Société
Aung San Suu Kyi : « je n'ai pas fait de sacrifices, j'ai fait des choix »
Publié le 29 juin 2012 à 12:19
Par Marine Deffrennes
Invitée d’honneur du Women's Forum, Aung San Suu Kyi a passé sa dernière soirée parisienne au Musée Marmottan-Monet, autour d’un dîner privé, en compagnie de femmes politiques, femmes d'affaires, scientifiques et intellectuelles. Humble, accessible et pleine d’humour, la Dame de Rangoun a partagé ses ambitions pour la Birmanie et pour les femmes de son pays.
Aung San Suu Kyi : « je n'ai pas fait de sacrifices, j'ai fait des choix » Aung San Suu Kyi : « je n'ai pas fait de sacrifices, j'ai fait des choix »
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Le charme et l’impertinence d’Aung San Suu Kyi auront décidément séduit la France, pendant ces trois jours de visite officielle. L’escale parisienne de la chef de file de l’opposition birmane s’est achevée jeudi soir autour d’un dîner intime au Musée Marmottan-Monet (Paris, 16e), entre femmes. Une cinquantaine de convives, invitées par le Women’s Forum, ont savouré le privilège de dîner avec Madame Suu Kyi, et d’échanger avec elle sur ses préoccupations quant à l’avenir de son pays en matière de développement, d’éducation, de politique ou d’économie. Les intellectuelles -Hélène Carrère d’Encausse, Alice Dautry-, les politiques -Christine Albanel, Valérie Pécresse-, l’ambassadeur de France en Birmanie, les femmes d’affaires et patronnes du CAC 40 en sont finalement ressorties stimulées et conquises par cette personnalité fière à la combativité intacte.

De femme à femmes
« Nous sommes toutes venues ce soir en tant que femmes, mères, citoyennes, pleines d’humilité et de sincérité pour échanger avec vous », déclare Véronique Morali, présidente du Women’s Forum, dans son mot d’accueil, « en espérant que vous vous sentirez à l’aise parmi nous ». Le prix Nobel de la paix prend la demande au mot, et commence par plaisanter « J’espère que les quelques hommes ici se sentent à l’aise aussi, nous devons toutes défendre les droits des minorités ». Le ton est donné. La militante pour la démocratie commence par dire « merci » à une femme, pour rendre hommage à toutes les autres : « Je veux vous présenter mon assistante personnelle, qui représente toutes ces femmes qui ont travaillé pour moi fidèlement et avec pugnacité sans jamais rien attendre en retour. » Et d’évoquer encore les neuf années de prison d’une des membres de son parti, la LNDLigue Nationale pour la Démocratie- « en réalité, mes plus fidèles supportrices ont été des femmes » dit-elle, « oeuvrant dans l’ombre et supportant tout », et dont certaines ont finalement rejoint avec elle les rangs du Parlement, en avril dernier. « Même si nous sommes un petit parti d’opposition dans cette assemblée, nous sommes parvenues à garder nos forces féminines en politique », se félicite Aung San Suu Kyi, « mais il n’y a pas que les femmes qui ont besoin d’être soutenues en Birmanie, j’ai bien peur que nous devions aider les hommes aussi », concède-t-elle, formant le souhait que les mères continuent de jouer ce rôle primordial et précieux « d’éduquer leurs fils pour les rendre meilleurs et dans le respect des femmes ».

Formation et éducation : des enjeux prioritaires

L’éducation est au centre de toutes les espérances et attentes d’Aung San Suu Kyi. C’est en tout cas une des seules demandes qu’elle ose adresser, formulée comme un appel au secours : que peut-on faire pour éloigner les jeunes de l’alcool et de la drogue, lorsqu’ils n’ont appris aucun métier et qu’on ne leur offre aucune perspective ? Le mal qui ronge la jeunesse birmane, victime d’un pays anesthésié par la dictature, est celui du chômage. « Nous avons une génération perdue », déclare la dissidente, « une génération qui peine à retrouver le chemin de l’école, qui ne sait pas quoi faire ». « Il faut éduquer cette jeunesse qui s’est mobilisée pour changer le pays », et de citer en exemple le système éducatif suisse, qui donne le choix entre formation professionnelle ou cursus académique. Un choix qu’elle veut offrir à la jeunesse birmane : « Nous avons besoin de formations professionnelles courtes liées directement à des créations d’emplois, pour cette génération à laquelle on n’a transmis aucune compétence, nous devons leur instiller de la confiance. »

Aung San Suu Kyi

Aung San Suu Kyi aux côtés de Véronique Morali, présidente du Women’s Forum


Internet, outil indispensable d’une vie politique en devenir
Aung San Suu Kyi répond avec la même franchise à la question de l’accueil des investisseurs étrangers dans son pays. La Birmanie, longtemps coupée du monde suite aux sanctions et embargos des grandes puissances économiques, cherche plus que jamais à s’ouvrir pour tenter de rattraper son retard. « Ils sont les bienvenus », à eux de venir avec des intentions socialement responsables, prévient-elle, « le peuple birman veut être respecté, c’est un peuple fier ». La députée place au premier plan le besoin en infrastructures de transports mais aussi et surtout de communication : « seulement 2% de la population birmane est connectée à Internet, c’est un enjeu essentiel pour changer notre vie politique », indique-t-elle, tout en rappelant que pour convaincre le gouvernement en place d’investir dans ce domaine, il faudra user d’arguments convaincants et faire passer de nouvelles lois.

Du courage et des choix
Eclairé et réaliste, le discours d’Aung San Suu Kyi sur les combats à mener résonne comme un point de départ, le passé et la rancœur n’ont pas leur place dans la vision de celle qui a passé plus de seize années enfermée ou en résidence surveillée. Ni la mort de son époux qu’elle n’a pas osé rejoindre à Londres, ni la jeunesse de ses fils qu’elle a suivie depuis sa prison ne la désarment. « Je n’ai jamais eu le sentiment de faire des sacrifices, dit-elle, j’ai fait des choix, personne ne m’a forcée à les faire, je suis restée moi-même ». Elle encourage même son peuple à ne pas demander la monnaie de son combat : « quoi que vous fassiez, vous n’avez pas le droit de réclamer une compensation pour cela, faites simplement ce en quoi vous croyez ».

« Qu’attendez-vous de nous et du Women’s Forum ? », ose demander Anne Lauvergeon en guise de conclusion. « Des interprètes pour nos députées qui ne parlent pas anglais », répond simplement l’invitée, et peut-être aussi « la force de votre réseau pour tisser des liens individuels entre femmes politiques des deux pays, entre entrepreneures, pour aider les Birmanes à s’ouvrir. » En attendant une visite du Forum au Myanmar. L’option serait envisagée.

Suu Kyi

Aung San Suu Kyi entourée de Jacqueline Franjou vice-présidente du Women’s Forum et de Marie-Catherine Croix, directrice du Musée Marmottan-Monet

Plus d'infos et de photos sur le site du Women's Forum

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