C'est l'histoire de deux jeunes soeurs iraniennes qui entrent en conflit avec leur propre père. Alors que celui-ci vient d'être nommé juge d'instruction en pleine période de manifestations houleuses, le voilà qui égare son arme de service... Inquiet des répercussions sur sa personne, le pater familias va dès lors accuser sa propre progéniture de vol. Mais jusqu'où ira cette discorde familiale ?
Les graines du figuier sauvage est un film "nécessaire" à découvrir en salles actuellement : un manifeste en faveur des mobilisations citoyennes et féministes, et du mouvement Femme Vie Liberté qui secoue le pays depuis deux ans. Et par-là même, une fiction à la mémoire de Mahsa Amini, étudiante de 22 ans dont la mort suspecte suite à son arrestation par la police des moeurs iranienne pour non-respect du port obligatoire du voile, avait suscité la mobilisation du peuple.
Mais c'est aussi, une oeuvre tournée clandestinement. Son cinéaste Mohammad Rasoulof, qui a du fuir son pays pour présenter le film à Cannes, où il a remporté un Prix Spécial, a du tourner en secret, composer un casting de manière confidentielle des mois durant, se batailler avec équipe technique très restreinte, s'assurer d'une confiance totale avec ses techniciens et comédiens, diriger à distance, par visio ou téléphone...
Des conditions éprouvantes et improbables, qui font de ce film, dès sa genèse, un geste militant. Mais alors, en tant que spectateur, en méconnaissant ce contexte de production digne d'un roman de Franz Kafka, que valent les trois heures des Graines du figuier sauvage ? On est allé voir le film pour vous...
Oeuvre de fiction "confinée", comme a du l'être son réalisateur (c'est un huis clos quasi absolu, qui va prendre place dans un appartement, et une maison), Les graines du figuier sauvage est ponctué de courtes vidéos filmées au téléphone portable (violences, manifestations, conflits dans la rue) qui ne rendent le tout que plus étouffant. Oui, on cherche à respirer, à l'instar de ces protagonistes féminines, qui peu à peu voient l'emprise d'un être qui leur est cher sur refermer sur elles...
Mais dès les premières images, c'est une certitude : ce film de Mohammad Rasoulof est à l'inverse de ce lieu concentré, une oeuvre vaste, dense, foisonnante. Son aspect militant est puissant : lorsque vous irez le voir en salles, vous serez conscient de découvrir une véritable "oeuvre de la survie". Son cinéaste filme dans l'urgence, comme si sa vie en dépendait, et cette intensité se retrouve à travers ses comédiennes, sidérantes - Mahsa Rostami et Setareh Maleki.
Oui, mais il ne faut pas oublier le coeur de ce film : son émotion.
Ce qui bouleverse avec cette immersion qui s'approprie le foyer d'une famille iranienne pour cerner une société entière, ce n'est pas seulement sa progression tragique, mais toutes les scènes d'intimité familiale et sororale, de complicité, et surtout de tendresse, où mari et femme, mère et enfants, se retrouvent ensemble. Des moments suspendus, authentiques, qui font l'effet d'un calme avant la tempête...
A ce titre, le personnage le plus complexe d'un film qui pourtant n'en manque pas - grande caractéristique du cinéma iranien que de proposer des figures féminines très riches psychologiquement - est celui de la mère, interprétée par Soheila Golestan. D'une scène à l'autre, elle va tantôt soutenir son époux, tantôt ses enfants, et le plus souvent, ménager les deux. En fait, cette mère tente de conserver un équilibre en plein chaos - familial, et sociétal. Alors que tout s'agite, dans les rues alentours de Téhéran, et dans sa propre maison. Une quête d'apaisement vaine, face à une situation qui la dépasse.
C'est une action diplomate de sa part. Mais surtout, un véritable geste d'amour. Cette mère est aussi courageuse que les manifestantes qui protestent dehors. Surtout, c'est là que ce portrait de femme(s) iranien dévoile toute sa force : à voir cette figure maternelle lutter par la rhétorique contre la destruction inévitable de sa famille, on comprend dès lors ce célèbre slogan féministe : L'intime est politique.
Mohammad Rasoulof ne nous dit rien d'autre. Et il le fait en entrecoupant son film de véritables séquences d'action, telle cette fin haletante et hitchcockienne - oui oui. Comme bien des cinéastes iraniens, Rasoulof s'approprie une trame de drame social et en fait un thriller, une expérience qui vous tient en haleine et vous bouscule à chaque instant.
Une démonstration de cinéma d'autant plus vive qu'elle émane de mille contraintes. Au final, une seule déception nous vient à l'esprit : que Les graines du figuier sauvage évolue dans nos salles sans la Palme d'or que son cinéaste méritait haut la main.