L'affaire fait grand bruit au Maroc et est désormais relayée par de nombreux médias internationaux. Le 14 juin dernier, deux jeunes femmes de 20 ans qui faisaient leurs courses au souk d'Inezgane, dans le sud-ouest du Maroc, ont été interpellées par un commerçant qui jugeait leurs robes attentatoires à la pudeur. Rapidement, les deux Marocaines ont été encerclées par la foule avant de réussir à se réfugier dans une boutique en attendant l'arrivée de la police.
Considérant les tenues "contraires aux bonnes moeurs", les habitants du quartier ont fait appel aux autorités qui, quelques minutes plus tard, sont intervenues pour... arrêter les deux jeunes femmes. Embarquées au poste de police, ces dernières ont passé la nuit au poste avant d'être déférées devant le procureur du roi. Le tribunal, prenant connaissance de l'affaire, a décidé de les poursuivre en état de liberté et a fixé la première audience de leur procès au 6 juillet, rapportait le quotidien Assabah le 18 juin dernier.
Le procureur a retenu contre les deux jeunes femmes l'infraction d' "outrage public à la pudeur". Un acte puni "de l'emprisonnement d'un mois à deux ans et d'une amende de 120 à 500 dirhams", selon l'article 483 du Code pénal marocain. Selon le site Jeune Afrique, ce texte ne définit pourtant à aucun moment les critères exacts qui rendraient un vêtement attentatoire aux bonnes moeurs. Depuis les faits, la mobilisation s'organise pour défendre les deux Marocaines. Des féministes mais aussi plusieurs associations de défense des Droits de l'Homme ont pris le dossier en main.
Le président de la section de l'Association marocaine des droits de l'homme (AMDH) à Agadir, Abdelaziz Sellami, a ainsi considèré que l'arrestation des deux jeunes filles était "une transgression flagrante des libertés individuelles" et rappelle que "Aucun texte de la constitution ne définit des critères relatifs à la tenue vestimentaire des Marocains". Un discours auquel a fait écho le quotidien Tel Quel dans son édition en ligne du mercredi 24 juin. Le journal dénonce des poursuites illégales et s'inquiète de "la pression de certains conservateurs qui semble surplomber le droit".
"Nous avons cru à une blague avant de dépêcher notre réseau à Inezgane et découvrir que ces deux filles ont été bel et bien arrêtées à cause de leur tenue", a réagi de son côté Fouzia Assouli, présidente de la Ligue Démocratique des Droits des Femmes (LDDF), qui ne manque pas de souligner le caractère profondément mashiste d'une telle décision. "C'est scandaleux de les arrêter à la place des malfaiteurs qui les ont encerclées et agressées. Il s'agit ici de harcèlement sexuel et d'une violence à l'encontre des femmes", a-t-elle dénoncé en affirmant que "l'Etat caresse dans le sens du poil le machisme primitif".
La Ligue Démocratique des Droits de la femme a par ailleurs confié l'affaire à l'avocat Ali Ammar, qui devrait défendre les deux accusées au tribunal le 6 juillet. Ce dernier, qui considère l'affaire comme "dangereuse", estime que "L'Etat laisse de côté son rôle et permet aux extrémistes de décider à sa place". "Je crains que la sphère religieuse ne soit sujet de compétitivité entre les organisations islamistes et l'Etat", s'inquiète Ali Ammar.
Samedi 27 juin, un sit-in sera organisé devant la wilaya d'Agadir. L'initiative se double d'une pétition mise en ligne sur le site Avaaz. Celle-ci, qui réunit actuellement plus de 11 700 signatures, a choisi pour titre un message on ne peut plus clair : "Au ministre de la Justice et des Libertés : Mettre une robe n'est pas un crime !".
Sur Internet, d'autres voix tentent de se faire entendre pour dénoncer la situation. Parmi elles, la militante Boutaina Elmakoudi qui, par le biais d'une vidéo diffusée sur Facebook, interpelle ses concitoyens marocains sur l'affaire qui, selon elle, "porte atteinte à la femme marocaine, à la femme amazigh". "Ce n'est pas juste l'histoire de ces deux filles, c'est une menace générale pour les libertés individuelles", lance t-elle dans la vidéo qui comptabilise aujourd'hui plus de 70 000 vues.
Toujours sur Facebook, la vlogueuse marocaine Lina Bikiche, désormais installée en France, a posté une photo affichant cette affirmation : "Au Maroc, si tu veux être une femme libre et indépendante, mieux vaut être un homme". La jeune femme y pose bras levés, laissant apparaître des aisselles non épilées. Une façon de dénoncer le machisme latent qui se cache derrière ce procès.
L'arrestation et l'annonce du procès des deux jeunes filles de 20 ans n'est pas une première dans la région. Depuis l'évènement, une pancarte faisant figurer l'inscription "Respect Ramadan No Bikinis" a été installée sur la place d'Anza près d'Agadir. La banderole interdit aux Marocaines et aux femmes étrangères de bronzer en maillot de bain par respect au mois saint.