qu’à la fin de la journée, c’est notre capital. Et surtout je pense que le capitalisme familial est intéressant pour les valeurs qu’il porte. C’est la grande différence avec beaucoup de grandes entreprises cotées, qui sont souvent en recherche d’identité.
A.de R. : Pour moi, l’entrepreneuriat social représente la combinaison logique entre notre business et la philanthropie qui est constitutive de cette famille. Depuis six ans nous avons restructuré cette partie de nos activités : nous pratiquions une philanthropie de donneur de fonds sans exigence, et nous sommes passés à un modèle différent : « le retour sur engagement ». L’idée est d’utiliser les instruments du business pour la philanthropie. Donc nous sommes plus impliqués sur les projets, que nous accompagnons vraiment avec des équipes dédiées. Il faut structurer et se donner des objectifs, c’est ce qu’on a appelé l’ « Impact investing ». La crise a montré les limites et les abus du système capitaliste, orienté sur le court terme, et une course au montant qui me mettait mal à l’aise. Je pense que l’entrepreneuriat social constitue réellement une piste intéressante pour tester des modèles viables capables de produire de l’argent avec des normes sociales claires.
A.de R. : Je suis très optimiste quant à la montée en puissance des femmes. En ce qui concerne les quotas, c’est un débat que j’ai eu avec mon mari, qui, comme beaucoup, pense que ce n’est pas une bonne idée, parce que c’est dévalorisant pour les femmes. Effectivement je rejoins cette idée que d’imposer des quotas ne sera pas forcément positif pour l’image des femmes dans l’entreprise, on aura toujours tendance à dire qu’elles sont dans ces postes parce qu’elles remplissent un quota. Mais compte tenu des difficultés que j’ai moi-même expérimentées et expérimente au quotidien, je pense que les quotas sont obligatoires pour pouvoir établir un équilibre.
A.de R. : Oui je pense qu’elles apportent une vision plus globale. Pour les femmes, les journées seront toujours plus difficiles, elles doivent travailler deux fois plus et gérer ensuite les enfants, l’école, les bêtises… Mais de là découle la magie d’être une femme. Nous avons plus tendance à avoir les pieds sur terre parce que nous sommes sans cesse ramenées vers cette réalité. Je pense que c’est salutaire, et que c’est à ce niveau que les femmes ont quelque chose à apporter dans les conseils. En revanche je ne croirais pas à un projet exclusivement féminin : comme les hommes, nous avons les défauts de nos qualités, et selon moi seul l’équilibre des deux sexes peut faire avancer les choses. Je le constate tous les jours avec mon mari, et c’est très stimulant.
Le site du Groupe Edmond de Rothschild
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